Fr. Benoît Dubigeon : “L’Évangile a été écrit par des taulards”

Célébrer une messe avec des personnes détenues est une expérience spirituelle forte.

En tant qu’animateur de musique, Henrik Lindell, également journaliste à l’hebdomadaire La Vie, a accompagné Fr. Benoît Dubigeon, aumônier à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Pour En frères, il nous partage cette expérience humaine et spirituelle.

J’ai accompagné Fr. Benoît à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) à plusieurs reprises. En tant que “simple” laïc et animateur de messe, j’ai ainsi pu accéder à ce centre pénitentiaire, le plus grand d’Europe. Dans ce complexe de gros blocs en béton, tristes à en mourir, s’entassent quelque 4 300 personnes détenues pour 2 855 places. Un village à part, à l’abri des regards, littéralement fermé à l’extérieur comme à l’intérieur.

Le frère franciscain y intervient, dans le bâtiment D3, pour célébrer la messe le dimanche matin et rendre visite aux personnes détenues qui le lui demandent. En tant qu’aumônier, il est le seul, avec le chef de l’établissement pénitentiaire, à pouvoir rencontrer les prisonniers dans leurs cellules. Connaissant le Fr. Benoît, je sais à quel point il est important, pour lui, d’exercer cette mission ô combien chrétienne. Je mesure la portée que ces entretiens peuvent avoir pour les détenus. L’enjeu humain est évidemment énorme dans cette situation de misère. À part les éventuelles visites des proches au parloir, les prisonniers ne voient pratiquement que des personnes qui viennent de l’univers carcéral. Sauf s’ils travaillent dans des ateliers en journée – une activité qui ne concernerait que 20 % d’entre eux – ils passent 22 h sur 24 dans leurs cellules de 11 m2 qu’ils partagent souvent avec un codétenu.

SIGNIFIER UNE PRÉSENCE

Mon rôle d’animateur de messe, beaucoup plus réduit, m’a cependant permis d’échanger avec certains détenus avant et après la messe. Même si nous n’avons que quelques minutes ensemble, en dehors de la durée de la messe, les circonstances spirituelles se prêtent à des moments de communion fraternelle.

Sur une assistance de 40 à 60 personnes (14 en temps de crise sanitaire), une vingtaine reste souvent pour prier devant la Croix et discuter avec la petite troupe d’animateurs. Même des sujets de conversation d’apparence banale – les choix de chants, par exemple, ou ma façon délibérément rock ou gospel de jouer sur mon clavier (ils aiment souvent la musique contemporaine et expressive !) – donnent lieu à des échanges pleins d’humanité.

J’ai l’impression qu’ils sont contents ou rassurés qu’on vienne ainsi leur signifier qu’ils ne sont pas totalement oubliés. Et cela, quelle que soit la raison de leur peine puisque nous n’en savons rien. J’ai aussi l’impression que le personnel pénitentiaire voit d’un bon œil notre venue. Nous sommes en tout cas très bien reçus. Peut-être pouvons-nous évoquer positivement le monde en dehors des murs, même pour le personnel ?

Une chose est sûre, célébrer une messe avec des personnes détenues est une expérience spirituelle forte. Pendant quelques instants, nous sommes reliés et nous sommes de facto sur le même plan en tant qu’enfants de Dieu. Fr. Benoît n’hésite pas à faire intervenir les détenus pour lire les textes bibliques ou pour partager avec lui son homélie. Leurs propos sont souvent riches d’enseignements sur eux-mêmes et sur leur situation, mais aussi sur Dieu. Fr. Benoît, qui ne manque pas de bagage théologique, m’a souvent fait part de l’apport spirituel des détenus. Celui qui est aussi aumônier de La Clarté-Dieu à Orsay (Essonne) aime les comparer à Job dans la Bible : “Comme Job, quand il était assis sur son fumier, les détenus ont tout perdu. Mais, du coup, ils vont à l’essentiel quand on discute avec eux. Les masques tombent et ils deviennent ce qu’ils sont, peu importe d’ailleurs leur religion. En ce sens, ils m’apprennent même à devenir libre”.

