À cœur
ouvert

Fr. Vincent Lepetit

“Je voulais répondre à l’amour infini de Dieu”
“Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange”. Cela, je l’ai vécu dans mon corps.

Bio express

11 mars 1956

Naissance à Amiens.


À partir de septembre 1968

3 semaines de coma.


Juin 1977

Diplôme d’aide-soignant.


17 octobre 1980

Entrée chez les franciscains.


30 avril 1988

Profession solennelle.


Depuis juin 2018

En communauté à Paris.


Depuis mars 2019 (1er numéro d’En frères)

Votre serviteur dévoué pour expédier la revue !

Propos recueillis par Émilie REY

“J’accepte de vous partager ma vocation mais à condition que ce soit un témoignage de louange”. Le cadre est posé. Fr. Vincent Lepetit, né à Amiens, a connu une adolescence singulière qu’il accepte de partager pour En frères.

Issu d’une fratrie de cinq enfants, Frère Vincent se souvient d’un foyer fervent et aimant où on ne manquait de rien, “même si les parents se privaient de viande, sans nous le dire”. Il garde aussi le souvenir des préfabriqués construits au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans le quartier ouvrier de Saint-Maurice. Tout autant de ce prêtre qui visitait les gens du voyage ou encore de l’assiette du pauvre laissée au bout de la table. Dans la famille Lepetit, la spiritualité paternelle est colorée par les jésuites.
Au cœur des années soixante, alors que le Concile Vatican II se termine, on commence à percevoir un léger recul de la pratique religieuse. “J’avais neuf ans et j’ai été marqué par un ami prêtre qui disait qu’il y avait de moins en moins de prêtres. Cela, je l’ai retenu, ça m’a étonné puis je l’ai oublié”.

DU COMA À LA VIE

Le grand évènement qui va bouleverser la vie du jeune Vincent, c’est cet épisode de coma profond dans lequel il tombe alors qu’il s’apprête à rentrer en 4e. Il raconte cette semaine qui débute dans sa chambre où on lui diagnostique une grosse grippe pour finir au service de neurochirurgie. Il y subit une batterie de tests qui révèlent une thrombose cérébrale : un caillot de sang qui va provoquer une paralysie du corps, des troubles du langage, de la vue, de la marche… Trois semaines d’absence. Au réveil, “J’étais complètement paralysé et je ne parlais plus. C’est en faisant une chute du lit que la parole est revenue”, partage-t-il encore surpris.
Une longue rééducation débute, consignée dans le petit Journal de Vincent qu’il rédigera bien des années plus tard. Ils relatent, lui et sa mère, toutes les étapes de ce long réapprentissage à la Salpêtrière : les défis physiques, les mains tendues, le refus d’abandonner.
“Étonnamment, je me souvenais que mon grand frère me devait 50 centimes mais j’ai dû réapprendre les lettres puis à parler pour enfin écrire de la main gauche ! Il m’a fallu dix ans et encore… Avant ma maladie, je devais rentrer en 4e et j’ai regagné une classe de 11e [niveau CP]. Peut-on repiquer toutes les classes de la 11e à la 5e ? Oui, je l’ai fait”, dit celui qui rêvait de devenir chirurgien, de se marier et d’avoir des enfants.
Porté par l’amour des siens et une abnégation rare, Vincent gagne chaque jour des petits combats : le BEPC, être aide-moniteur en colonie, le permis de conduire jusqu’à son diplôme d’aide-soignant, profession qu’il va exercer pendant plus de trente ans. “Tout cela alors que j’étais considéré handicapé à plus de 80 %”.

COMME “UNE LIGNE FRANCISCAINE”

“Je n’ai jamais douté. La foi est toujours restée. J’ai toujours porté la conviction que le Seigneur s’est servi de cela pour me faire comprendre des choses. Je sais qu’Il ne m’a pas voulu dans cet état. Je n’ai jamais été en colère contre Lui car j’ai grandi avec l’image d’un Dieu d’amour”. Et en regardant dans le rétroviseur, il constate : “C’est un chemin de vie franciscaine que je vivais sans le savoir. Quand on prie les Laudes, on récite chaque jour : “Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange”. Cela, je l’ai vécu dans mon corps”.
Après sa longue convalescence, Vincent en est certain : “Je suis encore sur terre, le Seigneur veut quelque chose de moi. Je voulais répondre à l’amour infini de Dieu. Je sentais en moi un appel. Je suis allé en plusieurs endroits et ma mère m’avait dit : “Ne va pas à Amiens chez les franciscains car ils sont vieux !’”.
Qu’à cela ne tienne, il file à Paris puis à Fontenay-sous-Bois où il fait la rencontre de Fr. Jean-Luc Deshes avec ses longs cheveux ! On lui glisse alors dans les mains Sagesse d’un pauvre qui vient de paraître (1969). “Dans la vie, face à des choix, il y a toujours un “oui…mais”. Chez les frères le “oui” était plus grand que le “mais” ! L’accueil, les repas, la fraternité : c’était comme chez mes parents. Il y avait une continuité.” Le voilà entré au Noviciat pour son plus grand bonheur. “Ce fut un temps joyeux, nous étions trois et je suis le seul à être resté !”

LOUER DIEU

C’est à ce moment, sans concertation avec sa mère, qu’ils décident pourtant de mettre ensemble des mots sur tout ce que la famille a vécu. Aidé par le Fr. Marie-Adrien Corselis, “J’avais envie de dire qu’on peut s’en sortir. Peut-être pas comme on le voudrait, mais on s’en sort. Mon handicap, j’ai et j’aurais à vivre avec chaque jour”. Il le fait aussi en témoignage pour ces jeunes qu’il côtoyait à l’hôpital, abattus par la fatalité. “Peut-être pas aussi aidés que moi”, reconnaît Fr. Vincent, plein de gratitude pour ses parents.
“La règle et la vie des Frères Mineurs est la suivante : observer le saint Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ”. Il reprend les mots du petit pauvre d’Assise pour dire la “ligne” qu’il a choisie, qu’il a pu choisir. Et il garde un souvenir ému de ses vœux perpétuels avec Fr. René Pépin et Fr. Benoît Dubigeon à Saint-Pierre de Montrouge, en 1988, à Paris.
“Tout était… [silence]… je ne sais pas… [silence] c’était un “oui” serein et cela l’est toujours. C’est bien là que le Seigneur me voulait”, conclutil en rendant grâce. “Vous savez ce qui m’interpelle ? Quand on prie, “on prie souvent pour”, on est dans la demande. Pour ma part, je commence toujours par louer le Seigneur puis, je lui confie mes intentions. Je suis heureux de vivre le moment présent, malgré les difficultés à vivre chaque jour afin de continuer à vivre pleinement”. Toute ma vie, je chanterai ton nom Seigneur.

Contact