Fr. Éric Bidot, 53 ans, est l’ancien provincial de nos frères capucins de France. Pour En frères, il nous partage son cheminement, depuis une dizaine d’années, avec sainte Claire et ses sœurs, et comment cette expérience toute féminine irrigue sa vocation masculine.
À la mort de François, en 1226, Claire a 32 ans. Dans son ouvrage (voir encadré en fin d’article), sœur Chiara Agnese Acquadro, actuelle mère abbesse du proto-monastère d’Assise, écrit : “Durant tout le reste de sa vie (elle a alors 27 ans), Claire sera la fidèle gardienne de l’héritage de François à l’intérieur de l’aventure tourbillonnante de l’Ordre des frères mineurs, au point que, dans la Forma vitae, elle rappellera, avec grande clarté et ténacité, les articulations essentielles de la vocation franciscaine, celles que les frères risquaient de négliger afin de privilégier d’autres aspects de cette vocation” (page 101). Ainsi, celle qui se qualifiait, à la mort du Poverello, de “petite plante de saint François” fut bien davantage.
Fr. Éric réagit à la métaphore : “La plante a besoin de soleil. Il y a donc quelque chose d’une bonne dépendance, d’une dépendance de croissance ; d’ailleurs Claire ne parle jamais de François comme l’ayant écrasée, tout au contraire, il l’a fait grandir. J’y perçois une forme de paternité et de fraternité suffisamment fortes pour que Claire, à la mort de François, comprenne sa propre mission et devienne, malgré elle, la gardienne de la vie évangélique pour tout l’Ordre. Elle passe ainsi de sœur à mère et je trouve cela très beau. Il y a une dimension féminine qui vient s’ajouter à l’expérience de François, un soin de la vie qui a été initiée, qui a été portée et qui s’enrichit.”
RECEVOIR LE CHARISME
Fr. Éric se souvient bien de sa redécouverte de sainte Claire qui a laissé des écrits : Règle, testament, lettres. Sa Province capucine traversait alors un moment difficile, “une sorte d’impasse”. “Quand on cherche à savoir ce qu’est l’esprit de l’Ordre et comment y répondre aujourd’hui, je crois qu’il faut oser aller creuser du côté d’une source et de celles qui peuvent en être les dépositaires.”
C’est ainsi que Fr. Éric, accompagné de Fr. Daniel Painblanc, alors vicaire, se tournent vers leurs sœurs de Poligny. “Chez les clarisses, il y a cette dimension d’un retrait et d’une unification des différents éléments de la vie — vie de prière, vie en pauvreté et mise en commun des choses — et j’aspirais à cela pour moi et les frères.”
Il poursuit : “Dans notre démarche, il y a vraiment eu le désir de nous mettre à l’écoute les uns des autres et de recevoir la manière dont chacun vivait le charisme.” Fallait-il encore des espaces et des moments pour le vivre. L’idée d’une retraite, à destination des frères et des sœurs en formation initiale, va naître. Elle mûrira durant un an et demi. Elle en est aujourd’hui à sa dixième édition. Frères et sœurs ensemble, dans le silence, avec pour intervenants et accompagnateurs, des frères et des sœurs. Et c’est tout le monastère jurassien qui se mobilise, adaptant ses horaires, déléguant plusieurs sœurs en tant que participantes et animatrices. “Il y a une vraie communion de labeur pour donner la vie”, tient à souligner le capucin.
Au fil des interventions et en écoutant ses sœurs de Poligny et d’ailleurs, Fr. Éric leur partage les questions théologiques qui le travaillent. En retour, il reçoit petits livrets, billets et commentaires. “Les sœurs m’ont donné le goût de me plonger dans les écrits de sainte Claire que j’avais toujours lus en me disant que je n’y comprenais pas forcément grandchose car, de prime abord, ce n’est pas mon langage d’homme.” Mais alors qu’est ce qui a bien pu retenir son attention ?
