On l’appelle « la génération climat » car elle est née dans un contexte d’urgence climatique. Mais comment être chrétien et militant écolo ? Itinéraires de deux jeunes engagés au sein du collectif Lutte & Contemplation.
Emmanuelle Huet, 29 ans, partage depuis deux ans une colocation APA(1) et accompagne les établissements scolaires jésuites dans leur transition écologique. L’écologie, elle n’est pas « tombée dedans » toute petite. C’est même venu sur le tard, bien que les enjeux de coopération internationale et d’inégalités l’aient toujours interpellée. « Au milieu de mes études supérieures, j’ai eu comme une prise de conscience. Dans le monde des grandes écoles, il y avait un vent de renouveau et j’ai entendu, pour la première fois, parler d’effondrement, c’est-à-dire de la possibilité de la fin d’une vie humaine sur Terre. »
C’est le début d’un militantisme écologique bouillonnant, alimenté par la grande mobilisation de la jeunesse menée par Greta Thunberg(2), jusqu’à ce départ à l’étranger, dans le cadre d’un échange universitaire, où elle côtoie les sociétés colombiennes et marocaines.
RECONNAÎTRE NOS LIMITES
« J’ai réalisé que j’étais dans ma bulle, très loin des préoccupations des gens, et qu’il y avait quelque chose qui n’était pas ajusté dans mon engagement. J’avais pour obsession la recherche d’efficacité maximale, mais je me nourrissais de rancune et de jugement sur autrui. » Début 2023, à son retour en France, la jeune femme prend un temps de pause avec la communauté du Chemin neuf. Ces trois mois seront fondateurs.
« Je me suis comme sevrée d’un syndrome du sauveur. Je suis passée d’une logique de bataille à gagner à une opportunité de conversion personnelle. La crise écologique vient en effet nous poser devant nos limites, devant le fait qu’on n’est pas tout-puissant et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Elle nous interpelle sur la direction vers laquelle nous cheminons en tant qu’humanité : sommes-nous fidèles au projet de Dieu ? Est-ce bon d’aller toujours plus vite, plus loin, de repousser sans cesse les limites du vivant ? »
Au même moment, le collectif Lutte & Contemplation émerge avec cette double identité : être un groupe de prière et de mobilisation. Ni une, ni deux, Emmanuelle le rejoint. Tout comme Théophane Durand, 26 ans, que nous rencontrons à Nantes.
POLITIQUE ET SPIRITUALITÉ
Ingénieur informatique, il a grandi dans une famille sensible aux enjeux écologiques. En 2019, il participe à La bascule, un mouvement de lobbying citoyen à Pontivy, en Bretagne. L’objectif ? Expérimenter pendant six mois un modèle de société sobre et respectueuse du vivant afin « d’impulser une transition écologique, solidaire et démocratique. » Théophane aime revenir sur cette expérience : « Je ne connaissais rien au monde militant et cela a été très inspirant et formateur. Cela m’a boosté, j’ai pris conscience que je pouvais agir, que c’était à ma portée ! » Rien ne sera plus comme avant, Théophane pose un choix radical : il ne travaillera pas au service d’une structure dont le seul objectif est de faire de l’argent. Il effectuera son alternance chez Label Emmaüs qui l’embauchera par la suite pour deux ans. Il se sent aussi appelé à créer des ponts entre les milieux chrétiens et militants. La dynamique de Lutte & Contemplation le rejoint naturellement.
Au sein du collectif, Théophane nourrit une vision politique de sa foi et une vision spirituelle de la politique. « Et quand je parle de politique, ce n’est pas forcément de politique électorale, c’est avant tout une manière de faire société. En ce sens, le message de Jésus est politique ! » Vient le temps d’une pause spirituelle de quelques mois, à l’abbaye de Hautecombe, pour réancrer un « besoin de vie collective. » Il se retrouve entouré d’une cinquantaine de jeunes. Ensemble, ils vivent et prient plusieurs fois par jour. « Cela m’a permis de refonder mes choix sur les bases solides que sont Dieu et ma foi. Je sais que pour tenir dans mon engagement, j’ai besoin d’entretenir cette connexion à Dieu. » Le jeune homme est maintenant établi à Nantes où il développe des outils numériques au service de la démarche « Territoires zéro chômeur » tout en poursuivant des actions militantes.
LA RECHERCHE D’UN MILITANTISME PACIFIQUE
Interpellation d’instances ecclésiales pour qu’elles prennent position et suscitent une vision chrétienne, tribunes dans la presse, campagnes ciblées, pétitions en ligne, participation à des rassemblements, à des retraites spirituelles, mais aussi cercles de silence, sont à l’agenda de Lutte & Contemplation. « On cherche des modes d’expression militante qui soient proprement chrétiens et de terrain, en nous rappelant que le Christ n’a pas toujours été consensuel ! », explique Emmanuelle qui a suivi le cours de Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté sur l’éthique de l’action non-violence aux facultés Loyola.
