Fr. Florent, aumônier des gens du voyage à Marseille

Frère Florent discute avec un papou, un grand-père sur le terrain du bas
Simplement être là, au nom de l’aumônerie, du Seigneur, de l’Église, des frères.

Il est arrivé à Marseille il y a bientôt deux ans, après des années à Vézelay où il était aumônier de prison. En “bon” franciscain, il s’est rapproché de son nouveau diocèse avec le désir de servir les plus petits. Le voici engagé au sein de la pastorale des gens du voyage. Nous avons fait un bout de chemin avec lui…

“On va prendre le métro puis changer à Bougainville pour prendre le bus qui passe près du terrain du haut.” Dans le brouhaha ambiant du quartier de Noailles, non loin du Vieux-Port, Fr. Florent se démarque dans le paysage par son calme et son pas tranquille. Il a accepté que je l’accompagne pour une après-midi chez les gens du voyage. Une nouvelle mission confiée par le diocèse à son arrivée à Marseille moins d’un an auparavant, mais qu’il a longtemps exercée par le passé.

RÉPONDRE AUX APPELS DE L’ÉGLISE

Pendant 14 ans, Fr. Florent a “fait ses armes” à l’aumônerie des gens du voyage de Dole (39). “Le matin, les familles venaient chez nous, pour prendre un café et leur courrier. L’après-midi et le soir, j’allais sur le terrain. Ma mission consistait avant tout à être une présence.” Puis il passe les 15 années suivantes en tant qu’aumônier de prison à Liège, Lyon, Lille puis Joux-la-Ville près de Vézelay.
Un parcours de ville en ville qui raconte aussi une fidélité toute franciscaine à “notre sainte Mère l’Église” (Lettre à tous les clercs) : la mission se reçoit de l’Église, elle est un appel. C’est ainsi qu’en rejoignant la fraternité franciscaine de Marseille, rue de La Palud, notre frère aumônier est invité par le diocèse à reprendre une mission chez les gens du voyage. Il est introduit dans un premier temps par un frère lazariste engagé depuis 10 ans dans cette même mission et qui l’aide à instaurer un lien de confiance.

LA MISSION : UNE PRÉSENCE

Ainsi, tous les mercredis, il part visiter les gens du voyage dont les logements sont répartis sur deux terrains au nord de la cité phocéenne : le “haut” et le “bas”. Dans les transports en commun, nous échangeons sur sa mission. Je le questionne sur le livre qu’il porte dans un sac, L’Évangile pour les enfants. “Je suis très en lien avec la paroisse proche de là où habitent les gitans, Saint-André. Si des paroissiens sont intéressés, je propose de faire le catéchisme aux enfants. Car si beaucoup sont devenus évangéliques c’est entre autres parce qu’il n’y avait pas assez de présence catholique.” Cette année, il accompagne une dizaine de familles qui demandent le baptême de leurs enfants, ce qui représente vingt baptêmes.
En montant dans le bus, face à ces enjeux de présence catholique, nous parlons mission et évangélisation. Sur ce dernier mot, il précise : “Je dirai plutôt une présence. Oui c’est cela, simplement être là, au nom de l’aumônerie, du Seigneur, de l’Église, des frères… Sans s’imposer, ni imposer des choses de notre propre culture, avec nos propres idées… On s’adapte.”

Frère Florent rencontre Jeanne qui l'accueille sur le terrain du haut, des gens du voyage
Dans le premier village, Jeanne accueille spontanément Fr. Florent comme un ami.

