Lorsque nous l’appelons au téléphone, c’est depuis Padoue qu’il nous répond ! Fr. Bernard-Marie Cerles, conventuel, est un passionné de saint Antoine. Il nous aide à comprendre pourquoi saint Antoine a autant marqué son époque.
Propos recueillis par Henri DE MAUDUIT
Frère Bernard, comment saint Antoine reçoit la charge toute particulière de prédicateur ?
Saint François avait une méfiance vis-à-vis des savants et théologiens. Mais au début du XIIIe siècle, il se retrouve confronté aux hérésies ambiantes, notamment cathares. Or, les prédicateurs franciscains de l’époque n’ont pas forcément de formation pour tenir tête à ces différents hérésiarques. Il devient donc nécessaire que les frères soient formés. C’est pourquoi, reconnaissant en saint Antoine sa sainteté de vie par son humilité et sa simplicité, et en même temps sa science et ses facultés intellectuelles, saint François lui donne la permission d’enseigner pour former les frères à la prédication.
Il lui adresse donc une lettre très courte – deux phrases seulement – et signée de sa propre main : “Au frère Antoine, mon évêque*, frère François, salut. Il me plaît que tu enseignes aux frères la sainte théologie, à condition qu’en te livrant à cette étude tu n’éteignes pas en toi l’esprit de prière et de dévotion, ainsi qu’il est marqué dans la Règle.” Par ce message, deux objectifs se dessinent donc : un premier, ad intra, qui visait à l’enseignement des frères au sein de l’Ordre et un second, ad extra, par lequel, à travers ces enseignements, saint Antoine permettait aux frères mais aussi à lui-même, de prêcher sur les routes.
Saint Antoine avait-il une méthode de prédication ?
Oui. Il prêchait dans un but pastoral, son souci premier était donc d’être compris. Pour cela, il a développé une véritable pédagogie en s’appuyant sur les choses visibles, notamment en lien avec la nature. Ainsi, quand il tire une phrase de la Bible, il la détaille en prenant des applications symboliques – animaux, plantes, personnages – pour tous les mots, s’appuyant sur les connaissances et les sciences naturelles de son époque. Ainsi va-t-il comparer l’avarice à la taupe : comme elle, l’avarice n’a pas la lumière de la sainte pauvreté mais elle se contente de creuser la terre et d’aimer les biens terrestres. Ou, exemple plus surprenant encore, il va utiliser dans un de ses sermons l’image de l’éléphant qui a une mémoire phénoménale pour désigner… la Vierge Marie qui garde les choses et les médite dans son cœur !
Il y a ainsi tout un bestiaire dans la prédication antonienne. Antoine se sert en fait d’une méthode de catéchèse populaire bien connue à l’époque : celle que l’on retrouve dans les enluminures ou bien sur les tympans, les chapiteaux et les vitraux des cathédrales, où chaque animal a sa symbolique. C’est ce que l’on appelle la biblia pauperum, la “bible des pauvres” : on part de l’imagination pour rejoindre les gens.
Enfin, les miracles qu’il accomplit sont aussi une forme de prédication par laquelle il prêche la guérison de l’âme. Ainsi, quand il prêche aux poissons (Fior 40), il ne s’agit pas tant d’une belle fable écologique que d’une prédication anti-cathare, une manière de s’adresser à ceux qui ne l’écoutaient pas. Pour ces derniers, qui voient la création comment l’œuvre d’un démon, saint Antoine va justement s’adresser à de simples créatures, magnifiant par-là l’œuvre de Dieu et appelant à louer le Créateur et Père de tous les êtres.
Quel rapport avait-il avec les saintes Écritures ?
S’il était bon prédicateur et théologien, saint Antoine était avant tout un excellent exégète, amoureux des Écritures. Il les scrutait pour en donner une interprétation. On peut même parler d’une véritable forme d’investigation de la sainte Écriture où une référence en appelle à une autre. Il cherchait aussi le sens littéral mais aussi moral dans ces écrits. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la lectio divina. Il va exceller dans cette méthode, à tel point que le pape de l’époque, Grégoire IX, lui donnera deux qualificatifs : “L’écrin de la sainte Écriture” et “L’Arche du Testament” !
*La formule “Mon évêque” renvoie non pas à un titre ecclésial mais au fait qu’il est “docteur” de la foi.
UNE NOUVELLE “BIOGRAPHIE” DE SAINT ANTOINE DE PADOUE
Une nouvelle vie de saint Antoine ? Oui, mais de bonne qualité quant au style limpide et facile à lire par quiconque, quant à l’exactitude historique puisée aux meilleures sources et études, mais aussi quant aux propos de l’auteur de conduire son lecteur à la spiritualité évangélique et franciscaine.
Hervé Roullet est déjà connu comme auteur de plusieurs livres de spiritualité et d’histoire religieuse, comme son livre, Les Martyres religieuses depuis le début du christianisme (2023) ou par ses biographies sur Joseph de Cupertino, Joséphine Bakhita ou Gemma Galgani. Il aborde les dévotions populaires et les récits de miracles avec beaucoup de tact et de sûreté théologique.
Bref, un livre qui, sans prétention de renouveler la connaissance du saint de Padoue, apporte une manière simple et fructueuse de méditer sa vie, ses enseignements et ses miracles.
Fr. Luc MATHIEU, OFM