Hervé Covès est ingénieur agronome depuis plus de 35 ans. Il accompagne celles et ceux qui désirent se former à l’agroécologie et à la permaculture. Il fait aussi partie de la Fraternité franciscaine séculière, ces hommes et ces femmes qui s’engagent à l’état laïc à la suite de François d’Assise. Il nous partage une lecture contemporaine et poétique du Cantique des Créatures.
Béni soit ce jour où j’ai appris que le coq qui figure sur la croix de Saint-Damien n’est pas un coq, mais une caille ! C’est quoi ces franciscains qui ne sont même plus capables de faire la différence entre deux oiseaux ? Nous avons beau être disciples de saint François, amoureux du vivant, nous continuons de faire passer les symboles avant les évidences. « La réalité l’emporte sur l’idée », nous disait le pape François. Il faut bien nous y résoudre : ce coq est une caille. Et sœur caille intervient au moment de l’exode, dans le désert. D’abord comme un don de Dieu offert à son peuple qui se plaignait de ne pas assez bien manger. « L’éternel fit souffler de la mer un vent qui amena des cailles et les dispersa sur le camp » (Nb 11, 31). Mais, son peuple se comporta avec une telle cupidité qu’une redoutable plaie s’abattit pour punir ces goinfres de leur rapacité.
La caille de Saint-Damien nous parle donc du don de Dieu et de ce que nous en faisons. Elle dit aussi la mesure de ce qu’on doit consommer avec discernement. Elle parle de notre relation au consumérisme ; elle parle de sobriété aussi. Comme il s’agit toujours de reconstruire ton Église, je voudrais le faire avec la complicité de sœur caille.
DONS DE DIEU
Et vous, messire frère Soleil, quelle est votre mission ? Quel est votre rôle dans le projet de Dieu ? Où se situe votre fécondité ? Car tu es mon frère, et c’est en frère que je souhaiterais que nous existions. Tu m’apportes ta lumière, ta beauté, ta splendeur. Tu accomplis ton action avec une inépuisable énergie pour soutenir toujours plus de vie. Tu es un don de Dieu. Que fais-je de ce don lorsque je t’asservis pour produire mon électricité et assouvir mes plaisirs énergivores, aux dépens de collines et de plaines qui auraient pu grouiller de vie ? Et pourtant, je t’apprécie lorsque je profite de tes rayons au bord de l’eau, en rêvassant et en bronzant. Est-ce vraiment de l’amour cette relation où je n’entends que profiter de toi ?
Toi, ma sœur la Lune, que certains veulent même conquérir, mais visiblement pas d’une conquête amoureuse, mais pour te posséder et t’exploiter. Et toi, frère Vent : nos champs d’éoliennes tentent de t’asservir. Il semble que notre Dieu t’ait désigné pour te répandre en tempétueux ouragans et faire mémoire de sœur caille. Et toi, sœur Eau, si utile, si précieuse, si pure et si chaste. Quels sont ceux d’entre nous qui prient à ton chevet lorsque tu meurs de nos pollutions ? Nous te traitons, nous te conditionnons, nous te canalisons pour satisfaire nos besoins les plus essentiels comme les plus frivoles. Nous captons la moindre de tes sources sans même penser à toutes les bêtes sauvages qui ne savent plus où s’abreuver et nous nous étonnons que la biodiversité disparaisse alors que nous assoiffons le monde des vivants.
QUELLE COMPASSION ?
Et toi, frère Feu, il y a bien longtemps que tu ne nous éclaires plus la nuit de ta beauté et de la joie simple autour de ton âtre. Même nos barbecues sont devenus électriques et on t’accuse de nous intoxiquer d’âcres fumées. Lorsque tu surgis pour enflammer d’immenses forêts ou en incendiant d’autres cathédrales, tu nous fais peur au point que certains humains ne pensent qu’à te gouverner, toi l’indomptable et fort. Nous préférons créer des déserts ininflammables autour de nos lieux de vie pour ne pas remettre en question nos façons de vivre qui enflamment la planète. Pauvre frère feu, devenu bouc émissaire de notre cupidité.
Et toi, sœur notre mère la Terre, que nous violons, que nous asservissons, que nous colonisons, que nous exploitons jusqu’au plus profond de tes entrailles. Quels enfants sommes-nous donc devenus ?
Bénis soyez-vous mes frères et sœurs, vous qui supportez épreuves et maladies, qui subissez toutes les infamies que vos frères humains vous font subir.
Et toi, sœur la Mort corporelle : ce monde est devenu si étroit au point que chaque créature n’y trouve plus de place. Tu nous rappelles que, chaque fois que l’un d’entre nous meurt, c’est pour qu’un autre puisse bénéficier du don précieux de la vie. Que la vie est si rare, si précieuse, que Dieu la partage avec toutes ses créatures.
Vivre en frère ? Peut-être pour commencer juste un peu d’attention, une certaine attitude à cultiver, quelques prières, aussi, pour témoigner de notre compassion. Loué sois-tu, mon seigneur, pour toutes tes créatures.
Hervé COVÈS, OFS