Après une première étape sur le corps puis une seconde sur le cœur, Fr. Éric Moisdon vous emmène dans le troisième volet de son initiation à l’oraison.
« Dieu est amour diffusif. Dieu donne tout et se donne tout entier, mais il a besoin de notre oui libre, entier à sa rencontre » dit le P. Marie Eugène de l’Enfant-Jésus. Faire oraison est une manière privilégiée d’engager ma liberté, et de la Lui offrir. Ce moment consacré pour Lui est un acte fort de préférence sur tant d’autres activités et relations : « Pour Toi ! »
Dans le même temps où je me donne, j’expérimente ma pauvreté foncière et s’accentue la certitude que « l’oraison est un don de Dieu avant d’être une activité de l’homme. […] Alors, appelez humblement l’Esprit Saint, il est notre maître à prier… Prenez conscience, je ne dis pas de la présence de Dieu, mais du Dieu présent : le Grand Vivant, qui est là, vous attend, vous regarde, vous aime. Il a son idée sur cette oraison qui commence et vous demande d’adhérer pleinement à ce qu’il en veut », écrit le Père Caffarel. L’oraison est passivité active :
Ce n’est pas toi qui fais Dieu mais c’est Dieu qui te fait.
Si tu es l’ouvrage de Dieu, attends patiemment la main de ton artiste,
qui fit toute chose en temps opportun.
Présente-Lui un cœur souple et docile
et garde en toi la forme que t’a donnée cet artiste,
ayant en toi l’eau qui vient de Lui
et faute de laquelle, en t’endurcissant,
tu rejetterais l’empreinte de ses doigts.
Saint Irénée de Lyon
Tout cela est très beau, et j’en expérimente bien sûr quelque éclat. Mais, peu à peu, au-delà des obstacles extérieurs (pas le temps, distractions…), vient l’expérience profonde, parfois désespérante, que la source de mon cœur semble encombrée, que j’ai le cœur sec ! Un Père de l’Eglise, Origène, nous parle de cette opacité : « Chacune de nos âmes contient un puits d’eau vive, il y a en elle une image de Dieu enfouie. C’est ce puits que les puissances adverses ont obstrué de terre… »
« Puissances adverses » ou blessures de vie, fausses croyances sur moi et sur Dieu, fantasmes, exigences infondées ; mais aussi péché, en tant que « grande infirmité empêchant l’homme de trouver la joie véritable. L’homme se bloque sur une créature quelconque érigée en absolu (idolâtrie) et principalement la créature qu’il est lui-même ; il perd alors sa transparence » (J.M. Aubert).
Les difficultés que je rencontre dans l’oraison sont souvent la partie visible d’obstacles plus fondamentaux qui font que ma relation à Dieu et à moi-même est engorgée, troublée, distendue.
« Ce qui donne la paix du cœur, ce n’est pas de vivre des choses agréables, c’est de consentir au réel tel qu’il est » (Fr. Denis-Marie Ghesquières). L’oraison est cette « caisse de résonance » où je choisis de me confronter et d’accueillir tout ce que je suis, donc aussi ce qui me trouble, me déconcerte, m’angoisse, non pour m’y complaire ou m’y blesser davantage mais, en présence de Dieu, pour m’abandonner à Lui : « Ne gardez pour vous rien de vous afin que vous reçoive tout entier celui qui se donne à vous tout entier », invite saint François (Lettre à tout l’Ordre).
Revenons au texte d’Origène : « Car il est là, le Verbe de Dieu, et son action actuelle est d’écarter la terre de vos cœurs à chacun, pour faire jaillir votre source. »
Voilà ce qu’est le Salut ! L’œuvre permanente du Christ mort et Ressuscité qui, au fond de moi, écarte, patiemment les scories de mon cœur pour en libérer et purifier la Source. Comme on effeuille un artichaut pour en atteindre le cœur.
