Cet été, nos frères d’Avignon accueillaient Théophile. Comédien de 32 ans, il endossait le rôle d’un moine dans la pièce Akedia* au Festival d’Avignon. Il a accepté de nous partager quelques réflexions autour de ses derniers rôles ainsi que sur le charisme franciscain découvert dans ce quotidien partagé avec les frères.
Propos recueillis par Henri DE MAUDUIT
Le théâtre a toujours été au centre de ma vie. La première fois que je suis monté sur scène, j’avais 5 ans ! Je suis resté dans une troupe amateur pendant 10 ans puis j’ai suivi des cours d’art dramatique à Metz et à Strasbourg avant d’arriver à Paris pour un master à l’Institut d’études théâtrales à la Sorbonne nouvelle.
Rapidement, j’ai appris à découvrir la force des textes qui ne sont pas théâtraux et à travailler à partir d’une parole, de l’univers d’un auteur, de la lecture de nouvelles et de poésies. J’aime sortir de l’interprétation de rôles, être tout terrain, faire en quelque sorte du “hors-piste”. C’est une manière, pour moi, de mettre en valeur la langue française, quelles que soient les formes qu’elle peut prendre.
UN MOINE SUR LES PLANCHES
L’an dernier, j’ai rencontré le metteur en scène Francesco Agnello. Il cherchait quelqu’un pour reprendre le rôle d’un moine dans le spectacle Akedia*. Je sentais qu’il y avait du potentiel dans ce texte, que c’était quelque chose qu’on ne voit pas ailleurs.
Bien que j’aie eu une enfance catholique, je ne suis pas croyant. Mais aujourd’hui, d’une certaine façon, je redeviens “pratiquant”. Je perçois l’aspect rituel d’une représentation théâtrale, il a selon moi la même nature qu’une cérémonie religieuse. Je veux inclure, dans ma pratique de la scène, une dimension de recherche de quelque chose de bien plus grand qu’un spectacle. Les textes que je défends interrogent le public ; les spectacles dans lesquels je joue dépassent le simple divertissement.
Dans la pièce Akedia, je joue le rôle d’un moine ermite en confrontation avec le diable. C’est tout le mystère du jeu d’acteur : je ne suis pas moine moi-même, j’ai très peu de rapport avec cette vie-là puisque j’ai une vie de parisien qui jongle entre plein d’activités, qui a du mal à faire silence. Ce moine est une invitation à la simplicité extrême, à une vie dénuée de tout attachement. Je vis presque ce spectacle comme un moment de méditation. Quand le spectacle commence, c’est un espace hors du temps où je vais ralentir un peu le mouvement.
DANS LES COULISSES DE LA VIE FRATERNELLE
J’ai joué cette pièce à Avignon, à l’occasion du Festival. Les franciscains ont accepté de m’accueillir pour plusieurs semaines. J’ai pris les repas avec eux et j’ai participé parfois à quelques offices. Je ressens chez les frères une force tranquille, une force accompagnée d’une paix vécue à tout moment de la journée. Chaque tâche quotidienne comporte, pour eux, une sorte de noblesse, d’importance, et est traitée avec le même niveau d’attention. C’est comme si rien n’est acquis d’avance, et que chaque jour qui commence est un jour de recherche de connexion à l’autre. Cela m’a fait un bien fou, m’a ressourcé et j’ai senti que cela m’apportait une force aussi pour le rôle que je jouais.
Je suis aussi touché par le fait que les frères ont un certain détachement comique, ils se taquinent beaucoup et pratiquent volontiers l’autodérision. Les gens se font souvent l’idée des religieux comme des personnes très fières et sans aspérités. Les frères “normalisent” la religion, je perçois mieux l’effort personnel quotidien que cela demande. Ils rendent la religion plus accessible. Dans ma vie, parmi les croyants que j’ai pu rencontrer, la plupart m’ont paru austères, sinistres, intimidants et sévères. Cela a été un vrai cadeau pour moi de rencontrer ces frères qui décomplexent le rapport à Dieu.
Enfin, les frères témoignent aussi d’une intelligence de cœur, d’un affect très fin. Ils sont capables de sacrifier quelque chose de leur logique à eux, de leur besoin personnel, pour la vie du groupe. Ce sont des artistes de la vie collective !
ACTE II : LES FIORETTI
De retour à Paris, j’endosse un autre rôle. En effet, Francesco Agnello a décidé de “réactiver” un spectacle qu’il a mis en scène il y a plus de 30 ans et qui reprend les Fioretti de saint François d’Assise. Pour ce “seul en scène”, je restitue et joue un “bouquet” de fioretti, 9 textes sur les 53 existants.
En découvrant ces textes, je découvre que François était un homme comme tout le monde… ou presque ! Sur scène, on voit un homme qui vit, qui est heureux, qui souffre, qui mène des combats, etc. Ainsi, le spectateur découvre l’itinéraire d’une vie humaine.
Je suis aussi marqué par l’élan de François qui va en permanence vers les situations problématiques, là où ça n’est pas facile. Bien que l’on sache que beaucoup de ces histoires sont légendaires, ce qui est sûr, c’est que François était un aventurier infatigable, un marcheur et un homme d’action.
On vit à une époque assez amnésique, on pense que ce qui s’est passé il y a 800 ans n’a plus rien à nous dire de notre vie telle qu’on la vit aujourd’hui. Là, je trouve une parole qui est pleine de vie, sous tous ses aspects et dans laquelle chacun peut se retrouver. Le spectacle se termine par le Cantique de frère Soleil. C’est un texte qui me touche, qui va plus loin que la prière religieuse : François remercie d’être en vie !
*Dans la pièce Akedia (adaptée de l’ouvrage éponyme du dominicain Adrien Candiard, par le metteur en scène Francesco Agnello), Théophile joue le rôle d’un moine ermite. L’arrivée du diable donne lieu à un dialogue entre les deux protagonistes, sur fond de notes jouées par Francesco Agnello.
ENVIE DE VOIR LES FIORETTI ?
Retrouvez ce spectacle toutes les semaines à partir du mois de novembre, dans la chapelle Notre-Dame-des-Anges (104 rue de Vaugirard, 75006 Paris). Le spectacle peut être organisé à la demande, pour plus de renseignements, contactez Francesco Agnello à cette adresse.