Un parcours franciscain fait de lumière et de fraternité

“Tout ce que je vois me donne envie de louer le Seigneur !

Envie de vivre un grand voyage intérieur ? C’est le pari proposé par la famille franciscaine dans un parcours spirituel pour le moins original. Retour sur une semaine à l’école de saint Bonaventure, hors du temps, qui n’a pas fini de porter du fruit, parole de participante !

“Vous êtes invités à vivre un parcours, il ne s’agit pas d’une retraite ni d’exercices spirituels”. Le décor est planté par Fr. Pascal Aude, capucin en Algérie et coordinateur de l’initiative. Brigitte Gobbé, l’une des animatrices, se fend d’un ultime conseil : “Laissez-vous guider et déplacer vers un ailleurs que vous ne connaissez pas encore. Soyez dans une passivité active, laissez d’abord le texte résonner en vous à partir de ce que vous êtes.” D’emblée, leur introduction pique la curiosité de la quinzaine de participants de notre groupe, rassemblés au foyer Sainte-Anne, dans le Doubs.

UN CONCENTRÉ DE JOIE SPIRITUELLE

Une partie des participants est déjà familière de la spiritualité franciscaine : sœurs clarisses, de saint François d’Assise, frères franciscains et capucins, membres de la fraternité séculière. Ils sont venus “à la rencontre d’un théologien franciscain que l’on a mis au placard pendant des siècles”, ou encore “approfondir l’expérience spirituelle du Poverello”. Les “néophytes”, quant à eux, sont “à la recherche d’un regard franciscain pour enrichir leur foi”. Aucun de nous n’est philosophe, mais chacun a pourtant fait le choix de se plonger dans l’Itinéraire de l’âme jusqu’en Dieu. Ce petit opuscule a été rédigé par saint Bonaventure sur le mont Alverne en 1259. Relativement court, il permet d’être appréhendé en une semaine, à l’image de ses sept chapitres qui font écho aux sept jours de la Création. Et si au premier abord, le texte, avec son vocable médiéval, a quelque chose d’énigmatique, il se révèle être un véritable concentré de joie spirituelle.

GOÛTER À LA COMMUNION D’AMOUR

“Il y eut un soir, et il y eut un matin : premier jour”. Dès les premières heures, notre groupe plonge doucement dans le silence puis se retrouve aux premiers rayons du soleil pour un temps d’éveil corporel. Cette étape marque l’un des axes forts de ce parcours : l’attention au corps qui est le lieu de la rencontre intime avec Dieu. Sourires aux lèvres, les participants essayent d’imiter les mouvements agiles de Fr. Pascal nous invitant à être présents au moment. Nous reprenons en gestes la prière de saint François : “Nous t’adorons O Très Saint Seigneur Jésus Christ, ici et dans toutes les églises qui sont par toute la terre. Et nous te bénissons d’avoir racheté le monde par ta sainte croix”. Nous voilà prêts pour ouvrir l’Itinéraire, crayon en main et glossaire sous le coude. Et si frère Bonaventure traîne une réputation d’auteur compliqué (voir encadré ci-dessous), c’est qu’il ne vous a jamais été expliqué par Brigitte Gobbé ! La tertiaire franciscaine sait décrypter “le squelette” et la logique de chaque chapitre. Ainsi, telle “une échelle pour monter jusqu’en Dieu”, les deux premiers invitent à la contemplation de Dieu à l’extérieur de nous, c’est-à-dire dans la Création. Les deux chapitres suivants invitent à la contemplation de Dieu à l’intérieur de nous, puis les trois derniers à la contemplation du divin lui-même, et ce jusqu’à l’extase mystique – si, si je vous assure ! Le plan de l’Itinéraire révèle à lui seul la finalité de notre semaine : une plus grande communion d’amour avec Dieu.

DISTILLER BONAVENTURE !

Tout au long de la semaine, Brigitte se veut rassurante : “Ne cherchez pas à tout comprendre, acceptez d’être dépassé aujourd’hui, nous en reparlerons demain !” La pensée bonaventurienne ne se distille que dans la confiance. “Je me suis laissée prendre par la main pour entrer dans la profondeur du texte et me laisser toucher le cœur et non la tête, même si la tête est aussi nécessaire !”, témoigne Sr. Claire-Bénédicte. Bonaventure nous fait tour à tour réfléchir à la prière, à la mémoire, au jugement ou encore au plaisir… Mais il revient toujours à la Trinité ! J’en ai été la première surprise. J’ai littéralement “bloqué” dessus pour réaliser, qu’en fait, je ne savais pas ce que cela signifiait pour ma propre foi ! Cela s’est éclairé, doucement, quand Brigitte nous a invités à regarder notre société actuelle, qui peine dans le vivre-ensemble, qui n’est pas ”communiante” à l’inverse de notre Dieu qui est Père, Fils et Esprit Saint. J’ai pu recevoir cette Trinité, exemple parfait de relations, qui n’est que bonté, fécondité et gratuité. Plus encore, j’ai compris que dans la Trinité, Dieu partage avec nous la responsabilité de cette relation d’amour dont Il veut inonder le monde.

