Qu’est-ce qui a conduit les franciscains à réinvestir l’ermitage de La Cordelle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ? Et comment ce lieu s’est progressivement façonné son identité d’ermitage franciscain ? Fr. Luc Mathieu, mémoire vivante de la Province, nous propose un éclairage à travers le récit de la vie du Fr. Ambroise Négrel (1921-2018) qui a vécu plus de 30 ans à Vézelay.
Si les franciscains reviennent à La Cordelle en 1948, cela s’explique d’abord par un contexte favorable. Au début du XXe siècle, de grands évènements marquent la Famille franciscaine : les 700 ans de la fraternité séculière en 1921 et de la mort de saint François en 1926, puis le pèlerinage de la paix en 1946, à Vézelay, au cours duquel les franciscains animent un chemin de Croix. À cette occasion, le père Doncœur, célèbre prédicateur jésuite, émet le souhait du retour des franciscains, annonciateurs de la paix.
Le retour sur la colline de Vézelay, première fondation franciscaine de France (1217) est aussi lié à la redécouverte des écrits franciscains avec notamment les Fioretti par l’intermédiaire du bienheureux Frédéric Ozanam ou encore les premiers travaux sur les biographies de saint François avec Paul Sabatier.
Après-guerre, cette redécouverte des écrits de saint François est largement encouragée par le Fr. Jean-François Barbier, Provincial de Paris en 1948, qui incitait les étudiants en scolasticat à un retour aux sources franciscaines. C’est d’ailleurs lui qui, durant son provincialat, facilitera la réinsertion des frères à Vézelay et créera le bulletin La Cordelle dont le quatrième numéro annoncera la refondation de l’ermitage, nouvelle reçue avec enthousiasme par les frères de la Province de Paris.
UN ERMITE ARTISTE
Fr. Marie-François Aubry est le premier frère ermite nommé à La Cordelle. Homme de silence habité d’une âme contemplative, il passait de nombreuses heures en prière à la chapelle. À l’époque, le lieu ne recevait pas d’hôtes et les chambres disponibles étaient réservées aux frères de la Province qui désiraient se retirer dans le silence. Fr. Martin Baudouin lui succéda. Un homme également très silencieux mais qui commença à rendre des services à la paroisse voisine d’Asquin. Puis, en 1963, Fr. Ambroise Négrel leur emboîta le pas.
Notre frère sera particulièrement marqué par la maladie. Pendant ses études, une opération à la suite d’une tumeur cérébrale lui fit perdre complètement la mémoire, qu’il ne retrouvera que progressivement les années suivantes. C’est à la fin de ses études de théologie et son ordination qu’il sera nommé à La Cordelle. Fr. Ambroise eut une vocation tardive. Il avait auparavant fait l’école des Arts décoratifs. Devenu franciscain, il n’en perdit pas pour autant son amour pour l’art. Il réalisa par exemple l’actuelle porte du tabernacle de la chapelle de La Cordelle. On lui doit aussi de nombreuses gravures qui racontent la vie de saint François. Enfin, il donnait des cours d’art religieux dans des monastères contemplatifs, sur la beauté de la liturgie, la disposition des ornements, etc.
L’OUVERTURE PROGRESSIVE AUX LAïCS
S’il ne supportait pas le froid et avait pris l’habitude de quitter les lieux en hiver et jusqu’au printemps, Fr. Ambroise s’était pour autant très bien implanté sur la “colline éternelle”. Cordial avec les personnes qui venaient visiter la chapelle, il était assez présent au village de Vézelay et acceptait volontiers que quelques laïcs viennent faire de temps en temps des retraites ou récollections. Il rédigea également une histoire de La Cordelle.
Sa solitude ne l’empêcha pas de former un réseau d’amis assez important. C’est avec Fr. Serge Mérour, ancien missionnaire au Togo, qu’il partagea ses dernières années. Après son départ, en 1997, le désir d’installer à La Cordelle une communauté naissait. Fr. Jean-Baptiste Auberger, actuel gardien de Paris, lui succéda et continua de développer l’association des Amis de La Cordelle, fondée dès 1949. Toujours dans ce mouvement d’ouverture progressive de La Cordelle, il va contribuer à ce que les membres qui constituent l’association soient aussi des laïcs qui fréquentent la Cordelle, et pas seulement des frères.
Des frères ermites du “grand silence” à la constitution progressive d’un réseau d’amis, La Cordelle est l’héritière de cette histoire. Façonnée par les différents frères qui y vécurent et cette recherche d’équilibre entre deux réalités, le silence et la prière, l’accueil et l’ouverture, l’histoire continue de s’écrire ensemble et pour la plus grande joie de tous.
Fr. Luc MATHIEU, OFM
L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA CORDELLE
L’association des Amis de La Cordelle a été créée en 1949 au retour des frères à Vézelay absents depuis la Révolution française au sein de l’ermitage de La Cordelle. Elle est composée d’une vingtaine de membres, dont le Ministre Provincial de notre Province fait partie en tant que membre de droit, et d’un conseil d’administration dont la présidence est assurée par le frère gardien de La Cordelle. Son objet est de “maintenir la mémoire séculaire franciscaine rattachée à l’Ermitage de la Cordelle et de soutenir la vie et la mission des frères franciscains sur ce lieu en mettant, notamment, à leur disposition les biens immobiliers qui leur sont nécessaires.”
Un bail emphytéotique a ainsi été renouvelé avec le propriétaire de La Cordelle pour une durée de 65 ans, à compter du 1er janvier 2023. C’est l’association des Amis de La Cordelle qui porte également le chantier de rénovation pour le compte de la Province.