“Garde-moi en ta présence, Jésus”

Je découvrais que c’est Lui qui m’avait porté quand je n’arrivais plus à continuer.

Les fidèles des grottes de Saint-Antoine, à Brive, ou ceux du couvent de la rue Marie Rose, à Paris, connaissent son doux sourire. Pour En frères et pour que le nom de Jésus soit proclamé, Marie a accepté de nous partager sa conversion.

Tout commence en Iran, à la fin des années 50, Mariam (Marie) grandit dans un milieu laïc : “Ma mère était pratiquante et tolérante, mon père un communiste et un athée convaincu.” À 15 ans, l’adolescente se pose beaucoup de questions : “J’étais très sensible aux situations des femmes battues, aux maltraitances des enfants, aux viols, incestes, à toute injustice sociale.” Elle ajoute : “J’étais convaincue que Dieu n’existait pas et que toutes les misères du monde venaient de cette croyance.” Pendant plus de dix ans, elle se réentend proclamer aux femmes qu’elle accompagne lors de campagnes d’alphabétisation, dans les bidonvilles : “Vous acceptez votre misère parce que vous croyez en Dieu !”

PREMIÈRE RENCONTRE

“Je t’appelle au jour de ma détresse, et toi, Seigneur tu me réponds. Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité” (Ps 85). La révolution islamique passée par là, Marie est condamnée à la clandestinité alors qu’elle porte son premier enfant. “Il y avait une odeur de mort ; tous les jours, on rapportait des exécutions et c’est comme si c’était moi qu’on assassinait.” Alors que son fils est âgé de 18 mois, elle doit quitter le pays.
Après bien des frayeurs, des contrôles de police et des centaines de kilomètres à travers l’Iran et le Kurdistan, elle se retrouve, en Turquie, prise dans une tempête de neige. “J’ai regardé mon bébé qui criait et j’ai pu voir la peur dans ses yeux. Là, pour la première fois de ma vie, avec tout mon cœur, toute mon âme, tout mon être, j’ai prié Dieu. Je lui ai dit : “Sauve mon fils.”” Trois semaines plus tard, la petite famille arrive à Paris. Parlant couramment anglais, Marie trouve du travail dans un hôtel du 15e arrondissement. “Le père de mon fils écrivait un livre sur les conditions objectives de la Révolution iranienne.” Marie le laisse se consacrer à l’écriture…
Mais le couple doit faire face à un autre souci : “Mon fils était très agité, il pleurait sans arrêt, il ne dormait pas le soir. Il ne parlait plus, il criait, je n’arrivais plus à le comprendre, alors nous sommes allés plusieurs fois à l’hôpital.” Les médecins leur annoncent “un certain traumatisme, des troubles de comportement et qu’il y aura besoin de temps…” Trente ans plus tard, son fils sera diagnostiqué autiste.

DEUXIÈME RENCONTRE

“Je n’ai de repos qu’en Dieu seul, mon salut vient de lui. Lui seul est mon rocher, mon salut, ma citadelle : je suis inébranlable” (Ps 61). Les problèmes de santé de son fils ne font qu’assombrir les relations difficiles avec son mari. “Il parlait sans arrêt de divorce et me renvoyait la faute. J’allais voir nos camarades et je pleurais. Je ne voulais pas que mon fils soit écartelé et qu’il grandisse sans famille.”
À l’indifférence croissante s’ajoute la tromperie : “La solitude me brûlait jusqu’à la mœlle osseuse. J’ai vu le naufrage de mon âme, la chute de toutes les valeurs et des principes de vie auxquels je croyais. J’ai entendu l’effondrement de mon être, je ressemblais plus à un cadavre qu’à un être humain. Je vivais la désolation et, en une fraction de seconde, j’ai pensé à Dieu. Je lui ai dit : “Donne-moi la force d’affronter” et je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé. Une sensation de légèreté et de calme s’est emparée de moi.”
En ce mois de février 1984, en pleine nuit, Marie demande à son mari de partir. “Les trois premiers mois furent très difficiles, j’avais perdu mon travail, je n’avais plus de contact avec ma famille car c’était l’époque de la guerre Iran-Irak. Mon mari avait pris toutes les économies, je n’avais plus rien… Intellectuellement, je pouvais définir la pauvreté et la précarité mais je ne les avais encore jamais vécues… Là je les vivais.”

