Toujours dans notre série d’articles nous emmenant dans les couloirs du “Louvre franciscain” (voir en bas de page), nous vous proposons ici une œuvre qui ne concerne non pas saint François mais saint Antoine, et nous plonge dans le récit d’un miracle étonnant.
Avant de lire ce tableau en détail, quelques éléments de contexte qui permettent de comprendre la scène qui se déroule sous nos yeux : ici est représenté un miracle de saint Antoine à Rimini, en Italie du nord où était établie une secte cathare. L’un de ses membres, du nom de Bononillo, se moquait de la prédication de saint Antoine sur la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. “Frère, si la mule s’inclinait devant l’hostie consacrée, croirais-tu ?” lui propose Antoine. “Oui, à condition toutefois que ma mule, auparavant, n’ait rien mangé durant trois jours !” Le quatrième jour, Antoine paraît en public avec le Saint-Sacrement. Et à côté de lui, on a versé tout un sac d’avoine bien dorée. Bononillo amène sa mule affamée. Elle flaire l’avoine, regarde le Saint-Sacrement et soudain, s’agenouille devant l’hostie. Alors Bononillo se convertit.1
SAINT ANTOINE ET LA VIERGE À L’ENFANT
Que voyons-nous ? La scène se passe dans une rue encadrée par deux bâtiments. La rue est représentée en perspective fuyant vers la campagne en arrière-plan. Le peuple qui assiste au miracle est collé aux maisons. Leurs gestes, leurs attitudes, leurs regards, montrent qu’ils sont en train de commenter la scène.
Le miracle est représenté au centre du tableau dans une construction pyramidale. Au premier plan et de chaque côté, la mule s’agenouille tandis que son maître lui présente un plat d’avoine. Au sommet du triangle, saint Antoine, debout, est représenté dans l’attitude déhanchée d’une vierge à l’enfant du XIVe siècle, portant une fleur de lys dans sa main droite. De même, le saint porte haut dans sa main droite le Saint-Sacrement qui ressemble à une fleur de lys rouge, à la fois comme le symbole de la pureté de la Vierge et de la passion du Christ. Tout le mystère de l’incarnation est subtilement résumé dans cette image. Est-ce un hasard ? Certainement pas puisque l’intention est de prouver la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie. De sa main gauche, saint Antoine désigne le miracle.
LE SAINT-SACREMENT, MÉMORIAL DE LA PASSION
Comme on pourrait le croire, la mule ne s’agenouille pas devant le plat d’avoine que lui présente son maître… Au contraire, elle le dédaigne, bien qu’elle soit à jeun depuis plusieurs jours. Elle s’agenouille devant le mystère invisible qu’elle sent d’une certaine manière. Un homme, derrière la mule, est en train de s’incliner en regardant l’ostensoir porté par saint Antoine comme pour nous dire où il faut regarder, où est le mystère.
Si vous regardez bien la rue qui plonge vers l’arrière et les deux maisons de chaque côté, cela forme comme un espace très vertical bien marqué par la limite de l’ombre et de la lumière qui traverse le saint. Il y a comme un tableau dans le tableau. Les lignes convergent vers le Saint-Sacrement et vers un étrange personnage à peine visible au fond de la rue, les bras étendus. Sa main touche à la fois un arbre et semble effleurer l’ostensoir-fleur. Devant lui, un moine franciscain, reconnaissable à sa capuche, s’incline. En face d’eux, il y a un soldat debout portant une tunique, comme le soldat au pied de la Croix. On dirait bien une représentation d’un calvaire. Ainsi le peintre a rendu visible l’invisible, le mémorial de la passion en arrière-plan.
LES YEUX DE LA FOI… ET DE LA CRÉATION
Nous pouvons nous demander pourquoi le peintre n’a pas peint une hostie devant la mule et pourquoi il a préféré un ostensoir rouge qui cache l’hostie. Nous sommes avant le concile de Trente et l’Église n’a pas encore entamé sa réforme liturgique et iconographique qui la conduira à montrer ostensiblement l’hostie dans les tableaux afin de convaincre les fidèles. Ici tout est subtilité, le mystère de la présence réelle dans l’hostie est caché et seuls les yeux de la foi peuvent le comprendre. Ce qui est dénoncé à travers cette histoire, ce n’est pas l’hérésie cathare, tant combattue par saint Antoine, mais bien le protestantisme qui remet en cause les dogmes catholiques et en particulier celui de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.
La touche franciscaine à travers ce miracle nous fait aussi rentrer dans une “approche franciscaine” de la Création : “Considère, ô homme, dans quelle excellence t’a placé le Seigneur Dieu : Il t’a créé et formé à l’image de son Fils bien aimé quant au corps et à sa ressemblance quant à l’esprit. Et toutes les créatures qui sont sous le ciel, chacune à sa façon servent leur Créateur, le connaissent et lui obéissent mieux que toi.” (Admonitions de saint François, n°5)
Cécile LANGLOIS, OFS
guide conférencière
- Évangile aujourd’hui, saint Antoine de Padoue, n° 166. ↩︎