Ce monde qui change rapidement doit-il nous inquiéter ? Et pourquoi nous inquiéterait-il ? Ne regardons-nous pas ce monde avec les yeux de l’espérance qui nous habite ? Comme chrétiens, nous n’observons pas un monde qui change de l’extérieur, car nous sommes à l’intérieur, et il est notre quotidien. Cela me rappelle les chrétiens qui s’effrayaient du sac de la ville de Rome, saint Augustin savait réfréner leurs angoisses. Il leur disait : « « Les temps sont mauvais, les temps sont difficiles. Voilà ce que disent les gens. Vivons bien, et les temps seront bons. C’est nous qui sommes ces temps : tels nous sommes, tels sont les temps » (sermon 80). A sa manière, saint Augustin leur dit : « ce n’est rien ; notre foi nous amène plus loin, le Christ nous conduit plus loin que cela ». Il nous faut distinguer ce qui de l’ordre de notre foi, de notre espérance de ce qui est de l’ordre du temps. Notre histoire franciscaine, vieille de 800 ans, en est un témoignage ; combien de crises, de déchirements et d’étapes avons-nous traversés ? Ils nous arrivent parfois d’oublier que nous sommes passés par-là.
ETRE TÉMOIN DU PASSAGE DE DIEU
Les missions qui me sont confiées, le catéchuménat des adultes au service du diocèse de Marseille, et l’accueil des candidats à notre forme de vie franciscaine, me mettent en lien avec des personnes qui vivent de façons différenciées les changements rapides de ce monde.
La démarche des catéchumènes n’est pas d’abord une quête de repères dans un monde qui en manquerait ou une fuite, mais la rencontre avec une personne qui nous a précédés dans leur vie : Jésus le Christ. S’ils viennent à nous pour demander le baptême, ou un des sacrements de l’initiation chrétienne, c’est parce que, d’une façon ou d’une autre, et de manière mystérieuse, l’Esprit les a appelés et parfois depuis longtemps. Dans ce monde qui change vite, Dieu appelle encore et cela ne change pas. Mon rôle d’accompagnateur, dans cette démarche, est d’abord d’être témoin de ce passage de Dieu dans la vie des candidats au baptême. Ce qui est impressionnant, c’est de voir ces candidats d’âges et de conditions sociales si différents, d’origines religieuses et nationales si variées, avec des histoires de vie si bouleversées, des chemins de migration si meurtris, des situations matrimoniales complexes et improbables, pour ne pas dire inimaginables, et de découvrir Dieu dans leur vie. Quelle joie de pouvoir être le simple témoin de ces merveilles ! Ces rencontres sont le signe d’un monde qui change très vite, elles se font dans le cadre d’un monde qui change rapidement mais Dieu, lui, ne change pas.
AU-DELA DES CODES GÉNÉRATIONNELS
Il en est de même pour les candidats à notre forme de vie : ils souhaitent d’abord répondre à un appel de Dieu, et cherchent leur façon d’accomplir sa volonté : à nous de savoir les accueillir et les aider à discerner, au-delà des différences de codes générationnels, la volonté de Dieu pour eux. Dans cette mission du premier accueil, je me dis souvent : « est-ce que nous, les frères, sommes capables de les accueillir tels qu’ils sont, avec nos fragilités et nos limites, avec leurs désirs et leurs aspirations ? ». Car ce monde qui change rapidement, c’est aussi nous, frères mineurs face au vieillissement de notre Province. Nous pourrions être tentés de montrer des « appartements témoins » aux jeunes qui frappent à notre porte, mais c’est une erreur. Il nous faut être honnête avec ces jeunes, pour ceux qui le souhaiteront, ils rentreront dans notre réalité. C’est pour cela que je n’hésite pas à les inviter à aller passer du temps avec nos communautés de frères aînés à Bruxelles ou Nantes, à aller s’imprégner de ces vies de frères entièrement et librement données pour le Christ. Ils sont touchés par la simplicité, la fraternité, la proximité. C’est ce qui les attire chez François également, même s’ils ne le connaissent pas encore très bien.
Je suis étonné par le côté atypique de ceux qui s’adressent à nous : à la fois tellement de leur génération, et si différents du stéréotype ‘jeune-catho’ qui pourrait traîner dans nos représentations mentales et nous empêcher d’accueillir des hommes dans leur unicité. Ils ne se posent pas la question « de l’adéquation de leurs attentes avec un monde qui change si rapidement », mais attendent des frères aînés qui les aideront dans leur suite du Christ et leur soif de vivre l’Évangile. C’est bien la « seule » chose que pouvons leur promettre : qu’ils pourront vivre l’Évangile, ici et maintenant, avec nous.
Quelques points me paraissent remarquables dans la démarche des candidats que je rencontre actuellement. Ce sont des jeunes de leur temps mais qui ont déjà ‘digéré’ la révolution technologique. Ils savent se mettre à distance des réseaux sociaux, et les utiliser plus sobrement, avec parcimonie et à bon escient. Et peut-être que nous, frères, gérons moins bien ce bouleversement technologique. En effet, nous ne sommes pas « nés » avec ces outils et ils peuvent vite devenir omniprésents. Ces jeunes qui viennent vers nous ont aussi des questionnements et des usages à nous partager et cela est réjouissant !
Ils ont souvent vécu des expériences de vie commune (souvent par la colocation), et sont attirés par la vie communautaire. Certains ont aussi eu des expériences de couples, cela leur a appris à se confronter aux autres. Ils en parlent très librement et simplement. Ils ont souvent des engagements ou des choix professionnels qui ne sont pas sans évoquer ce dont le pape François nous parle dans ‘Laudato si’ : l’attention à la Création et aux plus petits de nos sociétés : l’engagement syndical, le travail dans le secteur social, le service des personnes handicapées, le choix de travailler dans l’élevage ou dans l’agriculture raisonnés, des mouvements d’action catholique ; plusieurs sont issus du monde rural. Peut-être que certains lieux qui nous paraissent ou nous paraissaient « dépassés » ne le sont pas pour ces jeunes-là, je pense notamment à Vézelay. Ces jeunes ont soif de prière, de retrait, d’enracinement et de silence. Il y a des appels nouveaux dans ce monde qui change rapidement, je pense que des réalités, dans notre Province, peuvent y répondre. Gardons à l’esprit que notre foi nous demande cette conversion perpétuelle.