DE LA FORCE D’ÊTRE MÈRE

“J’ai fait le choix de ramasser les poubelles des restaurants et des marchés plutôt que d’être soumise à un homme qui ramène sa copine tous les soirs à la maison. Je voulais rester fidèle à moi-même, même si j’étais devenue une invisible. J’avais faim d’un regard ou d’un sourire.”
Marie, inlassablement, poursuit le combat aux côtés d’associations qui luttent contre la lapidation des femmes, distribuant des tracts devant l’Unesco et l’ambassade d’Iran en France. Sa situation se stabilise peu à peu, grâce à l’aide de sa famille. Et son fils trouve une place dans un hôpital de jour. “Quand tu as un enfant handicapé, la société t’ignore, tu n’as pas d’amis, tu n’existes pas. Ce n’est pourtant pas contagieux d’être handicapé, cela fait peur, l’inconnu fait peur, mais une maman ne baisse jamais les bras, une maman a le courage d’affronter la réalité, une maman ne doute jamais de ses forces. L’amour d’une maman est infini. J’avais la chance d’être mère.”

TROISIÈME RENCONTRE

Un jour d’avril 1986, Marie prend un livre dans une bibliothèque, sur la couverture est écrit : Évangile de Jésus-Christ. Les premières paroles de Dieu qu’elle recevra seront : “J’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez accueilli chez vous ; j’étais nu et vous m’avez habillé ; j’étais malade et vous avez pris soin de moi” (Matthieu 25, 35). “Je suis près de toi, n’aie pas peur !” (Ps 62). Quarante ans plus tard, Marie n’arrive toujours pas à mettre de mots sur ce qu’il s’est passé à cet instant : “C’est indéfinissable. Durant toute ma vie, toute mon existence, tout mon combat… j’ai réalisé qu’Il était toujours là, près de moi, oui Jésus marchait avec moi. Il était là et moi j’étais aveugle, Il était patient et je n’ai même pas pensé à Lui. J’avais oublié l’avoir appelé à mon secours par deux fois et je découvrais que c’est Lui qui m’avait porté quand je n’arrivais plus à continuer.”
Le lendemain, Marie rentre dans une église, c’est la Semaine sainte. “Il y avait du monde qui faisait la queue pour entrer dans une “boîte”, alors j’ai attendu mon tour et je suis rentrée dedans. J’ai dit : “Bonjour Monsieur, je suis chrétienne.””
Le prêtre lui propose de la revoir le lendemain. Quand il la questionne sur ses connaissances du christianisme, Marie répond en vérité : “Les indulgences, les Croisades, l’Inquisition, la Saint-Barthélemy…” Elle découvre peu à peu ce que sont le baptême et le catéchisme. “J’avais 30 ans quand j’ai participé à mon premier cours de catéchisme et quand on a parlé de l’eucharistie, je me suis dit que j’étais en train de devenir cannibale !”, se souvient-elle en riant.

JÉSUS, TERRE DE LIBERTÉ

Marie continue à fréquenter les églises. “J’ai parcouru beaucoup de chemin avant d’arriver dans la terre de la liberté, la terre de Jésus.” À Pâques 1990, elle reçoit le baptême et aime aujourd’hui signer ses petits messages ainsi : “Marie, la fille du Père”. Marie chemine aux côtés de saint François, un saint patron qui, lui aussi, a connu la fragilité comme un “chemin vers Dieu, un chemin de dépouillement intérieur, un acte d’abandon dans les bras du Christ.”
“Il ne faut pas avoir peur de sa fragilité, ni la fuir, ni l’ignorer car c’est là que Dieu est présent et que les rayons de sa grâce peuvent nous envelopper. Ma fragilité est le lieu de la rencontre entre moi et Jésus sur la Croix.” Elle conclut : “J’ai vu la grandeur de Dieu dans ma détresse, j’ai vu l’immensité de son amour dans ma précarité. Dieu m’a donné la grâce. Ce que j’ai vécu, c’était la grâce dans les épreuves : colère, incompréhension, préjudice, remords, regret, peur… Tout cela, Dieu l’a changé en bien. Jésus m’a consolée, Jésus m’a fait confiance ; Il est acteur de ma vie. Je ne suis plus attachée à mon passé ; je ne pense même pas à mon futur ; je vis dans le présent, en présence de Dieu et je l’implore : “Garde-moi en ta présence, Jésus.””

Marie lors de son baptême.

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