Dilexi te : de quoi parle le premier texte majeur du Pape Léon XIV ?

C’est parce qu’ils sont choisis par Dieu, gratuitement, que les plus pauvres sont un lieu de la Révélation.

Le 9 octobre dernier, Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté, Provincial des Franciscains de France-Belgique, était invité, en salle de presse du Saint-Siège, pour présenter le premier texte majeur du Pape Léon XIV : l’exhortation apostolique « Dilexi te. Sur l’amour envers les pauvres ». Il nous explique en quoi ce texte vient confirmer la pensée de notre Église et notre manière d’être au monde et particulier dans notre lien avec les plus pauvres.

Léon XIV signe sa première exhortation apostolique Dilexi te. De quoi s’agit-il ?

Une exhortation apostolique est un document important dans lequel le pape se positionne sur certains sujets. Il apporte des précisions importantes sur un sujet particulier. Le sous-titre de cette exhortation est « L’amour envers les pauvres ». Il y avait déjà beaucoup d’éléments sur ce sujet chez le pape François ou ses prédécesseurs mais ce document rassemble et synthétise ces enseignements. Ce texte se centre donc sur les pauvres et creuse, au niveau biblique, patristique, historique, théologique et anthropologique, ce que signifie « l’option préférentielle pour les pauvres »1.

Tu as été invité à participer à sa présentation en salle de presse du Saint-Siège le 9 octobre, pourquoi ?

Certainement parce que mon travail de thèse, soutenue en 2020, portait sur ce sujet-là (voir encadré ci-dessous). Ma thèse a été traduite en italien, en 2023, et a eu un certain écho au moment du synode des évêques sur la synodalité.

Dans ce travail, j’ai développé une approche particulière : concevoir une théologie à partir de l’écoute de la parole des plus pauvres. Or c’est autour de la même intuition que le pape Léon XIV construit son exhortation Dilexi te. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de faire uniquement « pour » les pauvres mais aussi « avec » eux et « à partir » d’eux. C’est à ce changement de paradigme, de regard, que le pape nous invite : aller au-delà de la charité, réduite parfois à une bienveillance condescendante et construire à partir de la pensée des plus pauvres.

Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté (à gauche), en salle de presse du Saint-Siège le jeudi 9 octobre 2025.

Est-ce que tu perçois une continuité entre le courant initié par le pape François et le pape Léon XIV ? Est-ce que cela va plus loin et pourquoi ?

Oui, le document Dilexi te« Je t’ai aimé » en français – vient directement en écho avec la dernière encyclique du pape François, Dilexit nos2, qui portait sur l’amour humain et divin du cœur de Jésus-Christ. Dilexi te est un document que le pape François avait en travaux au moment de sa mort et dont a alors hérité le pape Léon XIV.

Mais le point important est que le nouveau pape a fait sien ce document et c’est bien lui qui le signe, en y ajoutant sa touche personnelle. Si le fond du discours des deux papes est le même, je dirais que les propos de François se trouvent consolidés par un ancrage plus théologique, ajout important de la part de Léon XIV. Ainsi, concernant cette « option préférentielle pour les pauvres », le pape Léon XIV apporte toute une profondeur théologique. Par exemple, l’utilisation du chapitre 25 de l’Évangile selon saint Matthieu (« J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire… ») est présente dans le texte mais le pontife n’en fait pas l’axe principal de notre engagement pour les pauvres, il va chercher au-delà du fameux « On rencontre Jésus dans les pauvres ». Ce mouvement vers les pauvres vient d’abord de Dieu : c’est Dieu, en premier, qui vient les rencontrer. Et parce que c’est le choix de Dieu de leur être présent, alors leur rencontre devient une rencontre avec Jésus qui lui-même s’est fait pauvre. Cette vision empêche à mon avis une spiritualisation trop forte. Quand je rencontre une personne de la rue, je ne rencontre pas Jésus directement. Je rencontre une personne et dans cette rencontre quelque chose d’une révélation peut advenir. Les pauvres comme tout le monde peuvent être de bonnes personnes ou de mauvaises personnes. Ils peuvent dire des choses intelligentes ou des bêtises… encore une fois, comme tout le monde ! C’est parce qu’ils sont choisis par Dieu, gratuitement, que les plus pauvres sont un lieu de la Révélation. C’est tout le mouvement de ma thèse : l’acte premier a été de me mettre à l’écoute, de me laisser déplacer et désorienter. C’est à cela que nous invite le pape Léon XIV.