L’interpellation de Jésus « qui perdra sa vie à cause de Moi et de l’Évangile la sauvera » (Marc 8,35) peut être entendue et vécue en ce sens. Chercher à habiter mon cœur profond pour être à Dieu et de Dieu ‒ homme ou femme nouveau ‒ exige que je renonce à mon moi superficiel, égotique et conflictuel que je défends avec tant d’énergie : point d’honneur, volonté propre, maitrise, perfectionnisme, victimisme, indépendance… Le Christ, Lui, me mène à la Vérité de ma ressemblance avec Lui – femme ou homme nouveau en Lui ‒ là où je me sais « de Dieu et pour Dieu » dans la paix de sa Présence accueillie.
Dans l’élan de cette intimité qui se creuse avec le Christ, l’oraison m’ouvre aussi à la Vérité de Dieu qui se révèle toujours davantage comme un Être Relationnel, ainsi que le décrit si merveilleusement Maurice Zundel : « En Dieu, la personnalité est relation pure, elle est désappropriation, elle est un pur regard vers l’Autre, elle est un dépouillement, une pauvreté, une innocence, une enfance, elle est un Amour ! » (Pour toi qui suis-je ? Paris, Sarment-Editions du Jubilé 2006).
EXERCICE
Pour mon oraison : une intégration Trinitaire, en 4 temps :
1/ Sur une expiration profonde jusqu’au creux du bassin, je murmure : Père je te bénis, Toi la Source que je rejoins, d’où je me reçois… Je m’en remets à Toi !
2/ Sur une inspiration large qui m’habite tout entier : Seigneur Jésus, sauve-moi, me laissant habiter par ce désir aigu de vie en plénitude que Lui seul peut me donner. « Toi seul ! »
3/ Sur une nouvelle expiration profonde : Saint Esprit Tu es ma vie dans la liberté d’être qui je suis, en m’abandonnant à Lui dans le vide de l’expiration.
4/ Inspiration : Amen ! Oui ! Acquiescement à ce qui est : « Dieu est et cela suffit ! » dit saint François.
Plus ma respiration, avec le temps, gagne en amplitude et simplicité, plus cette prière devient paisible et essentielle. À chacun la liberté de l’adapter.
Bibliographie et textes pour aller plus loin…
BIBLIOGRAPHIE
Deux livres références sur les fondements de la vie spirituelle, pour éclairer ce chemin intérieur.
Au gré de sa grâce. Propos sur la prière, André Louf, Artège, mai 2018, 232 p. 9,90 €.
Comment connaître le chemin qui mène à Dieu ? Comment être assuré d’aller à lui sans être victime d’illusions ? Quels critères permettent de jauger à sa juste valeur une expérience personnelle de prière ? Dom André Louf répond à ces questions, en partant de sa propre pratique de la vie contemplative. Il décrit et éclaire quelques-unes des voies les plus fondamentales d’une recherche de Dieu, à la lumière de l’Évangile, sous le regard du Christ. Les croyants qui cherchent Dieu éprouvent tous quelques difficultés à capter la longueur d’onde exacte sur laquelle il faut s’établir. Ceci justifie le titre de ce livre : « Dieu Au gré de sa grâce ». L’important n’est-il pas de savoir comment s’accorder et consentir à l’amour de Dieu ?
Moine trappiste, auteur de nombreux ouvrages de spiritualité, Dom André Louf est mort en 2010 à l’abbaye du Mont-des-Cats. Père abbé de cette abbaye durant 35 ans, de 1963 à 1997, il devient ermite après avoir rendu sa charge. Sa personnalité et ses écrits l’ont imposé comme l’un « des maîtres spirituels du christianisme contemporain« .
Bréviaire du colimaçon : sur la vie spirituelle, Jacqueline Kelen, Desclée de Brouwer, octobre 2025, 153 p., 7,90 €.
« Il s’agit bien pour le chercheur de Dieu de conjuguer l’ardeur du désir et la lenteur du pas, la ferveur et la longue patience ; de ne pas brûler les étapes et de toujours couver son feu. Voilà pourquoi l’escargot plus que le guépard offre une juste image du pèlerin spirituel. »
Avec clarté et sur un ton personnel, cet essai rappelle en quoi consiste une démarche spirituelle, en s’appuyant sur la philosophie antique, sur les évangiles, ainsi que sur les écrits de théologiens et de mystiques chrétiens. Une invitation joyeuse à bâtir la maison intérieure.
Un petit livre, peu cher, éclairant et stimulant.