Les cercles de silence ont vu le jour, en 2007, sous l’impulsion des franciscains de Toulouse, et notamment Fr. Alain Richard, afin de protester contre l’enfermement systématique des sans-papiers dans des centres de rétention administrative. Les participants se retrouvaient pour observer une heure de protestation silencieuse.
NOTRE SILENCE EST UN CRI
Dès 2023, Lutte & Contemplation invite ses membres à se rassembler au pied de la tour Total énergies pour plaider l’arrêt des énergies fossiles et notamment la construction du plus grand oléoduc d’Afrique, EACOP (East African Crude Oil Pipeline Project). Des panneaux, des banderoles et des tracts portent leur message : « Notre silence est un cri ». Emmanuelle se souvient de son premier cercle, au petit matin, face à un défilé d’hommes et de femmes pressés. « C’était un grand saut dans la foi parce qu’honnêtement, je me suis dit qu’on allait être ridicules, mais c’est assez puissant car on fait vraiment l’expérience que Dieu est aux manettes et qu’Il touche les coeurs. Assumer sa non-puissance peut paraître étonnant, surtout pour des militants, mais je crois que cela interpelle les gens. » Pour Théophane, « ce ne sont pas des actions coup de poing, mais elles sensibilisent, construisent une autre culture, font changer de regard et rendent inaudible l’inaction de ceux qui ont le pouvoir politique et économique. Le Royaume se construit en nous et autour de nous. » Lutte & Contemplation compte, aujourd’hui, une centaine de membres répartie dans une dizaine de groupes locaux.

FAIRE ENSEMBLE
Dans la « boucle » WhatsApp de Nantes, ils sont plus d’une centaine de sympathisants et Théophane continue à insuffler une réflexion sur des sujets locaux comme la construction prochaine d’un centre de rétention administrative en face de la maison d’arrêt de Nantes-Carquefou. « On se forme sur cette question-là parce que cela ne nous semble pas juste comme manière de faire société avec des étrangers qui arrivent en France. Cela nous interroge et nous révolte. » L’an dernier, avec d’autres groupes et collectifs engagés localement, c’est l’évêque de Nantes qu’il rencontrait pour demander à l’Église d’arrêter d’investir son argent dans les énergies fossiles. Un plaidoyer efficace puisque le diocèse s’est engagé à tenir promesse dans les cinq ans.
Ce « faire ensemble » est essentiel aux yeux de Théophane qui tient à garder le collectif le plus ouvert et le plus libre possible. « Il y a des choses qui se montent de manière spontanée car elles sont le fruit de rencontres : colloques, bibliothèque partagée… », se réjouit le Nantais. « On a conscience de notre petitesse, et puis on a tous un boulot, des familles… La raison d’être de Lutte & Contemplation c’est d’être un lieu de croissance spirituelle, d’apporter une voix chrétienne à des luttes écologiques et sociales existantes, et d’être inversement une voix pour la conversion écologique et sociale au sein de l’Église. » Emmanuelle acquiesce en ce sens : « On se rend compte qu’on est une sorte de plateforme de mobilisation au service de luttes portées par et avec d’autres. On témoigne humblement que la foi est vivante et incarnée, qu’elle ne se vit pas seulement à genoux dans une église mais qu’elle nous met en mouvement. »
REMÈDES CONTRE L’ÉCO-ANXIÉTÉ
Et quand on leur demande comment ils arrivent à garder espoir face à l’immensité de la tâche, Théophane répond sans sourciller : « La clé, c’est de s’entourer et le meilleur moyen de lutter contre cette angoisse liée à l’incertitude de l’avenir causée par les changements climatiques, c’est de s’engager. Car même si nos moyens d’action sont tout petits et qu’on n’en voit pas toujours les effets, le simple fait de se mettre en mouvement – pour reprendre la métaphore du vélo – permet d’éviter de tomber. »
Emmanuelle est lucide : « On va se prendre le mur qu’on le veuille ou non. La question, c’est à quelle vitesse et est-ce qu’on sera suffisamment préparés, résilients, solidaires face à cela ? Heureusement, rien n’est joué d’avance, il y a quelque chose qui continue de s’écrire et Dieu n’a que nos bras pour agir. Nous sommes la courroie de transmission de son action dans le monde alors il faut agir, non pas simplement parce que c’est efficace, mais parce que c’est bon et juste de le faire », conclut-elle en se remémorant des mots de Martin Kopp(3).
Émilie REY
(1) L’APA (Association Pour l’Amitié) est une association de colocations solidaires entre jeunes professionnels et anciens sans domicile. Ce projet est soutenu par l’Église catholique de Paris.
(2) Militante et écologiste suédoise.
(3) Théologien écologique protestant, invité au festival Brother Sun.