Saint François au Louvre – « Tu es mon Dieu, tu es mon tout »

Ce n’était plus un homme qui priait, c’était la prière faite homme.

Thomas de Celano, dans sa biographie de François écrit : « Le creux du rocher était son nid préféré, son âme contemplative était heureuse de trouver, au cours de ses randonnées, une cabane en plein solitude, là dans les blessures du Sauveur, tout entier vidé, il restait très longtemps. Ce n’était plus un homme qui priait, c’était la prière faite homme. »

Pour évoquer ce thème de la prière chez François, j’ai choisi deux tableaux du milieu du 17ème siècle. Le premier est un tableau de l’école italienne du peintre Francesco Albani, l’autre du célèbre Greco. L’un est visible dans le musée du Louvre, l’autre provient aussi du Louvre mais est actuellement en dépôt au musée Goya de Castres.
Albani représente Saint François solitaire dans la douceur d’un paysage ombrien, le Greco est centré sur la figure du saint qu’il montre de face sur un fond sombre en conversation avec Frère Léon. On trouve des similitudes dans la douceur des figures mais une ambiance bien différente par le choix des couleurs.

AMBIANCE MEDITATIVE

Dans les deux œuvres, Saint François prie dans le creux du rocher. Un rayon de lumière céleste venant du haut du tableau, à gauche, illumine discrètement la scène. L’ambiance est méditative. Notre œil est attiré par ce crâne que tient saint François dans ses mains stigmatisés. Au 17ème siècle cette iconographie d’un saint en prière, la main posée sur un crâne est fréquente pour évoquer la futilité de la vie mondaine et la nécessité de la conversion.
Francesco Albani nous montre un saint François les yeux levés vers le crucifix une main posé sur le crâne adossé aux livres des évangiles, l’autre porté sur son cœur. Un subtil jeu de courbes et de contre courbes entre l’entrée de la grotte et le corps du saint vient suggérer le cœur à cœur du saint avec Dieu. La contemplation de la croix lumineuse est bien au centre de la prière de François. Rien n’indique la souffrance, c’est une méditation emprunte de douceur.

UNE PRIERE DE LOUANGE

Mais, il y a un autre aspect de la prière franciscaine qui est suggéré ici. Regardons la grotte ouverte sur un paysage.  Une branche d’arbre s’accroche dans l’ouverture, un magnifique ciel, composé de couleurs pastel emplit l’espace, au loin une montagne en forme de pyramide symbolise l’élévation de la pensée vers Dieu. La prière du saint est comme « branchée » sur la nature. Pour François, toute la création chante les louanges de Dieu et l’homme vit en communion fraternelle avec elle. Nous pouvons presque l’entendre chanter son célèbre cantique : « Loué sois tu mon Seigneur avec toutes tes créatures » « Loué sois-tu, par Frère Soleil, par sœur Lune et les étoiles par frère vent, par frère Feu, par sœur notre mère la Terre. »

L’HUMBLE PRIERE D’UN SIMPLE MORTEL

Chez Greco, pas de nature ni de paysage, juste une petite ouverture dans le coin supérieur gauche d’où sort la lumière divine. La grotte enveloppe François qui se tient à genoux, son visage est tourné vers le bas et regarde son compagnon, Frère Léon, adossé au rocher à ses pieds. C’est une sainte conversation. Les deux frères sont en communion dans leur méditation silencieuse. François est représenté de face tenant un crâne. Il le porte à l’envers comme si le visage et le crâne se renvoyaient leur image dans un miroir. Comme si François disait à Frère Léon que son beau visage est destiné à devenir ce crâne. La position des mains ouvertes tenant à peine le crâne indique l’acceptation de cette condition mortelle.  Un jeu subtil de noir et de gris compose les bures, les visages et les mains des deux hommes. La finesse des traits, les visages très émaciés, la blancheur des chairs et des bures et l’atmosphère blafarde pourraient sembler morbide. C’est une méditation sur la mort et cependant, ce n’est pas triste. Aucun désespoir dans les visages, au contraire une sérénité se dégage de ce tableau.

DE LA MORT À LA RÉSURRECTION

La lumière blanche et sépulcrale qui semble émaner des corps des deux saints, rayonne comme pour dire que toute vie est certes mortelle mais est destinée à être illuminée par Dieu manifesté par le rayon doré et chaud qui surgit à gauche du tableau. D’ailleurs remarquez que la tête de François est penchée vers le rayon divin. Nous pouvons penser au dernier paragraphe du Cantique des créatures. François chante « Loué sois-tu mon Seigneur, par sœur notre mère la mort, heureux ceux qu’elle surprendra faisant ta très sainte volonté car la seconde mort ne pourra leur nuire. »
Ces deux tableaux illustrent l’originalité de la prière franciscaine. Elle est centrée sur le Christ mais n’est pas solitaire elle est ouverte à la dimension fraternelle avec la création. Toute la création est un reflet de la gloire de Dieu et même la mort n’est pas à craindre car elle permet l’union avec Dieu. « La prière franciscaine célèbre naturellement la beauté des créatures parce qu’elle est d’abord et fondamentalement une plongée, jusqu’aux racines de l’être créé. Il en va de même, plus largement de la spiritualité franciscaine, qui est une spiritualité de la profondeur, une spiritualité du cœur » écrit François Delmas-Goyon dans son livre Saint François d’Assise, le frère de toute créature. [1]

Cécile LANGLOIS, OFS
guide conférencière


[1] Saint François d’Assise, le frère de toute créature. François Delmas-Goyon, Editions Parole et Silence 2008. Collège des Bernardins

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