Vous avez dit “Totum” ?

Le Totum, compilation des toutes les sources franciscaines
L’enjeu étant non seulement de faire connaître saint François mais aussi d’animer les fraternités du tiers-ordre.

Le 30 juillet 1968, paraissait aux Éditions franciscaines un livre de 1600 pages sobrement intitulé Saint François d’Assise, désormais surnommé « Totum« . Derrière cette banale apparence, un ouvrage de référence qui a révolutionné l’accès et la connaissance des sources franciscaines. Récit.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les franciscains ne connaissaient pas la totalité des écrits de saint François et n’avaient accès qu’à quelques sources biographiques, en latin : la Vita prima de Celano, la Legenda major de saint Bonaventure et les Fioretti. Dans les noviciats, les franciscains des générations d’avant-guerre n’étudiaient donc saint François qu’à partir de ces sources. Seule la Legenda major de Bonaventure avait été traduite en français et imprimée au XVIe siècle ! Il faut attendre le XIXe siècle pour voir apparaître la première traduction française d’une source majeure : les Fioretti, traduites par Frédéric Ozanam. À la même époque, le pasteur protestant Paul Sabatier publie la première vie moderne de saint François qui deviendra vite un ouvrage de référence pour les historiens franciscains.

LES SOURCES RETROUVÉES

À la fin du XIXe siècle, en vue d’éditions critiques, un inventaire des bibliothèques d’Europe est réalisé. Surprise générale : à la bibliothèque communale d’Assise, dans un manuscrit resté jusque-là inconnu, on retrouve la première Règle, le Cantique des créatures ou encore les Admonitions de saint François. Du XIVe au XIXe siècle, les franciscains ne connaissaient donc pas la première Règle, un texte fondamental pour nous, l’essence même de la spiritualité franciscaine ! De même pour le Cantique des créatures : on savait qu’il existait mais sans en connaître le texte original.
En France, Fr. Pol de Léon Albaret (1906-1986), fondateur des Éditions franciscaines (1934), est alors désireux de faire connaître ces écrits “redécouverts” au tiers-ordre et aux frères. Il charge un prêtre séculier, l’abbé Paul Bayart, de la traduction française. Cela donne naissance, en 1945, au petit ouvrage, Les opuscules de saint François (latin-français), qui sera distribué à tous les frères.

UN ENJEU PASTORAL

Au début des années 1960, Fr. Jean-François Barbier, Ministre provincial de Paris, insiste pour que soit mis à disposition l’ensemble des sources franciscaines en traduction française. Commence alors la réalisation d’un corpus franciscain appelé “Totum”, du latin “le tout”, centré sur les sources qui se situent entre 1215 et 1325 environ. Une entreprise ambitieuse et jamais réalisée jusque-là, qui sera confiée aux frères Damien Vorreux (1922-1998) et Théophile Desbonnet (1923-1988). Ces deux professeurs se mettent chacun à l’œuvre, Damien avec un intérêt littéraire et Théophile, mathématicien, un intérêt scientifique. Ce dernier emploie une méthode statistique, à partir des textes du XIIIe siècle, pour vérifier la filiation littéraire des différents manuscrits.
Derrière un tel chantier, il y a avant tout un but pratique : favoriser la vie spirituelle et l’apostolat des frères. L’enjeu étant non seulement de faire connaître saint François mais aussi d’animer les fraternités du tiersordre. D’où l’idée d’avoir quelque chose de compact, un ouvrage facilement transportable.

UN SUCCÈS INTERNATIONAL

L’ouvrage paraît en 1968 et c’est tout de suite un succès ! Rapidement, les Américains (1972), les Italiens (1977) puis les Espagnols (1978) éditent leur propre “Totum” en s’inspirant de cette version française. Dix ans après, un “Totum” paraît également sur sainte Claire, puis sainte Élisabeth plus récemment.
Enfin, en 2010 est édité un nouveau “Totum” en deux volumes, supervisé par l’historien Jacques Dalarun : François d’Assise, écrits, vies, témoignages. Plus épais, il tient compte des découvertes de textes franciscains et des travaux de recherche qui ont été réalisés entre 1968 et 2010. Ce dernier ouvrage se fait remarquer par la qualité des introductions à chacune des œuvres, rédigées par de bons spécialistes des œuvres médiévales et de l’histoire de la pensée franciscaine.

Fr. Luc MATHIEU, OFM

Contact