EN TOUTES CIRCONSTANCES

Au bout du trajet, le bus nous dépose près du terrain du haut : à l’entrée, des barrières de chantier empêchent le passage des voitures et des visiteurs. Devant, un jeune fait des tours avec sa moto débridée. Florent me souffle : “Tu verras, il y a peut-être des guetteurs à l’entrée. Il faut parler un peu avec eux, montrer patte blanche, on ne rentre pas comme ça quand on est des gadjé (N.D.L.R. : non-gitans).”
“Ah, vous êtes un curé vous, non ? Vous cherchez quelque chose ?” demande un jeune à l’accent marseillais prononcé. “Oui, on va visiter des familles qu’on connaît, on fait partie de l’aumônerie catholique des gens du voyage.” “Je ne fais pas partie d’ici, je suis venu pour “jobber” (N.D.L.R. : travailler).” Il nous indique un autre jeune. Ce dernier n’a plus les traits d’une jeunesse “naïve”. Les yeux brumeux, il tient un joint à la main. Florent reprend en douceur son dialogue. “Je viens souvent voir Étienne, avec ses poules” complète-t-il pour rassurer. “Tu viens souvent ici ? Vous faites quoi ?” lance le jeune. “On fait partie de l’aumônerie, on discute un peu de la religion, de la foi, de la vie…” Arrive un troisième jeune, le discours recommence : “Bonjour, on fait partie de l’aumônerie catholique des gens du voyage et on connaît quelques personnes dont Étienne qui a les poules là-bas…” “Et vous avez quoi là ?” dit le jeune en désignant le sac que tient Florent. “Ça ? Ce sont des livres de prière.” En désignant une maison plus loin, le jeune répond : “Eux, ils en ont besoin.” “Tout le monde en a besoin” lance Florent avec un sourire bienveillant. Ce à quoi le jeune répond : “Bon, à plus !”
La mission n’est pas toujours là où on l’attend. Ici elle commence avec ces jeunes. Dans une situation qui pourrait désarçonner, je me laisse surprendre par la simplicité de ce dialogue où notre frère est en vérité avec l’autre, sans déguisement.

ÉCHANGE SIMPLE ET AMICAL

Nous entrons dans le “village” : des maisons sans étages, serrées les unes contre les autres, forment un point au milieu d’une unique rue circulaire. 45 familles sédentaires vivent sur ce terrain depuis les années soixante-dix, un projet dont l’un des initiateurs fut le Fr. Jacques Tronchon.
Fr. Florent se dirige vers une première maison. Jeanne nous accueille sous un porche. “Bonjour, ça va ?” “Ça va et vous !” nous répond-elle sur un ton jovial. Tous deux échangent sur le quotidien, la famille, la foi, etc. Avant de repartir, elle nous offre des bouteilles d’eau. “Au moins, vous aurez de l’eau fraîche pour la route !”
Nous partons en direction de la maison d’Étienne, qui vit à quelques pas d’ici avec ses enfants et petits-enfants. Il tient un élevage de coqs, impossible de manquer l’adresse ! Passé le portail, Florent toque à la porte-fenêtre. “Bonjour frère Étienne !” “Bonjour frère !” Autour d’un café, ils partagent sur le prochain pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Fr. Florent prend des nouvelles d’Étienne, est attentif à la vie de sa famille, demande les prénoms de chacun, leur travail, etc. L’échange est simple, amical. Une confiance qui semble si naturelle. “On va continuer notre petit chemin. Portez-vous bien !” “Merci frère !”
“Je ne fais pas de social, ça se limite surtout aux visites. L’essentiel est d’être le plus régulier possible” me partage Florent en repartant.

Frère Florent discute avec Etienne dans sa maison
Fr. Florent vit fidèlement sa mission à travers ces petits moments partagés dans la simplicité du quotidien, comme ici chez Étienne.

FIDÉLITÉ ET SIMPLICITÉ DU QUOTIDIEN

Au sortir du terrain, j’emboîte son pas, direction le “terrain du bas”, plus proche du littoral. Florent en profite pour me faire un bref cours sur l’histoire des gens du voyage. Gitans, manouches, roms, que savons-nous de ces gens, trop souvent rangés dans des catégories ? Comment sont-ils partis d’Inde pour arriver en d’Europe centrale au Xe siècle et en France au XIVe siècle ? Florent évoque leur sédentarisation et l’impact que cela a sur leurs dynamiques familiales… Dans un bout de jardin, une caravane est garée, servant de chambre. “Ça leur permet de garder un peu la culture” me dit Florent.
Il me conduit chez un papou (N.D.L.R. : grand-père) qui vit avec son fils et son petit-fils. Il nous accueille avec le sourire. Il travaille encore aujourd’hui, dans la ferraille. C’est un “ancien”, il a connu Fr. Jacques Tronchon puis Fr. Joël Lorenz. Une mission qui se perpétue de frère en frère. Après une quatrième visite, dans une famille qui nous invite chez elle et partage avec nous un simple moment du quotidien, nous repartons vers Noailles. En chemin, Florent me confie : “Ma mission, c’est d’aller vers les plus pauvres, les exclus. Et les gens du voyage sont d’une certaine façon des exclus, on ne les aime pas trop, on se méfie d’eux. J’aime bien aller les rencontrer, les visiter dans leur quotidien, accepter de manger avec eux, causer, prier…”

Henri DE MAUDUIT

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