AUX PÉRIPHÉRIES EXISTENTIELLES

Pour nous, en tant que chrétiens, le fait de se rendre dans une maison d’arrêt est intéressant pour plusieurs autres raisons que l’on oublie souvent. D’abord parce que cette possibilité unique qui nous est offerte, pourtant souvent ignorée, peut-être une manière pour une paroisse (ou un groupe de chrétiens) de se décentrer un peu d’elle-même et d’aller vraiment vers les “périphéries existentielles” dont parle le pape François. Le groupe d’animateurs peut aussi constituer, dans certains cas, un premier contact, voire un réseau, pour la personne détenue quand elle sortira.

Par ailleurs, l’expérience même de la prison peut nous rappeler des moments importants dans l’histoire du christianisme. Plusieurs pages de cette histoire ont été écrites par des chrétiens persécutés et jetés en prison et elles le sont encore aujourd’hui dans certains pays où les droits de l’Homme ne sont pas respectés. D’innombrables saints ont traversé cette épreuve. De même, jusqu’à l’invention assez récente – au XIXe siècle – de l’institution pénitentiaire telle que nous la connaissons aujourd’hui avec son principe d’isolement et d’éloignement pendant une durée parfois très longue, il était considéré normal et même important que les prisonniers reçoivent des visites de l’extérieur. Longtemps, les prisons étaient d’ailleurs beaucoup plus poreuses qu’aujourd’hui. On peut certes penser qu’il y a infiniment plus de justice aujourd’hui et que l’on enferme moins de saints qu’à telle ou telle époque. Il est par ailleurs évident que les conditions matérielles et humaines en détention sont nettement meilleures qu’avant.

UN DEVOIR ÉVANGÉLIQUE

Il n’empêche, Jésus lui-même intègre, parmi les actes particulièrement louables, le fait de rendre visite aux prisonniers, à en croire un célèbre passage dans l’Évangile de Matthieu (Mt 25, 36). Il ne dit pas : “Rendez visite uniquement aux saints persécutés”. Et il ne dit pas non plus : “Oubliez ceux qui ont commis des actes criminels”. Le même Jésus qui, au moment de mourir sur la Croix, dit à un brigand également crucifié, mais qui reconnaît ses fautes, qu’ils se retrouveront tous les deux le même jour au Paradis (Luc 23, 39- 43). Ce Bon Larron devient le premier saint pénitent dans l’histoire de l’Église. Jésus suggère vraiment qu’il faut rendre visite aux prisonniers en général, et on peut le considérer comme un devoir évangélique. Selon une interprétation stricte de Matthieu 25, Jésus va même nous juger, un jour, en fonction de cet acte de charité là, au même titre qu’il nous demandera si nous avons donné à manger aux affamés, visité les malades et recueilli les étrangers.

Manifestement, l’expérience de la prison a particulièrement marqué les premiers chrétiens. Jésus lui-même a connu la prison, mais avant lui, surtout Jean-Baptiste qui y est mort, décapité. “L’Évangile a été écrit par des taulards !”, m’a dit, en guise de boutade, mon ami Pierre Téqui, un jeune aumônier laïc à Paris. Il est en tout cas très probable que plusieurs évangélistes, comme la plupart des disciples, dont Pierre évidemment, ont connu cette expérience. Une chose est sûre : Paul a été emprisonné plusieurs fois – sept fois, selon la tradition – et c’est en détention qu’il a écrit pas moins de cinq de ses épîtres, par exemple celles aux Éphésiens, aux Colossiens et aux Philippiens. Le Nouveau Testament serait fort incomplet, impensable même, sans ces lettres-là. Qu’on y pense la prochaine fois qu’on ira animer la messe en prison ou ailleurs !

Henrik LINDELL

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