Fr. René Pépin nous partage son parcours éclectique dont le fil rouge est celui d’une “soif absolue de l’absolu”, tant en militantisme que dans sa quête de Dieu. Merci à lui pour sa confiance.
Propos recueillis par Henri DE MAUDUIT
“Comment je suis redevenu chrétien après avoir été maoïste ? Il faut bien écouter, parce que je ne pourrais pas me répéter, je ne peux plus écrire et je perds la mémoire”, murmure d’une voix rauque Fr. René Pépin, depuis le lit de sa chambre d’Ehpad. Né en Lorraine, d’une mère institutrice et d’un père rédacteur principal en mairie, il reçoit le baptême à la naissance. À l’école primaire, il participe volontiers au catéchisme. “On avait un prêtre de 70 ans, claudicant mais joyeux comme un séminariste d’une heure !” sourit Fr. René. En grandissant, il devient enfant de choeur et nourrit une vie de prière personnelle et le désir de devenir prêtre. Mais au lycée, à Metz, il se souvient avoir été “extrêmement déçu” par l’enseignement religieux. “Les aumôniers n’étaient pas du tout enthousiastes. Petit à petit j’ai arrêté de prier, cela m’a manqué au début puis au bout de deux ou trois ans je n’en ressentais plus le besoin.”
RIMBAUD, HUGO ET L’ALGÉRIE
Le 22 juillet 1954 reste gravé dans sa mémoire. Il raconte, comme si c’était hier : “À la maison, je tombe sur le dernier Paris-Match dans lequel il était question d’Arthur Rimbaud. Sa vie m’a littéralement foudroyé ! Dans l’article, j’y lisais : “La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde” ou encore “Je est un autre”. Après cela, j’étais différent.” En novembre 1954, la révolution algérienne éclate. “Je me suis rappelé cette phrase de Victor Hugo : “Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent1.”Cela a retenti en moi et je me suis senti tout de suite proche des révolutionnaires algériens.” Le soir, Fr. René s’échappe clandestinement du lycée pour rejoindre un quartier d’ouvriers algériens immigrés avec lesquels il fabrique des banderoles. Il rédige un pamphlet en faveur de la révolution qu’il fait circuler à l’intérieur du lycée. “Je cherchais une cohérence entre ce que je disais et ce je faisais, à l’image de ce prêtre que j’avais vu quand j’étais enfant, cohérent dans sa vie par sa joie, sa bonté, sa simplicité. Mais cela m’a valu une convocation par le proviseur, suivie d’une exclusion de trois mois.” Plus tard, une fois le baccalauréat en poche, son carnet en gardera une trace. “Il a été annoté la mention “Élève contestataire et taciturne”.”
ANNÉES ROUGES
Arrivé en 1958 à Strasbourg pour ses études, Fr. René continue à militer de façon assidue en faveur de la révolution algérienne. Appelé sous les drapeaux pour son service militaire, il refuse de porter l’uniforme “d’une armée qui combattait contre la liberté d’un peuple.” Envoyé au “mitard” [NDLR : prison], il commence une grève de la faim de plusieurs semaines qui lui vaudra d’être exclu du service militaire. C’est à Paris qu’il pose ensuite ses valises. Entre deux missions de tractation, il lit Marx, Lénine, Engels et Staline. Il se rapproche de la mouvance du futur Parti communiste mais est déçu par les adhérents. “Ils me rappelaient trop les aumôniers du lycée : ils se contentaient de grands discours mais ne faisaient pas d’actions.” Il rejoint alors le Parti communiste marxiste-léniniste de France dès sa fondation en janvier 1968. Dans la même période, Fr. René s’inscrit aux Amitiés franco-chinoises dont il sera élu secrétaire national au mois de mars. Lors des évènements de Mai-68, il participe à toutes les barricades et occupe, avec d’autres jeunes, le théâtre de l’Odéon. “Nous avions une infirmerie et des étudiants en médecine nous soignaient.” En 1970, il est invité en République populaire de Chine. “Avec mes camarades, nous avons été reçus par plusieurs comités révolutionnaires. Pendant un mois et demi, nous avons visité plusieurs hauts lieux de la révolution. J’en ai rapporté un “Petit livre rouge” avec le tampon de la maison natale de Mao Tsé-toung” se souvient Fr. René. À son retour, plein d’enthousiasme, il donne un certain nombre de conférences dans toute la France. En 1976, à la mort de Mao, le vent tourne et le PCMLF se délite progressivement.
CHANGEMENT DE TROTTOIRS
Embauché en tant que gardien de nuit dans des usines, Fr. René met à profit son temps pour réfléchir aux fondements de son athéisme. “Au début, je lisais surtout des livres d’astronomie. Je me disais : “Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Le néant ne peut pas produire l’être donc il faut qu’il y ait quelqu’un qui l’ait produit.” C’est comme ça que je suis revenu à la foi, mais je ne savais pas laquelle.” Puis il tombe sur l’ouvrage La Vérité sur le suaire de Turin2 dans lequel un exposé des examens scientifiques sur le suaire démontre une similitude absolue avec l’Évangile de la Passion. “Ça a été déterminant. Cela m’a fait passer à la foi en Jésus Christ. J’en suis venu à la conclusion que l’Évangile est vrai. Et que si c’était vrai pour le récit de la Passion, je ne voyais pas pourquoi le reste n’en serait pas moins vrai. Je me suis remis à prier.” Sur son chemin, il découvre saint François qui, dans sa conformité au Christ, a reçu les stigmates il y a 800 ans. “Quand j’ai vu qu’il avait les marques de la Passion, comme sur le linceul, et que le linceul, c’était pour moi l’Évangile, je me suis dit : la meilleure façon de pratiquer l’Évangile, c’est donc de devenir franciscain !” En ouvrant un annuaire, Fr. René tombe sur l’adresse du couvent à Paris, rue Marie Rose. Ironie du sort, c’est dans cette même rue que Lénine a vécu en exil de 1909 à 1912. “C’était la rue de Paris que je connaissais le mieux ! J’allais souvent me recueillir devant le mémorial de son passage, je pouvais donc y aller les yeux fermés ! J’ai changé de vie en changeant de trottoir et je suis entré dans le couvent des franciscains.”
1. Les Châtiments, Victor Hugo, 1853.
2. La Vérité sur le suaire de Turin : preuves de la mort et de la Résurrection du Christ, K.-E. Stevenson et Gary R. Habermas, Éditions Fayard, oct. 1981, 265 p.