Fr. Didier Van Hecke : “Ma joie, je dois la trouver au milieu des émigrés”

Ne pas arriver avec notre code de droit canon dans une main et une Bible dans l’autre.

Fr. Didier est le gardien de la fraternité de Marseille. Il nous partage comment ses frères et lui vivent leur appel franciscain dans une ville méditerranéenne en pleine transformation.

“Nous ne sommes pas là pour baptiser, mais pour vivre au milieu des gens.” La franchise de Fr. Didier Van Hecke interpelle. Tout comme son large sourire, qu’il garde inlassablement au visage, qu’il soit en balade dans les ruelles de Noailles, à table avec ses six frères ou encore auprès de Pierre, jeune exilé guinéen accueilli chez eux depuis quelques mois. À 70 ans, fort de ses nombreuses expériences en France et en Afrique, le franciscain à la large stature l’a bien compris : les frères “vivent à Marseille pour tisser des liens. Pour montrer qu’il est possible d’habiter ensemble, dans cette ville où le monde entier semble s’être réuni.”

NOAILLES, QUARTIER PAUPÉRISÉ

L’implantation actuelle des franciscains dans la cité phocéenne remonte à 2010, alors que l’archevêque de la ville, Mgr Pontier, leur confie la charge de l’église Notre-Dame de la Trinité, située dans le centre-ville. Au premier regard, l’édifice – comme la moitié des bâtiments du quartier de Noailles – étonne par sa vétusté. Trois jours auparavant, des pluies torrentielles en ont inondé la nef. La ruelle de La Palud, où se dessine discrètement la devanture de l’église, est déserte. “La sociologie du quartier a complètement changé ces trente dernières années”, décortique Fr. Didier, qui a lui-même rejoint la fraternité en 2019. “Avant, cette paroisse était l’une des plus grosses de Marseille. Depuis les années 1970, les environs se sont paupérisés. Maintenant, cette église est l’une des plus pauvres du centre-ville.” La population de Noailles, à majorité musulmane et immigrée, est originaire du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne. La présence des frères, ici, n’a rien du hasard.

UNE PRÉSENCE “OUVERTE ET FRATERNELLE”

Sur l’artère principale, déambulant entre les salons de coiffure et les échoppes animées, Fr. Didier pénètre dans les boutiques, salue chaleureusement l’un ou l’autre des commerçants. Il appelle chacun par son prénom, vient aux nouvelles. Le franciscain reçoit de nombreuses marques de respect et de sympathie. “On ne nous a pas envoyés ici pour être curés d’une paroisse, mais d’abord pour être une présence fraternelle et ouverte”, rapporte-t-il.
Des mots qui résonnent avec l’intuition du pape François. “Nous devons être capables de tisser des liens fraternels là où l’on est […]. Ne pas arriver avec notre code de droit canon dans une main, et une Bible dans l’autre. Nous devons témoigner aux gens ce qui nous fait vivre !”, affirme-t-il.
D’un commun accord, la fraternité a choisi de faire des questions migratoires et de pauvreté une ligne directrice de sa mission. Chaque frère “l’incarne selon son charisme propre”, poursuit Fr. Didier. Ainsi de Fr. Florent, qui mène des maraudes dans le quartier, ou encore de Fr. Patrick, qui a en charge le dialogue islamo-chrétien auprès du diocèse. “Bien sûr, ce n’est pas toujours facile. Je m’en rends compte souvent : on est tellement mieux dans l’entre-soi intellectuel, social, théologique ! Mais je me dis qu’il y a vraiment une invitation à vivre. Un appel à aller au-delà de ses propres frontières, de ses propres limites.” Il partage ce passage du Deutéronome, qui le guide chaque année dans sa mission : “Tu trouveras ta joie au milieu de l’émigré.”
“Tout est dit”, reconnaît Fr. Didier humblement. “Ma joie, je dois la trouver ici ; au milieu de celui qui n’est pas comme moi, qui n’est pas de mon pays, ni de ma culture. Exactement comme nous y appelait, à son époque, saint François !”

Les franciscains vivent dans le quartier de Noailles à Marseille.

ACCUEILLIR, UN CHOIX DU QUOTIDIEN

Cet accueil de l’autre est vécu discrètement, mais très concrètement, par les frères derrière les portes de leur fraternité. En juin 2024, après plusieurs hébergements successifs de réfugiés du programme jésuite Welcome, ils choisissent d’offrir l’hospitalité à Pierre, un mineur non-accompagné chrétien, originaire de Guinée. Une démarche exigeante qui ferait presque penser à une expérience de paternité. “L’arrivée de Pierre nous a posé de nouvelles questions”, confirme Fr. Didier. “Au lycée où il est scolarisé, ils organisent une rencontre parents-profs. Est-ce à moi d’y aller ? Je ne suis pourtant pas son tuteur légal. Et puis, qui s’occupe du suivi de ses démarches administratives ? Qui prend en charge l’achat de ses fournitures scolaires ?”, questionne- t-il.
Pierre doit, de son côté, s’adapter au rythme propre à la vie communautaire. Un ajustement mutuel qui n’est pas sans susciter de tension entre les frères, mais révèle aussi, chez chacun, des trésors d’affection, de douceur et de gentillesse, exprimés autour d’un bon repas ou à l’occasion d’un temps de prière.
Le dimanche, après la messe, un petit groupe de personnes migrantes et françaises se rassemble pour partager un déjeuner. “Eux, ce sont notre ‘Famille Abraham’”, présente un Fr. Didier tout en joie, alors que des rires résonnent depuis la salle paroissiale. “Il y a Karim, qui est musulman, Ormeline, qui vient du Gabon. Et puis Pascal, qui a eu son master 2”, partage-t-il, égrenant leurs noms comme un chapelet.
Le jeune Pierre les a rejoints dès son arrivée. Entre relecture de vie, entraide et prière, ce réseau de solidarité, lancé et soutenu par les franciscains, permet à ces quelques exilés de trouver un ancrage humain et spirituel au milieu d’une vie marseillaise précaire.
Et quand vient l’heure de se quitter, “On a tous grandi un peu”, conclut Fr. Didier.

Claire RIOBÉ

À son arrivée à Marseille, Pierre (premier rang à droite) a été accueilli au sein de la Famille Abraham lancée par les franciscains.

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