“AVEC TOUTES LES SŒURS”
“Tout d’abord, dans la Règle de Claire, c’est la dimension du corps communautaire. Du fait de sa maladie, Claire lâche du lest, elle est beaucoup plus dans le consentement à ce que les autres sœurs prennent leur place. Et l’expression “avec toutes les sœurs” m’émeut parce que, moi, je ne dirais pas cela aussi spontanément avec mes frères ! Or chez les clarisses, encore aujourd’hui, c’est très fréquent qu’une abbesse exprime ou signe “avec mes sœurs”. C’est quelque chose qui s’est inscrit dans le temps et qui fait le corps de la communauté dans laquelle chacune a sa place. Elles vivent une dimension relationnelle très forte.”
Et puis il y a cette bénédiction de Claire où elle exhorte ses sœurs : “Demeurez toujours les amies de Dieu, les amies de vos âmes et de toutes vos sœurs.” “Je n’avais jamais lu cela ailleurs, on ressent bien tout cet amour filial et maternel les unes à l’égard des autres. Et puis “les amies de vos âmes”, c’est une très belle expression que l’on pourrait redire ainsi : soyez les amis de la vie de Dieu en vous et de sa grâce, telle qu’elle se donne, telle que vous la désirez, telle que vous l’attendez.”
UNE SENSIBILITÉ DE L’INCARNATION
“La deuxième chose qui me marque, c’est son langage profondément mystique de l’incarnation notamment dans ses lettres à Agnès de Prague, mais que l’on retrouve aussi dans son procès en béatification.” Claire nous convie, par le regard contemplatif, à nous “transformer tout [entier] dans l’image de la divinité”, ou encore, à “nous attacher à Jésus de toutes les fibres de [notre] cœur.”
“Chez Claire, les cinq sens sont présents et il y a vraiment une sensibilité de l’accueil de Jésus que je trouve utile pour nous, les hommes, qui pouvons avoir tendance à cérébraliser les choses, à mettre un peu à distance nos sens et notre corps ; j’y vois un enjeu d’unité intérieure.” Je l’invite à nous en dire plus. “Dans le psaume 33, on prie : “Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur”. Mais qu’est-ce que cela veut dire, notamment dans mon rapport à l’eucharistie ? Mobiliser mes sens, c’est aussi approfondir la liturgie. Et aussi comment la parole du Tout autre résonnet-elle vraiment en moi ? Comment est-ce que je l’écoute, comment je lui donne une hospitalité dans tout mon être, dans sa dimension corporelle, intellectuelle et spirituelle ?”
En conclusion, Fr. Éric s’arrête sur “le testament de Claire qui est très paisible là où le testament de François m’apparaît plus de l’ordre du “je veux, nous voulions”, sous-entendu, “les gars, vous n’y arrivez pas ! ” J’y lis de la désillusion alors que chez Claire, on est davantage dans : “ça se passera peut-être autrement mais gardez ces principes”.”
Fr. Éric le reconnaît volontiers, il oppose de manière un peu caricaturale les saints d’Assise mais réitère : “Il y a quelque chose dans le testament de Claire qui est vraiment d’une confiance de ce que ses sœurs feront de ce qu’elle a pu initier, pour lequel elle s’est battue.”
Émilie REY
(RE) DÉCOUVRIR SAINTE CLAIRE
S’il n’y avait qu’un seul ouvrage à lire voilà celui que vous recommande vivement Fr. Éric. “J’ai cherché à regarder les événements de la vie de Claire et de ses sœurs à partir de la perspective même de Claire, cherchant à entrer, autant que possible, en elle, à travers les très précieuses clefs d’accès que sont ses écrits et les sources biographiques, en particulier le procès de canonisation. J’ai cherché, autrement dit, à faire dialoguer spiritualité et histoire, deux approches qui, trop souvent, demeurent séparées l’une de l’autre, quand elles n’entrent pas directement en opposition”, précise l’auteur. Un livre plein de simplicités pour expliquer les différentes étapes qui ont guidé sainte Claire jusqu’à la sainteté.
Claire d’Assise et son itinéraire de vie : sur les traces de Jésus pauvre de sœur Chiara Agnese Acquadro, Éditions franciscaines, avril 2016, 146 p., 13 € (encore disponible à la Librairie franciscaine, 9 Rue Marie Rose, 75 014 Paris).