À cœur
ouvert

Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté

“Un appel irrépressible auquel j’ai longtemps résisté”
Est-ce que c’est cela que tu veux faire de ta vie ?
fr frédéric-marie le méhauté

Bio express

17 mars 1974

Naissance à Paris.


1991

Deuxième séjour à Assise.


Années 2000-2003

Au Japon chez Michelin.


30 août 2004

Entrée au noviciat.


24 avril 2010

Profession solennelle.


14 avril 2012

Ordination sacerdotale.


Depuis 2016

En communauté à Paris et poursuit une thèse en théologie sur la parole des pauvres comme lieu de révélation de Dieu.

Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté termine sa thèse en théologie franciscaine sur la parole des pauvres comme lieu de révélation de Dieu. Il nous partage les débuts de sa vocation…

Je viens d’une famille qui n’est pas croyante mais une très bonne amie de mes parents était en charge du catéchisme. J’ai demandé le baptême à l’âge de 10 ans. À l’adolescence, j’ai cheminé avec “Les pèlerins de l’Yvette”, un groupe d’aumônerie accompagné par le frère Pierre-Marie Carros. Chaque fi n d’été, il y avait ce rendez-vous avec des amis qui ont beaucoup compté pour moi. Nous sommes allés à Assise, à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Roumanie, au Niger… Nous sommes toujours en lien et c’est désormais moi, le frère franciscain, qui les accompagne à Assise. L’année de mon bac, j’ai vécu un moment fort de rencontre avec la miséricorde devant le tombeau de saint François. On peut lire sa vie dans les livres mais quand on est à Assise, François vous entoure, les murs en parlent, la nature, les gens, la fraternité que l’on vit. Je me suis alors dit : “Pourquoi pas toi ?”
En rentrant, je l’ai partagé avec mes parents qui ont réagi très négativement. Ils ne comprenaient pas. Ce n’est pas la vie dont ils rêvaient pour leur enfant. À cette époque, j’ai poussé la porte d’un couvent franciscain mais les frères m’ont invité à terminer mes études avant d’envisager une vocation religieuse. C’est ce que j’ai fait en me spécialisant en physique-chimie du matériau, option mécanique quantique, avec de nombreux stages aux États-Unis, en Allemagne et au Japon. Les années post-bac ont été marquées par la tension entre cet appel et une vie étudiante très stimulante : désir de silence ou virée en boîte ? Messe le dimanche ou vadrouille entre copains ? J’ai voulu enfouir cet appel irrépressible mais peu à peu, le “Pourquoi pas toi ? s’est transformé en “Pourquoi toi ?. J’ai effectué mon stage de fin d’études au Japon qui est un pays qui m’a beaucoup marqué. Je goûtais à la liberté et à la découverte d’une nouvelle culture. J’étais le premier étranger que l’entreprise Sumitomo recevait pour un stage, rien n’était fait pour moi et je me suis retrouvé à dormir avec les “salaryman*” : petite chambre avec quatre tatamis et bains communs ! J’avais 23 ans, c’était l’aventure ! En rentrant, j’ai été embauché par Michelin et je me suis retrouvé à Clermont-Ferrand : les premiers salaires, les premiers engagements d’adulte, démarche de premier accueil chez les franciscains… J’ai beaucoup aimé cette entreprise. Le pneu est un produit étonnant, à la fois très banal, oublié et sale mais c’est de la haute technologie !

Chez Michelin, il y a encore des hommes derrière chaque pneumatique ! J’ai vraiment contemplé, de nuit comme de jour, le savoir-faire de ces ouvriers. Contemplation également de la nature car on ne se sait pas reproduire en usine les propriétés du caoutchouc naturel. Rapidement, Michelin me propose un poste très intéressant au Japon. Ce fut l’occasion de fuir cette tension : tension en moi, tension avec mes parents, tout en réalisant un rêve, celui de retourner vivre dans ce pays. J’ai alors énormément travaillé et beaucoup voyagé. J’allais presque tous les mois en Thaïlande, en Chine pour visiter les usines, de temps en temps en Malaisie, aux Philippines, à Singapour. Beaucoup d’argent aussi avec un salaire d’expatrié. J’ai pu apprendre le japonais et je suis rentré dans le quotidien des habitants : l’altérité, c’est décapant ! Cela fait remonter à la surface des questions, des désirs, des manques. Je n’avais jamais oublié Dieu, je continuais à lire le bréviaire, à avoir des temps d’intimité avec lui mais je n’avais plus de vie paroissiale. J’ai même regardé du côté du bouddhisme zen mais Jésus-Christ me manquait.

Et puis, un jour où je prenais l’avion pour aller à Singapour, j’attendais dans le salon Air France à Narita. Je revois la scène : les hôtesses qui préparaient le café, les revues économiques étalées dans toutes les langues et, alors que je terminais une présentation, j’ai levé les yeux et sans aucun jugement et dans une grande liberté, une question a surgi en moi : “Est-ce que c’est cela que tu veux faire de ta vie ?” Il y a eu alors comme une évidence, j’étais très heureux dans ce que je faisais mais ce n’était pas la vie dont je rêvais. J’avais un bon salaire mais je n’avais personne avec qui partager cet argent, avec qui partager un avenir, personne à qui me donner. À 10 000 km de la France, j’ai repris contact avec les frères. À la même époque, je suis tombé sur ce passage du Livre de Jérémie (2,13) qui dit bien ce que j’avais dans le cœur : “mon peuple a commis un double péché : il m’a abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes fissurées, qui ne retiennent pas l’eau”. Je me suis mis en situation de rentrer au postulat un an plus tard. J’ai commencé à en parler autour de moi, l’occasion de beaux échanges avec des collègues, parfois loin de l’Église. Certains me prenaient pour un fou mais avaient beaucoup d’amitié et de bienveillance ! Je me souviens que l’un d’entre eux m’a dit : “Tu as de la chance de savoir ce que tu veux faire” et s’en est suivi une discussion sur sa famille, en vérité. Un autre m’a raconté sa vie, ses choix et ses non-choix, sa séparation, de la souffrance… Des vies d’une telle densité, avec une soif qui n’est pas nommée, une soif qui dit : “Est-ce que j’ai vécu ma vie pour cela ? Seulement pour l’argent, la réussite, la reconnaissance ?”
Aujourd’hui encore, je ne peux pas ne pas entendre dans les vies hors des clous et brisées ce cri : “Moi aussi j’ai envie de vivre !”. Je trouve cela magnifique : Dieu passe par ces vies-là. Durant toutes ces années, je ne peux pas dire que j’ai été en paix avec ma vocation, ce n’est que peu à peu et surtout au moment de la profession solennelle que l’évidence d’un chemin m’est apparue. Quand je relis mon parcours, profondément, j’ai été accompagné ; ma relation avec Dieu a été de l’ordre de l’apprivoisement.

*Terme japonais qui désigne les employés

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