De Conakry à Marseille : témoignage d’un chrétien exilé

Dieu a tracé cette route devant moi. Je lui confie tout ça, toute ma vie.

“Je m’appelle Pierre, j’ai 17 ans et viens de Conakry, en Guinée. Ma famille est chrétienne catholique mais notre pays est musulman. J’ai été élevé par ma tante depuis ma naissance. À son décès, je me suis senti vraiment en danger, j’étais tout seul. Alors je suis parti. J’ai rencontré un “grand” qui venait du Mali, il a veillé sur moi, il s’est occupé de moi. D’abord, on a traversé le Mali jusqu’à l’Algérie. On a beaucoup souffert sur la route. Quand on est arrivés, on s’est fait prendre, on nous a frappés, avec tous ceux qui étaient avec nous. On nous a tout pris, et on nous a mis en prison.
Ensuite, quand on nous a relâchés, avec le “grand”, on est passés en Tunisie. Là, ça allait pas, la police chassait les [personnes] noires. On est allés à Sousse, dans un foyer d’accueil, et on y est encore restés vraiment longtemps. Un jour, la police est venue nous chercher, et on s’est séparés avec le “grand”. C’est là que j’ai vu les gens qui font traverser les autres sur des bateaux. Vers 23h, on est tous montés [sur un bateau] pour traverser.

“ON AVAIT PEUR”

Je me souviens, on avait peur, il y avait d’autres enfants et on était beaucoup perdus. Des pêcheurs nous ont vus. Ils ont appelé la police maritime. Ça a duré très longtemps, ils ont même envoyé un drone qui [survolait] la mer. Enfin, la police est arrivée pour nous sauver. On nous a ramenés sur terre et envoyés à Lampedusa pendant deux jours. De là, on m’a transporté en Italie, dans un petit village. En fait, j’étais le seul chrétien au milieu de jeunes musulmans d’Afrique, d’Égypte. Moi, je ne parlais que le français et ma langue de Guinée. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. Je ne me sentais pas bien, c’était compliqué. Avec un ami, on a décidé d’aller en France pour étudier. On est montés dans un train italien et les douaniers nous ont laissés passer, parce qu’on était des mineurs. Et puis je suis arrivé à Marseille. Les premières nuits, j’ai dormi dans la gare de Saint-Charles. J’arrivais plus à parler, j’étais trop choqué je crois. Des éducateurs nous ont emmenés dans un foyer pour mineurs. Mais bon, là aussi on n’était que deux chrétiens au milieu de 80 jeunes musulmans. On se sentait seuls, c’était trop difficile. Et puis des éducateurs se sont occupés de moi et m’ont inscrit dans un lycée professionnel de Marseille.
En juin 2024, les frères m’ont accueilli. Il faut dire qu’ils sont trop, trop gentils avec moi. Ils font tout pour moi, et je me sens “sécure” ici. Je fais des études pour devenir plombier et j’attends d’avoir des papiers. C’est dur mais la foi, ça m’aide beaucoup. La nuit, je pense à tout ça, le bateau, le travail, la [rue], les papiers. Beaucoup, beaucoup. Et je me dis, Dieu a tracé cette route devant moi. Je lui confie tout ça, toute ma vie.”

Propos recueillis par Claire RIOBÉ

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