Père Albert Peyriguère : prêtre autrement

Dieu demande à l’Église de continuer Son Incarnation.

Fr. Stéphane Delavelle nous présente quelques figures qui lui permettent d’approfondir sa vocation de prêtre et de frère missionnaire. Avec le père Albert Peyriguère, grand mystique, il nous invite à poser un regard renouvelé sur le sacerdoce de nos prêtres.

Albert Peyriguère (1883-1959) est un jeune prêtre du diocèse de Bordeaux quand éclate la Première Guerre mondiale. Il sera, tour à tour, brancardier sur le front, prisonnier et… grand blessé. Au sortir de cette tourmente, grandit en lui un zèle missionnaire inspiré par la lecture de la première biographie du père Charles de Foucauld. Après plusieurs tentatives de vie “à la manière du petit frère universel”, en Tunisie et en Algérie, il s’installe en 1928 à El-Kbab, petit village berbère de l’Atlas marocain. Il y vivra en ermite plus de trente années, soignant le jour dans son dispensaire, étudiant les coutumes et la langue du peuple qui l’accueille, œuvrant pour l’indépendance marocaine et passant ses nuits à adorer le Saint-Sacrement.

DIMENSION UNIVERSELLE

En 1938, Albert Peyriguère écrit, dans son In memoriam de Fr. Charles-André Poissonnier, “prendre conscience d’avoir été, par son sacerdoce, voué à être dans le sens de l’Épître aux Hébreux, le “représentant” de toute la foule qui ne sait pas, prier pour elle, s’immoler pour elle, acheter sa rédemption ; ou plutôt, l’ayant “assumée” en soi, la faire prier elle-même en soi, la faire s’immoler et acheter sa propre rédemption.” Albert Peyriguère nous renvoie tout d’abord à la dimension universelle de la mission du prêtre. Ce dernier est là “pour toute la foule qui ne sait pas”, c’est-à-dire pour nos frères des autres religions, pour ceux qui ne croient en rien, pour ceux qui croient en surface ou à temps partiel, pour ceux qui suivent un autre Dieu (dieu de leurs passions ou de leurs peurs). En tant que prêtres, nous croyons-nous vraiment “responsables” de cette foule qui nous entoure ? Sommes-nous prêts à suivre le pape François qui nous disait, le 31 mars 2019 lors de son voyage apostolique au Maroc, que “ce peuple [marocain] nous a, d’une certaine façon, été confié, non pour l’administrer mais pour l’aimer” ? Et que l’aimer, c’est nous offrir pour lui ; c’est prier pour lui ! Sommes-nous prêts à croire que notre mission va jusque-là ?

MOUVEMENT D’INCARNATION

Un jour, Fr. Joël Colombel (1931- 2020), dont je vous parlerai dans un prochain article, rencontra un musulman qu’il avait connu dans le quartier de l’Agdal, à Rabat. Celui-ci lui fit remarquer qu’on ne le voyait plus. Il expliqua alors qu’il avait été nommé à la cathédrale et qu’il se devait à ses paroissiens. Le musulman lui répondit alors : “Mais le prêtre n’est-il là que pour les chrétiens ? N’est-il pas là pour tous ?” Sage et perspicace théologien que ce musulman ! Le missionnaire, en s’inculturant, en laissant entrer en lui la langue, les habitudes et la manière de vivre de son peuple, permet à cette foule, à cette culture, à ce tissu de relations et de traditions d’entrer en dialogue de Salut avec le Père. Sans nous, sans nos misérables vies de prêtres incarnées, insérées dans ce peuple qui nous est confié, c’est une partie du mouvement de l’Incarnation qui est bloquée et empêchée. Non pas que Dieu soit absent de l’autre et de son chemin de foi – Il y est de toute éternité ! -, mais Dieu demande à l’Église de jouer son rôle c’est-à-dire de continuer Son Incarnation, d’entrer dans ce dialogue de Salut avec tous les peuples. Et nous là-dedans ? Est-ce que nous nous engageons dans cet universel mouvement d’Incarnation ou est-ce que nous le bloquons ? Dans quel peuple et quelle société (voisins musulmans, migrants, prisonniers, étudiants, sœurs et frères aînés, collègues de travail…) est-ce que nous nous incarnons ?

RECEVOIR LE SACREMENT

Albert Peyriguère poursuit dans le même extrait : “Allons jusqu’au bout, laissons-nous emporter par les horizons vertigineux. Qu’en cette pauvre âme de prêtre qui s’est laissée au Christ, ce soit le Christ Lui-même qui, portant en Lui une race, prie pour elle, s’immole pour elle et la rachète.” Le père Peyriguère nous ouvre à une nouvelle perspective (“des horizons vertigineux”). Il opère un saut tant mystique que théologique. Il ne s’agit plus seulement de prier pour l’autre, ni de l’accueillir en nous pour l’offrir à travers nous. Non, désormais c’est le Christ qui S’offre au Père en nous en portant cette foule. Nous ne sommes plus l’acteur unique de nos eucharisties et de nos vies, mais nous voilà agis par le Christ (“Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi.” Ga 2,20) à travers cette culture et ce peuple qui, mystérieusement uni au Christ, devient le lieu, le signe et le moyen de notre propre Salut. Comment vivons-nous cette dimension de réception du sacrement qu’on oublie si souvent chez les prêtres ? “Pour vous je suis prêtre, mais avec vous je suis chrétien, donc sauvé”, écrivait saint Augustin. Comment pouvons-nous être sauvés par un Christ qui Se fait migrant, musulman, prisonnier, marin, étudiant, sœur âgée ? Je crois qu’Albert Peyriguère nous engage à envisager le ministère sacerdotal de manière plus large. Horizontalement d’une part, en découvrant que nous sommes appelés sans cesse plus loin que notre petit troupeau, que notre petite culture et que nos a priori. Verticalement d’autre part, en comprenant que c’est en plongeant dans le mystère du Christ que nous y parviendrons ; un mystère qui passe par l’Incarnation de nos vies et par une réceptivité fondamentale au Salut.

Fr. Stéphane DELAVELLE, OFM

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