“Il vous a envoyé dans le monde entier pour qu’en parole et en acte, vous rendiez témoignage à sa voix et que vous fassiez savoir à tous qu’il n’est de tout-puissant que lui” (Lettre à tout l’Ordre 13). Voilà comment François caractérise le centre de gravité de la vocation de sa fraternité et l’étendue de sa mission. Depuis de nombreuses années, Fr. Jacques Jouët part en itinérance à la rencontre de Dieu en l’autre…
Fr. Jacques, qu’est-ce que l’itinérance ?
L’itinérance est une adhésion à une forme de vie de frère “disciple – missionnaire” du Christ dans la mobilité, la pauvreté et la prière. Le frère itinérant mendie sa route, sa nourriture, de quoi s’abriter en chemin… Il annonce l’Évangile aux personnes qu’il rencontre. On peut même dire que l’annonce évangélique se réalise dans les rencontres. Elle se vit dans “l’esprit du 2 par 2” (Luc 10,1) dans la fraternité. Nous les réalisons par périodes, cela peut être quelques jours, semaines ou mois.
Que recherchez-vous, qu’expérimentez-vous à travers cette action ?
Je suis venu chez les franciscains, attiré par François d’Assise et sa manière de vivre l’Évangile à la suite du Christ, sur les routes. François est “en mouvement” avec ses frères. Il a le “cœur brûlant”. Avec l’itinérance, je cherche à vivre la confiance totale à Dieu. Cette expérience demande un “lâcher prise”. Elle nous libère de nos attaches, nous apprend – ou réapprend – l’unique nécessité dans la simplicité : Dieu est là avec nous ! Nous n’avons pas à avoir peur du froid, de la fatigue, de la faim… Notre Père sait ce dont nous avons besoin (Mt 6,8).
Comment vivez-vous les rencontres durant ce temps ?
Les rencontres sont toujours un mystère, une aventure qui se vit très simplement. Parfois, c’est nous qui les sollicitons lorsque nous demandons un verre d’eau, un logement. Ensuite, selon la réaction de la personne, tout peut arriver. Acceptation, refus, indifférence… ? Parfois, ce sont les personnes qui viennent à nous pour nous parler, nous inviter, nous demander de prier pour eux… Il y a aussi tous ceux qui nous voient passer et ceux qui en ont “écho”. Sur tout cela nous n’avons pas de “prise”, c’est le Seigneur qui fait Son œuvre.
Y a-t-il une “manière franciscaine” d’aller à la rencontrer de l’autre ?
On se présente en frère mendiant, en frère pauvre. Cela fait sauter les barrières de la domination des uns sur les autres. Nous tentons d’établir une relation amicale et fraternelle en voulant être témoin et serviteur du Christ. L’autre que nous rencontrons est souvent celui qui a accepté de nous accueillir. Il est ainsi “ouvert” à la rencontre. Il prend soin de nous car nous sommes démunis, fatigués. Cela me fait penser à Jésus qui demande à boire à la Samaritaine (Jn 4-5,42). Nous nous laissons accueillir par celui que nous avons sollicité. Nous répondons à ses questions, nous prenons le temps de l’échange. Souvent, ces personnes sont en attente de quelque chose dans leur vie et notre passage va être l’occasion de se livrer en profondeur. Ils peuvent nous confier des fardeaux pesants : divorce, perte d’un enfant, racisme, suicide, désespérance… En les écoutant et en priant avec eux, nous sommes témoins qu’une joie progressivement survient. À travers nous, simples frères, le Seigneur peut “passer” dans leurs vies. Alors que nous les dérangions pour qu’ils s’occupent de nous, les personnes sollicitées nous remercient d’être venus les visiter.
Auriez-vous une belle rencontre vécue durant un temps d’itinérance à nous partager ?
Je me souviens, un soir, à Saint-Martin d’Uriage en compagnie d’un autre frère. Nous avons été interpellés par une dame depuis son balcon : “Que cherchez-vous ?” nous dit-elle. Nous lui répondons timidement : “Un hébergement”… Et elle de répondre : “Et bien ! Venez chez moi !”. La surprise passée, nous entrons chez elle et faisons connaissance. Catherine vit seule depuis son divorce. Elle est visiblement très heureuse et veut bien nous accueillir. Elle nous dit que sa sœur, si croyante et pratiquante, aurait été mieux placée qu’elle pour nous recevoir. Nous prenons un bon repas ensemble et la discussion se prolonge. Elle nous confie une grande souffrance. Sa fille est partie subitement dans la cité “malfamée” d’à côté brisant ainsi l’harmonie familiale. Nous lui proposons de rencontrer sa fille. Après de multiples tentatives, le rendez-vous “pas gagné d’avance” est pris. Il va se faire près d’un banc public, le lendemain, sans la présence de la maman. Que dire de cette rencontre ? Improbable, inoubliable ! Cette jeune fille s’est assise, nous a écoutés et, assez rapidement, a été émue. En larmes, elle nous a demandé : “Pourquoi personne ne m’a jamais dit cela avant vous ?”. Nous ne savions pas à l’avance ce que nous allions lui dire. Visiblement, le Seigneur a pu passer à travers nous pour toucher cette jeune âme en peine et commencer un chemin de guérison et de réconciliation. Rendons grâce à Dieu miséricordieux qui relève et donne vie à ceux qui se perdent. Notre joie fut immense dans notre pauvreté d’avoir été témoins privilégiés de la grâce divine agissante dans les cœurs brisés.
Fr. Jacques JOUËT, OFM