Échos de nos frères en Syrie

Je ne considère pas les chrétiens syriens comme une minorité, mais comme une partie intégrante et importante de l’histoire du peuple syrien.

Le 8 décembre dernier, le régime des Assad prenait fin après 54 ans de dictature. Certains, à juste titre, se focalisent sur la suite et l’avenir politique de la Syrie ; En frères se met à l’écoute de nos frères de la Custodie de Terre sainte.

Ils sont une dizaine de franciscains et n’ont jamais abandonné leurs fidèles même aux pires heures de la guerre. Ils desservent tout autant de lieux : grandes paroisses comme celle d’Alep et ses 3 000 fidèles, lieux saints comme celui de la conversion de saint Paul ou la maison de saint Ananie à Damas, et des toutes petites réalités villageoises dans la vallée de l’Oronte, fondées en 1878.

JOUR FÉRIÉ ET MESSE TÉLÉVISÉE

“Tout est allé très vite !” C’est l’expression qui est dans toutes les bouches et qui se mêle à la joie et au soulagement en ce 8 décembre. Sur les fils de conversations Whatsapp, les messages d’action de grâce n’en finissent pas, tour à tour adressés à l’Immaculée Conception — dont on célèbre la fête — ou aux récents martyrs franciscains de Damas, canonisés le 20 octobre 2024. “Ya Rab, ya Rab…”, “Ô mon Dieu, Ô mon Dieu…”, “Comment tout cela est possible ?”
Passé la stupeur, Noël frappe déjà à la porte. Et en guise de “cadeau”, les nouveaux occupants du palais présidentiel, issus du groupe Hayat Tahrir Al-Cham(1), déclarent le 25 décembre jour de congé officiel. Les cloches résonnent dans toute la Syrie. À quelques incidents près, les liturgies se déroulent dans le calme. La messe de minuit est avancée à 18 h en raison du couvre-feu et des miliciens stationnent devant l’entrée des églises afin de dissuader toute attaque. Car c’est bien la crainte de toutes les minorités désormais, que l’anarchie, la violence et l’intégrisme gagnent le pays dans ce temps d’unité et d’autorité encore à retrouver. Pour l’heure, c’est un Noël à la fois “inchangé” et totalement “différent”. “Les nouveaux dirigeants nous ont invités à célébrer nos liturgies comme d’habitude. En même temps, nous devons faire preuve de délicatesse car de nombreuses personnes parmi nous et autour de nous sont en deuil ; beaucoup de sang a été versé”, témoigne frère Hanna Jallouf, premier Syrien à avoir été nommé évêque latin au sein de son peuple. La messe du 25 décembre est même retransmise à la télévision nationale ! Frère Khukaz Mesrob, curé dans le village de Knayeh, s’extasie : “Jésus est véritablement le Prince de la paix. Il est venu après 14 ans d’attente. Je n’arrive pas à vous décrire ce que nous vivons avec les fidèles, nous l’avons tant prié et Il est là, Il se donne et nous Le voyons de nos yeux. Nous assistons à un miracle !”

IDLIB, LABORATOIRE INTER-RELIGIEUX

29 décembre 2024, un étrange cortège de bures marron apparaît à la frontière libano-syrienne. Ce sont des frères des pays voisins — qui composent la mosaïque de la Custodie de Terre sainte — venus retrouver leurs confrères syriens après des années d’éloignement. Les accolades n’en finissent pas et l’émotion est palpable, notamment pour le jeune frère Louai Bsharat, tenu depuis 12 ans “à résidence” aux confins avec la Turquie. En effet, les missions franciscaines de Yacoubieh, Knayeh et Jdeideh se sont retrouvées coupées du monde dans le gouvernorat d’Idlib, au nord-est de la Syrie, échappant au contrôle des Assad. Pendant toutes ces années, les frères se sont faits discrets — le port de la bure leur étant interdit — et n’ont pas ménagé leur charité. S’ils retrouvent aujourd’hui une liberté de mouvement, c’est que l’ancien maître d’Idlib, Ahmed Al-Charaa, vient d’accéder au pouvoir.
Alors paradoxe ou ironie de l’histoire, les geôliers d’hier se posent en protecteurs de tout un pays. Heureusement, le franciscain est une “espèce” pragmatique ; c’est l’histoire qui le lui enseigne depuis 800 ans. L’actuel évêque, Mgr Jallouf, a côtoyé de nombreuses années Ahmed Al-Charaa. Il se veut prudent mais confiant : “Avant 2018, dans nos villages, nous étions persécutés, méprisés et nos droits bafoués. Ils nous ont tout pris, nos biens, nos maisons, nos terres. Mais quand ils ont commencé à envisager la création d’un État, tout a changé : ils nous ont rendu nos biens et ils ont fait ce qu’ils avaient promis. C’est pourquoi je dis que ces gens sont loyaux. S’ils continuent sur cette voie, il y a de l’espoir.”

UNE ESPÉRANCE ŒCUMÉNIQUE

Et pour preuve, la réception officielle de la petite délégation franciscaine au palais présidentiel en ce dernier jour de l’année 2024. Frère Ibrahim Faltas, vicaire de la Custodie, a fait partie du voyage. Il nous rapporte les propos du nouveau chef de Damas : “Je ne considère pas les chrétiens syriens comme une minorité, mais comme une partie intégrante et importante de l’histoire du peuple syrien. J’ai vécu longtemps dans le gouvernorat d’Idlib où j’ai appris à connaître l’engagement du père Hanna et du père Louai en faveur des habitants de cette région. Ils ont aidé et soutenu tous ceux qui se sont adressés à eux, sans aucune distinction. J’ai du respect et de l’estime pour eux.” C’est justement à Knayeh, l’une de ces missions, que toute la fraternité de saint François est conviée pour célébrer une messe pour la paix le 1er janvier. La petite église blanche est bondée car, à la centaine de vieillards habituels, se sont joints familles et amis de retour au village après des années d’exil. Les youyous accueillent les frères en larmes, l’évêque porté en triomphe, la chorale s’éveille après des années à sotto voce et le Notre-Père spontanément proclamé, non pas en arabe, mais en latin, comme pour redire une appartenance à l’Église catholique universelle. Joli clin Dieu, l’assemblée de ce jour est composée de catholiques et d’orthodoxes car les franciscains sont les seuls religieux de la région à être restés. Durant toute la guerre, ces chrétiens n’ont formé qu’un seul troupeau partageant un même Corps du Christ. Et les frères, au-delà d’avoir été ambulanciers, enseignants à l’école paroissiale ou encore chefs de chantier après le tremblement de terre, ont même assumé l’entretien et la récupération des propriétés orthodoxes (églises, terrains agricoles…) dont ils remettent, aujourd’hui, symboliquement les clés aux dignitaires arméniens et grecs. Alors ne doutons pas que la fraternité et l’œcuménisme vécus ces dernières années puissent être le fondement d’un nouvel avenir pour les chrétiens en Syrie.

Émilie REY

(1)Groupe rebelle islamiste de la guerre civile syrienne, aujourd’hui à la tête du pouvoir.

Contact