PAR UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE

Dans la foulée de l’enseignement matinal, Fr. Marcel Durrer – exégète et formateur d’agents pastoraux – en binôme avec Fr. Pascal, nous propose chaque jour un temps d’approfondissement du texte bonaventurien. Chacun peut librement exprimer ses incompréhensions ou demander une reformulation. “Je me disais que je serais sans doute un peu “largué” mais les animateurs nous proposent de multiples moyens pour entrer dans la compréhension du sujet”, constate François. Fr. Max surenchérit : “Si la parole de Bonaventure a pu être aussi efficace, c’est grâce à la façon dont elle nous a été transmise ; le quatuor d’animateurs a dépassé mes attentes”. L’après-midi est l’occasion de vivre une démarche “d’intégration du texte”, faisant appel à nos cinq sens. Plusieurs activités sont proposées : “Je pense important que les futurs participants connaissent à leur tour l’heureuse surprise que j’ai eue. Je ne vais donc pas leur révéler qu’on a joué en plein air avec des […], colorié des […], cuisiné du […]”, passe sous silence François. Christophe rajoute : “Cette diversité d’approches n’est pas commune. Bien souvent, il n’y a pas ce travail sensoriel. Personnellement, j’ai besoin que ça descende, que cela ne reste pas que dans la tête !” Il nous parle d’une souche d’arbre aperçue lors d’un de ces ateliers. “Le jour 1, j’étais invité à la contempler, le jour 2, on s’est apprivoisés ! Je me suis retrouvé en face d’elle à lui dire : “Est-ce que je te regarde dans le cadre d’un exercice ou de manière gratuite ? Mais surtout est-ce que tu as quelque chose à m’apprendre ?” Et cette souche avec ses failles et ses champignons m’a parlé du lépreux de François qui lui donne la vie. Elle m’a renvoyé à mes propres failles d’où peuvent aussi jaillir la vie”. Sans jamais rien imposer, le parcours bonaventurien ouvre la porte du corps, de l’âme et de l’esprit.

UNE LITURGIE COMPOSÉE SPÉCIALEMENT

L’après-midi se termine par un temps d’oraison guidée puis par la messe. Fr. Éric Moisdon nous invite à travailler notre posture, notre respiration, le lâcher-prise, la présence tout simplement afin de nous “tenir dans le jaillissement de Dieu”, mots repris à la poétesse Madeleine Delbrel. “C’est assez mystérieux le travail que Dieu peut faire quand on Le laisse habiter ce silence”, confie Christophe. Un autre participant s’étonne : “J’avais lu pas mal d’ouvrages sur l’oraison, mais cette fois-ci, j’ai été invité à la vivre avec d’autres et cela change tout. Il y a eu une telle qualité de prière, je me suis senti porté.” À l’unanimité, nous saluons l’attention particulière portée à la prière et à la liturgie. Tous les offices de la semaine ont en effet été composés pour l’occasion, permettant de goûter d’autant mieux à la spiritualité franciscaine. Les célébrations eucharistiques quant à elles ne manquent pas de créativité et de gestes symboliques pour accompagner notre cheminement spirituel. Fr. Pascal, à la guitare, sait faire vibrer au plus juste les chants dans les cœurs. Fr. Marcel réussit le tour de force de faire résonner Bonaventure dans l’homélie de l’Évangile du jour proposé au calendrier liturgique. “Cet Itinéraire jusqu’en Dieu fut comme une traversée vers la lumière. Jusqu’à toucher la bonté irradiante de la Sainte Trinité, avec une joie indicible”, partage Éric. Anne-Marie reconnaît enfin : “Ce parcours m’a changée. Vraiment. Tout ce que je vois me donne envie de louer le Seigneur !” “Il y eut un soir, et il y eut un matin” : heureuse nouvelle, vous êtes déjà invités au prochain parcours !

Émilie REY


Pourquoi lire Bonaventure est exigeant ?

“Bonaventure a une pensée extrêmement synthétique tout en étant systémique(1) ; on n’est pas habitué à cela, c’est déconcertant !” Fr. André Ménard(2), l’un des experts de la pensée bonaventurienne, explique : “[Bonaventure] est un contemplatif, il ne projette pas ses idées sur les choses mais commence d’abord par capter ce que les choses lui disent. À partir de là, il propose des schémas de méditation qui ne sont pas faits pour être lus au pas de course ! […] Il a des petits modules [des articles de foi] qu’il balade d’une œuvre à une autre et qu’il articule de façon différente. Chez Bonaventure, vous trouverez toujours le même fond de discours mais pris sous un autre angle”. Il termine : “Aujourd’hui de nombreux croyants ont une foi en morceaux, pourtant la tradition de l’Église nous dit que l’intelligence de la foi suppose la capacité d’articuler entre eux les articles de foi”. Frère Bonaventure, en bon pédagogue, nous ouvre un chemin ! Témoigner c’est aussi se former.

(1) Une autre façon de dire que “tout est lié”.
(2) Thèse de Fr. André Ménard : « Les structures de la foi. Contribution à l’étude d’une théologie bonaventurienne », 1971.

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