Miséricordieux comme le Père

Contempler Jésus, de le regarder être en relation, avec ce mélange de bienveillance, d’accueil inconditionnel.

S’il n’y avait qu’une phrase à retenir de l’évangile de ce dimanche, qui résume tout le reste, c’est : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. » Tout est dit de la mission de Jésus : manifester la miséricorde du Père, et non seulement la manifester mais la rendre effectivement présente, faire en sorte qu’elle se réalise à travers ses paroles et ses actes. Peut-être vous demandez-vous ce qui se cache derrière le mot « miséricorde » ? J’aime cette étymologie latine : miser cor dare « donner son cœur à celui qui est misère ». Mais le mieux est encore de contempler Jésus, de le regarder être en relation, avec ce mélange de bienveillance, d’accueil inconditionnel, de tendresse même, dans une grande liberté qui donne à chacun l’impression d’être unique, de compter pour lui, d’être reconnu et aimé. J’aime revenir à l’attitude de ce père vis-à-vis de ses deux fils ; ce père qui, jour après jour, attend sur le chemin son cadet qui l’avait quitté en emportant sa part d’héritage. Ce père n’a jamais cessé de croire en son fils, d’espérer son retour, et quand il le voit au loin, il ouvre simplement les bras et l’enlace, dans une attitude plus maternelle que paternelle. Sur la croix, Jésus ouvre pareillement les bras pour nous signifier que personne n’est exclu de la tendresse du Père, qu’il est venu sauver tous les hommes. C’est la découverte de la miséricorde qui va transformer la vie de François. Il nous le raconte dès les premières lignes de son testament : « Lorsque j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable, mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux, et je fis miséricorde avec eux. » Curieuse expression que celle de François : je fis miséricorde avec eux. Elle dit pourtant toute la portée et la profondeur de sa conversion. On le sait, François était naturellement ouvert aux autres, généreux. Les biographes nous le montrent donnant à pleines mains l’argent puisé dans la caisse du magasin de son père. Mais il se donne là encore le beau rôle ; il est maître de la relation. Il reste pour ainsi dire extérieur à la relation, il ne se donne pas lui-même. Il faudra que les lépreux le conduisent sur un autre chemin, celui d’une fraternité vraie, exempte de toute condescendance. Ils lui font le plus beau des cadeaux, celui de s’ouvrir à la vérité de son être, de cesser de jouer un personnage. François découvre sa propre lèpre, son péché, sa misère. Cette prise de conscience ouvre chez lui une période douloureuse. Il se sent si loin de l’amour du Christ qui le brûle de plus en plus. Comment pourrait-il en être digne ? Il ne sera jamais à la hauteur ! François est ainsi torturé par la culpabilité jusqu’au jour où il s’ouvre enfin à la miséricorde du Seigneur. C’est à l’ermitage de Poggio Bustone : « Revoyant dans l’amertume de son âme, ses mauvaises années, il répétait : « Mon Dieu, aie pitié de moi qui suis un pécheur ! » Et peu à peu une indicible joie et une grande suavité filtrèrent au plus intime de son âme ; le ravissement commença, et disparurent alors les angoisses et ténèbres qui s’étaient comme épaissies dans son âme à la pensée troublante de ses anciens péchés ; avec la certitude du pardon complet, l’assurance lui fut donnée qu’il pouvait se reposer sur la grâce. » Ouvrant les yeux, François croise le regard du Christ qui prend sur lui notre lèpre, se met à genou pour nous prier de nous laisser laver les pieds et choisit la pauvreté et l’humilité pour qu’enfin nous lui ouvrions notre cœur blessé. Dès lors sa misère n’est plus une honte mais le lieu même où François s’ouvre à la miséricorde du Père. C’est ce qu’il dit dans sa si belle prière qui conclut la Lettre à tout l’Ordre : « Dieu tout puissant, éternel juste et miséricordieux, par nous-mêmes, nous ne sommes que misère ; mais toi, à cause de toi-même, donne-nous de faire ce que nous savons que tu veux et de vouloir toujours ce qui te plaît. » François a trouvé sa vocation : être miséricordieux comme le Père, à la manière de Jésus. Demandons la grâce de croiser dans nos vies la miséricorde du Père, de sentir nous aussi la chaleur de ces bras qui nous enlacent après une longue errance. Demandons la grâce d’être à notre tour témoins de la miséricorde, frères et sœurs de ceux qui sont encore enfermés dans leur misère.

Fr. Nicolas Morin, ofm en communauté à Besançon

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC 6,27-38

En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.
Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

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