Plusieurs de nos frères exercent ou ont exercé le ministère d’aumônier de prison, dont Fr. Benoît Dubigeon à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (91). Élodie Buzuel, jeune réalisatrice, est venue à sa rencontre pour un projet de documentaire qui a été diffusé sur France 2, dimanche 1er septembre, durant la matinée consacrée aux émissions religieuses. Pour En frères, elle revient sur sa démarche et ce qu’elle a découvert de l’univers carcéral aux côtés des aumôniers.
Élodie comment est née cette idée de documentaire ?
J’ai été responsable de l’émission Le jour du Seigneur sur France télévision, à la fois de la partie magazine, de la messe, mais aussi des documentaires. C’est dans ce cadre-là que j’ai rencontré Fr. Benoît – qui fait partie des prédicateurs – et cela a été un coup de coeur, une vraie sympathie mutuelle. Il m’a raconté ce qu’il vivait en tant qu’aumônier car ces questions d’enfermement, de liberté, de choix aussi m’interpellent. Quand j’en ai eu l’occasion, j’ai appelé Fr. Benoît et je lui ai proposé de l’accompagner plusieurs jours dans sa mission d’aumônier.
Fr. Benoît m’a confié que l’administration avait eu quelques réticences au départ, notamment à l’idée de faire pénétrer une caméra en cellule…
Oui, cela n’a pas été simple mais on a pu s’appuyer et, je dirais même, nous avons hérité des relations de confiance tissées dans le temps par les aumôniers [Fr. Benoît entame sa onzième année à Fleury-Mérogis]. Je crois que la perspective de donner à voir une autre image de l’univers carcéral a été appréciée par la direction. Du côté des détenus, tous ne peuvent pas parler à visage découvert, notamment ceux qui n’ont pas été encore jugés. Il y a eu tout un travail de repérage et de discussions en amont mais tous ont accepté de témoigner car la confiance était là. Certes, les personnes sont anonymisées mais les voix n’ont pas été trafiquées. C’est important parce qu’il me semble que c’est aussi redonner une dignité à ces personnes-là que de pouvoir toucher leur incarnation sans être pour autant naïf sur les actes qu’ils ont commis.
Combien de temps a duré le tournage et quel est l’axe du documentaire ?
À Fleury-Mérogis, il y a 4 000 détenus. Au départ, je voulais suivre des parcours sur le long terme mais je me suis vite aperçu que c’était une espèce de projection de ma vision extérieure parce qu’en fait, il y a énormément de “turnover” au sein de la Maison d’arrêt. J’ai donc fait le choix de filmer sur un temps court – une trentaine d’heures sur deux mois – et, dans le “casting” des protagonistes, d’avoir des personnes qui vivent des choses très différentes. La diversité des histoires permet de retracer un parcours : du choc carcéral et de l’enfermement, au déni parfois, à la phase de reconstruction, de prise de conscience, puis de la quasi-sortie pour ceux qui ont été jugés etc. Et j’ai fait le choix de regarder les détenus par le biais de la relation qu’ils tissent avec l’aumônier. Pour vous donner une idée, entre détenus et aumôniers certains se connaissent depuis 7 ans… à raison d’une visite par mois, ce sont vraiment des liens très particuliers. Dans le documentaire, il n’y a ni question ni commentaire pour éviter de poser mes préjugés ou mes impressions et recueillir pleinement ce lien qui se crée entre deux personnes qui, a priori, n’auraient jamais dû se rencontrer et ont, a priori, très peu de choses en commun…
Vous avez suivi cinq aumôniers, trois catholiques et deux protestants, des hommes et des femmes, qu’est-ce qui vous a frappé ?
Leur première mission est celle confiée par la République laïque c’est-à-dire la célébration du culte dans l’espace carcéral. Mais cela va bien au-delà car ils sont les seuls à visiter les détenus en cellule. Les familles sont reçues seulement au parloir. Entrer dans une cellule, c’est pénétrer dans l’univers personnel et l’intime de chacun. Il y a quelque chose qui est presque de l’ordre de l’inversion de la relation puisque ce sont les détenus qui accueillent l’aumônier lui offrant parfois le café. Dans cet univers terrible, ces visites sont une espèce de bulle de “normalité”, c’est le seul moment où les détenus reçoivent. Cette présence répond à l’un des besoins les plus essentiels : le lien. J’ai été bouleversée par le travail que font les aumôniers sur eux-mêmes pour arriver, chaque jour, à poser un regard neuf sur les gens qu’ils rencontrent sans les enfermer dans leurs actes ou dans leurs peines. Et ces personnes sont à des “niveaux” de foi différents, d’expression différente, de religiosité différente selon les pays. C’est très riche en termes d’échanges. La prison est un lieu où se posent des questions existentielles, philosophiques et théologiques extrêmement importantes. On n’est jamais autant acculé que dans ce lieu-là. Je crois vraiment que les aumôniers peuvent ouvrir la voie à la seconde chance. Il y a des ressorts extrêmement positifs et profonds en chacun, les aumôniers savent les faire ressortir. C’est de la foi chrétienne en actes.
Propos recueillis par Émilie REY
La visite, un documentaire de 58 minutes réalisé par Élodie Buzuel, fruit d’une production tripartite Zadig production, le Comité français de radio-télévision (CFRT) et France télévisions. Vous pouvez le visionner gratuitement ici :