Propos recueillis par Émilie REY
Fr. Éric Moisdon est gardien de l’ermitage de la Cordelle, à Vézelay. Il revient sur son parcours vocationnel marqué par une soif de la liberté de l’Esprit et le désir de devenir vraiment homme et frère, serviteur, à plein temps !
Je viens d’une famille catholique pratiquante d’un petit village, Missillac, situé près de Saint-Nazaire. Être chrétien, chez nous, passait par des actes : prière en famille, pratique dominicale obligatoire et service de l’autel, clubs ACE (Action catholique des enfants) et MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne). Papa était souvent absent le soir pour les conseils d’écoles, de mairie… Tout cela était vécu avec un brin de volontarisme, de conformisme, de devoir de “partager ses talents”. Expérience marquante : nous avons hébergé à la maison, pendant plus de 17 ans, un ouvrier forestier de papa qui, jusque-là, dormait dans une écurie.
Rodé au rythme quotidien de la prière du soir, j’ai eu la chance, au collège, de découvrir une prière plus intérieure. Je participais au MEJ (Mouvement eucharistique des jeunes) et, chaque lundi midi, un frère de l’Instruction chrétienne proposait une initiation à la prière intérieure intégrant le corps. Cela a transformé ma perception de Dieu et inscrit en moi une conviction encore centrale aujourd’hui : avant d’être une morale et une institution, le christianisme est d’abord une spiritualité, une rencontre, une relation vivante avec Dieu. L’expérience de la prière personnelle s’est poursuivie au lycée. C’est à cette époque que j’ai découvert Taizé et ces longs temps de prière que l’on pouvait vivre ensemble, dans un climat de beauté des chants, de sobriété et dans la simplicité de la vie et des rencontres. Durant ces années, je fis la découverte de l’Esprit saint et de la louange par le Renouveau charismatique. Nous nous retrouvions aussi entre jeunes des paroisses avec des prêtres de la Mission de France.
APPELÉ AILLEURS
À Taizé, j’avais rencontré une jeune femme avec qui commença à se poser plus clairement la question de l’orientation que je comptais donner à ma vie. La panique qui s’empara alors de moi m’amena à recourir à un accompagnateur jésuite. Il m’aidera, par la suite, à structurer ma vie spirituelle. Disant “non” à la vie de couple, je me suis alors mis en quête de cet “ailleurs” que je pressentais très confusément. Durant un an, je me suis donné du temps pour faire des expériences en monastère cistercien, à l’Arche de Lanza del Vasto, en séjour de personnes handicapées, tout en travaillant un peu tout de même ! Un prêtre de ma paroisse m’avait posé la question de la prêtrise. Le Seigneur m’y a ramené par des prises de conscience assez concrètes comme la perception du vieillissement des prêtres et l’idée que l’eucharistie mais aussi le sacrement de réconciliation allaient peut-être manquer à l’Église. Cependant, la vie diocésaine ne m’attirait pas. Je n’aurais pas tenu longtemps seul dans une paroisse. J’ai réalisé que : “si tu veux témoigner de l’amour, tu dois d’abord le vivre concrètement dans l’accueil de l’autre au quotidien”. Petit à petit, la vie communautaire m’est apparue comme un soutien nécessaire mais d’abord un lieu d’apprentissage de l’amour.
Après le baccalauréat forestier, et cette année de césure, je devais effectuer mon service national et j’hésitais sur la formule : témoigner de ma foi à l’armée ou me mettre en marge selon le goût que j’avais développé pour la non-violence ? Je rencontrais alors le nouveau directeur de l’école forestière de Meymac, en Corrèze, qui m’annonça qu’ils cherchaient un objecteur de conscience. J’ai perçu cela comme un signe. Ce fut pour moi un acte militant, en vue d’une société plus pacifique et écologique. Je me retrouvai donc pour 21 mois sur le Plateau de Millevaches, ancien de l’école forestière, avec une grande liberté d’action. J’ai pu lancer un petit groupe de prière avec des élèves, faire du catéchisme, animer les messes… et prendre du temps pour avancer dans mon questionnement. Chaque semaine, je vivais un jour de désert chez les sœurs cisterciennes.
UN CHARISME VÉCU EN FAMILLE
C’est à ce moment-là que j’ai pris contact avec la Famille franciscaine car mon père offrait un pèlerinage à Assise à mes frères et à moi. On me renvoya vers une sœur franciscaine, à Limoges. Clin Dieu ? Sœur Monique Cueye participait au Service diocésain des vocations que j’ai alors rejoint. Un lieu précieux pour avancer avec d’autres. Les sœurs m’invitèrent à rejoindre un parcours de découverte de la vie franciscaine, “Horizon fraternité”, qu’elles animaient avec Fr. Georges-Pierre Husselman. Il venait de Fontenay-sous-Bois, tous les mois. Il avait lancé les Routes d’Assise qui avaient lieu en juillet et en août. J’ai alors découvert saint François, la centralité de la prière et de la vie de l’Esprit dans sa vie : la simplicité et la joie auxquelles j’aspirais, une évangélisation de plain-pied ! J’étais attiré par le fait que ce charisme était vécu concrètement en Famille, dans une égalité des vocations. C’est l’Église à laquelle je voulais contribuer. La simplicité et la douceur de Fr. Georges-Pierre me touchaient et faisaient écho à mon désir. Cette manière d’être frère et prêtre me rassurait sur le fait que le prêtre ne doit pas nécessairement être le “centre de tout” et qu’il est garant que l’Esprit est donné à tous.
Dans ce groupe, je rencontrais Élisabeth Robert et Corinne Tallet qui, elles aussi, répondront à l’appel de Dieu en devenant sœurs de saint François d’Assise. Lorsque les choses mûrirent, je me souviens m’en être ouvert à Sr. Monique qui me demanda alors : “Est-ce que tu es heureux ?”. À ma réponse affirmative, elle ajouta : “Eh bien écoute, ne te pose pas trop de questions !”. Quelques mois plus tard, je poussais la porte des frères de Rennes, accueilli par frère Henri, Jean, Georges, Jean-Marie et Roger… mes frères !