Le pape Léon XIV a signé sa première exhortation apostolique « Dilexi te », le 4 octobre 2025.

Est ce qu’il y a un passage qui te marque particulièrement dans cette exhortation et pourquoi ?

Ce qui me marque c’est une forme de justesse théologique. Si Dieu choisi les pauvres, c’est pour le salut de tous. C’est-à-dire que le choix privilégié des plus pauvres n’est pas un choix d’exclusion des riches mais un chemin de compréhension que pour nous sauver, Dieu passe par certains et nous rejoint toujours par des personnes concrètes.

C’est ce que le père Joseph Wresinski3 appelait l’exhaustivité : si on construit à partir des plus forts et qu’on élargit ensuite, on laissera toujours les plus fragiles dehors. Cependant, si on commence à construire à partir des plus faibles, en leur donnant la première place, alors on est sûr que tout le monde trouve sa place. Ce n’est donc pas un choix à l’exclusion des autres. C’est un mouvement qui est très fort et c’est une des premières fois que je le sens exprimé de façon aussi claire par l’Église dans Dilexi te.

Enfin, il y a cette dernière phrase du texte qui me marque particulièrement et qui est tout un programme : « L’amour chrétien brise toutes les barrières, rapproche ceux qui sont éloignés, unit les étrangers, rend familiers les ennemis, franchit des abîmes humainement insurmontables, pénètre dans les replis les plus cachés de la société. De par sa nature, l’amour chrétien est prophétique, il accomplit même des miracles, il n’a pas de limites : il est pour l’impossible. L’amour est avant tout une façon de concevoir la vie, une façon de la vivre. Eh bien, une Église qui ne met pas de limites à l’amour, qui ne connaît pas d’ennemis à combattre, mais seulement des hommes et des femmes à aimer, est l’Église dont le monde a besoin aujourd’hui. » (DT 120). En tant que frère franciscain, cette « Église qui ne met pas de limites » rejoint notre minorité et c’est une direction essentielle pour aujourd’hui.

Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté, OFM

1Plus d’informations sur www.doctrine-sociale-catholique.fr.
2Encyclique du pape François publiée le 24 octobre 2024. Disponible ici.
3Prêtre français d’origine polonaise, fondateur du mouvement ATD Quart Monde.


Dilexi te : « Les pauvres nous apprennent l’espérance »

« Le premier grand texte magistériel du Pape Léon XIV, Dilexi te («Je t’ai aimé») est une exhortation apostolique sur l’amour envers les pauvres, un texte déjà mis en œuvre par le Pape François et complété par son successeur. Dans cette exhortation, le Pape dénonce une économie qui exclut voire qui tue les plus vulnérables. Entretien avec le franciscain Frédéric-Marie le Méhauté, docteur en théologie. »

Une thèse à l’écoute des plus pauvres

Que peut apporter à la théologie l’écoute des paroles des plus pauvres ? À partir d’échanges de chrétiens du quart-monde réunis par la Fraternité de la Pierre d’Angle pour partager leur foi, Frédéric-Marie Le Méhauté cherche à entendre la « mystérieuse sagesse », ainsi que la nomme Evangelii Gaudium, dont témoignent ceux qui luttent contre la misère. La prise au sérieux de ce sens de la foi des plus pauvres invite à revisiter des questions cruciales pour l’intelligence de la foi aujourd’hui. L’aventure théologique qui se risque ici à l’écoute de ces paroles fragiles ouvre une voie encore peu exploitée pour enrichir la compréhension de l’option préférentielle pour les pauvres.

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