À cœur
ouvert

Fr. Hugues Steinmetz

“Socrate, Platon ou Aristote ne m’apportaient pas de réponse”
Dieu écrit droit avec des lignes courbes

Bio express

7 mai 1927

Naissance à Sélestat.


Septembre 1943

Mobilisation dans l’armée allemande.


23 octobre 1951

Premiers vœux.


7 septembre 1954

Profession solennelle.


29 juin 1955

Ordination sacerdotale.


1er août 1994

Arrivée à Hohatzenheim en tant que recteur du sanctuaire.


8 octobre 2021

Arrivée dans la fraternité de Strasbourg.

Propos recueillis par Henri DE MAUDUIT et Émilie REY

“Dans mon cursus scolaire, nous avons connu pendant quatre années la tragédie de l’Occupation par l’Allemagne nazie” débute Fr. Hugues Steinmetz, issu d’une famille pratiquante de quatre enfants dont un frère jumeau. Une expérience étroitement liée à sa vocation religieuse. Rencontre.

De l’apprentissage de la langue allemande à l’obligation de participer aux Jeunesses hitlériennes tous les samedis, Fr. Hugues revient longuement sur cette période sombre de l’histoire qui a voulu “occulter voire même broyer tout ce qui était français”. Ainsi, de ses 13 ans à ses 17 ans, le jeune collégien originaire de Sélestat, dans le Bas-Rhin, se voit interdit de prononcer un mot de français ! Jusqu’à ce lundi de septembre 1943 où l’on vient tambouriner à la porte de sa classe : “C’était le proviseur accompagné de deux officiers de la Wehrmacht. Ils nous invitent à rejoindre la salle des fêtes pour un conseil de révision. Les 28 gamins que nous étions étaient bons pour le service militaire allemand !” Fr. Hugues doit quitter l’école et devient un “malgré-nous”, comme tant d’autres Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l’armée régulière allemande.

LE CRUCIFIX POLONAIS

La mémoire vive, Fr. Hugues égrène les villes et les dates des entraînements où l’on apprend à tuer jusqu’à la mobilisation sur le front russe. “On luttait contre les Polonais qui s’étaient alliés aux Russes pour mener des attentats nocturnes. Le colonel allemand avait demandé qu’un responsable de chaque compagnie puisse assumer la mission d’officier de surveillance afin que personne ne vienne détériorer notre matériel”. Silence dans les rangs… Personne ne se précipite, ils sont cinq Alsaciens et quarante Allemands : “Personne ne voulait se retrouver avec trois balles dans le corps !” Mais Fr. Hugues, par ordre du capitaine, se voit imposer cette tâche. “Les collègues m’imaginaient déjà entre quatre planches”. Pour cette mission, il dispose d’une bicyclette. “Je faisais un tour dans un petit village polonais, j’étais fatigué et voilà que j’arrive à proximité d’une église. Je me couche sur le premier banc et commence à roupiller ! En me réveillant, j’avais devant moi le chœur et un immense crucifix. Je le regarde longuement puis, tout à coup, j’ai comme cette intuition intérieure : c’est Dieu qui me tend les bras, il m’appelle à venir à sa suite. Je vois la tête du Christ avec cette peinture rouge qui dégouline sur son visage, c’est l’humanité pécheresse qui crie à Dieu : Miséricorde ! Ce fut le début de ma vocation, une vocation que j’ai portée sept ans !”.

DE SOCRATE À GUARDINI

En effet, le 18 novembre 1944, Fr. Hugues est en Pologne, entre Varsovie et Cracovie. “On avait dû se replier sur Breslau (Wrocław dans l’ouest de la Pologne) à la suite d’une attaque russe et le capitaine m’appelle, il voulait me remercier d’avoir assumé cette tâche malgré moi et me donnait quinze jours de permission immédiate”. Fr. Hugues refuse de partir sans son frère jumeau. Permission accordée aux deux frères. Il se souvient de leur joie dans ce retour en train interminable, à grelotter de froid, dans une Allemagne bombardée, et des retrouvailles familiales émouvantes au petit matin. Quelques jours après, Strasbourg est libérée puis Sélestat, le 2 décembre, veille de leur départ ! “Dieu écrit droit avec des lignes courbes”, sourit-il face à la temporalité de cette permission et de la Libération. À la fin de la guerre, grâce à un décret du général de Gaulle du 25 août 1945, “l’abitur” – le baccalauréat allemand – est reconnu en France. Fr. Hugues s’inscrit de suite à l’Université de Strasbourg en Lettres et philosophie. “J’ai cravaché pour rattraper les années perdues et colmater les brèches culturelles puis j’ai obtenu ma licence”. Diplôme en poche, il prépare l’agrégation et, en 1950, est nommé professeur à Colmar. Pendant les grandes vacances, des questions l’assaillent. “La philosophie m’a toujours interpellé, en me disant : “Mais qu’est-ce que cette humanité qui se harponne comme des voyous et des chiffonniers ?”. Socrate, Platon ou Aristote ne m’apportaient pas de réponse”. Il travaille alors l’œuvre du père Romano Guardini, théologien catholique allemand et philosophe, qui avait une perspective très franciscaine. Ses idées s’éclaircissent et il rédige une lettre de démission “pour convenance personnelle”. À 23 ans, il frappe à la porte des franciscains de Strasbourg, des frères qu’il connaît bien puisqu’ils ont un couvent à Sélestat. “J’étais organiste chez les frères, j’avais de belles relations avec eux, cela aussi ça a beaucoup joué” partage-t-il. À l’annonce de son désir d’entrer chez les frères, son père n’eut qu’une réaction : “À condition que j’entende toujours et partout que tu sois un bon et saint prêtre”. Un conseil qui habite encore Fr. Hugues et son regard pétillant de nonagénaire heureux !

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