Lueurs d’espérance pour les chrétiens de Syrie

Les gens ont nourri un sentiment d’appartenance tellement fort à notre terre durant ces années d’exil. Ils attendent le retour des frères pour revenir, ils nous font confiance.

C’est un « évènement historique pour la Custodie de Terre Sainte, un évènement avec une portée humaine et ecclésiale extraordinaire ». Tels sont les mots du Fr. Francesco Ielpo, Custode de Terre Sainte, dans une lettre adressée à tous ses frères depuis Jérusalem.

En effet, en ce samedi 8 novembre 2025, une foule immense s’est rassemblée dans le village syrien de Ghassanieh, à l’ouest de la Syrie, dans la vallée de l’Oronte. Elle accueille au son des klaxons et des tambours l’évêque latin de Syrie, Mgr Hanna Jallouf OFM, l’évêque grec-orthodoxe de Lattakié, Mgr Athanasius Fahed, et le président du Synode évangélique de Syrie et du Liban, Pasteur Ibrahim Nuseir.

Une décennie noire d’exil

À leurs côtés, une dizaine de frères de la Custodie ont fait le déplacement depuis les villages voisins mais aussi Alep, Lattakié et Damas dont Fr. Firas Lutfi qui fut le dernier frère présent dans ce village. « Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était juste après l’assassinat par des djihadistes du père François Mourad, le 23 juin 2013. Le couvent a été saccagé et pillé. Nos fidèles avaient déjà fui et, avec les quelques sœurs du Rosaire qui étaient encore présentes, nous n’avons pas eu d’autre choix que de partir ». Le village, tombé aux mains des rebelles, sera entièrement pilonné par l’armée russe les mois suivants. Une décennie noire que tout le monde voudrait pouvoir oublier…

On comprend mieux la liesse qui s’empare de la foule en ce jour qui consacre le tant-espéré retour au village. Au milieu des ruines, un cortège œcuménique se rend d’église en église pour bénir les lieux et les fidèles, comme pour tenter d’exorciser le mal et les multiples profanations. Le Notre Père est proclamé avec force, « il n’y a plus de grecs, de latins ou de protestants, nous formons un seul peuple, nous avons subi les mêmes souffrances » témoigne Gisèle, son dernier né dans les bras.

Présence et persévérance des frères

Le rythme des tambours se fait plus pressant à l’approche de l’église latine, dédiée à saint Antoine de Padoue, et du couvent franciscain. Tony, la petite vingtaine, salue chaque frère qui passe et me crie : « c’est grâce à eux que nous pouvons rentrer chez nous aujourd’hui ». En effet, Fr. Louai Bsharat et Fr. Khukaz Mesrob, respectivement curés des villages voisins de Yacoubieh et Knayeh, n’ont pas ménagé leurs efforts depuis la libération de la Syrie, le 8 décembre dernier.

Appuyés par Mgr Jallouf, évêque latin, ils plaident la cause des chrétiens de la région, toutes confessions confondues, auprès des autorités locales et nationales. C’est une âpre bataille légale qu’ils mènent car chaque famille a été expropriée de ses biens, maisons comme terrains agricoles.

Dans les villages voisins, les chrétiens qui sont restés ont vécu au quotidien l’humiliation, la privation de leurs droits et parfois l’enlèvement ou l’emprisonnement. Mais alors que la situation devenait de plus en plus critique dans le gouvernorat d’Idlib, la Custodie de Terre Sainte a pourtant fait le choix de rester présente dans les villages de Knayeh et Yacoubieb.

Les franciscains se sont ainsi retrouvés les seuls prêtres de toute la région, à la fois curés de paroisse et, selon les besoins immédiats : infirmiers, enseignants, avocats…Véritable pont entre les fidèles et une multitude de factions djihadistes. Alors au milieu des « youyou », les plus jeunes n’hésitent pas à les hisser sur leurs épaules en signe de gratitude et de communion.

Invoquer saint François pour discerner l’avenir

Dans l’église franciscaine où croix, vitraux, statues et autel ont disparu, l’évêque latin guide la prière. Après le Notre Père et l’Ave Maria, les frères entonnent en grégorien « Salve Sancte Pater »  – chant franciscain du XIVème siècle – invoquant la protection et l’aide de saint François d’Assise, prophète du dialogue et de la réconciliation. Car la tâche est immense mais la nouvelle génération de frères entend répondre présente.

Fr. Elias Giorgios, frère syrien en formation à Rome, regarde les multiples vidéos qui inondent son téléphone. « Ghassanieh est mon village natal. C’est comme si j’étais dans un rêve, je n’arrive pas à y croire. J’en perds mes mots, j’en pleure… Ma mère et mes frères sont sur place. Je suis traversé par une joie profonde et en même temps je mesure l’ampleur des destructions… Mais j’ai confiance en l’avenir ; les gens ont nourri un sentiment d’appartenance tellement fort à notre terre durant ces années d’exil. Ils attendent le retour des frères pour revenir, ils nous font confiance. »

Alors que la fête bat encore son plein sur le parvis de l’église saint Antoine de Padoue, de nombreuses familles ont étendu des tapis au sol et des rires d’enfants s’élèvent au milieu des ruines. On prépare le café ou le maté, on allume une chicha et, aussi fou que celui puisse paraître, aujourd’hui, on est de retour à la maison. Nochkour’Allah (Merci Seigneur) !

Émilie REY

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