Fr. Stéphane : “Entrer ensemble dans une expérience d’altérité”

Rencontre entre croyants lors de la retraite.
L’islam est à la fois très proche de la foi chrétienne mais aussi radicalement autre.

En avril dernier, ils étaient une quinzaine à se retrouver à la Maison de la Visitation de Tazert, à une soixantaine de kilomètres de Marrakech. Fr. Stéphane, missionnaire au Maroc, nous partage l’esprit de cette retraite innovante et vous invite déjà à la prochaine !

Nous étions quatre sœurs – trois couples, deux célibataires, deux prêtres et un religieux -, en provenance de France, du Togo, du Gabon et du Maroc. L’objectif n’était pas de proposer une énième formation théorique sur l’islam, la rencontre et le dialogue. Non, il s’agissait plutôt d’entrer ensemble – organisateurs et participants – dans une expérience, celle de l’altérité, en usant de fils appelés à s’entrecroiser au fil des jours comme dans la confection des tapis berbères.

PREMIER FIL : TAZERT

Depuis près d’un siècle, chrétiens et musulmans vivent ensemble sur ce piémont de l’Atlas. Les frères franciscains ont été présents pendant plus de quarante ans avec leur dispensaire, avant d’être suivis par des soeurs contemplatives de rite oriental et désormais par les soeurs apostoliques de saint François. “Ces frères et ces sœurs ont donné leur vie pour nous”, nous partageait un vieil homme.
Oui, une histoire profonde s’est tissée là, faite de patience et de service. Mystérieusement, ces chemins d’hospitalités réciproques habitent les murs du monastère, du jardin et de son cimetière. Nous relier à ce passé était comme le porche par lequel s’ouvrait un chemin possible, loin des difficultés de l’islam politique de certains de nos pays ou des tensions internes à l’islam de l’immigration en Europe.

DEUXIÈME FIL : NOUS LAISSER ACCUEILLIR

Chaque jour ou presque, nous sommes descendus vers le village pour rencontrer des anciens qui avaient travaillé pour les sœurs, l’adjoint au maire, une association de brodeuses… Ce fut, pour nous, l’occasion de nous laisser accueillir et de vivre “l’hospitalité débordante des musulmans”, comme l’écrivait l’un d’entre nous. Découvrir cette école coranique tout droit tirée du Moyen Âge a été une belle expérience : à sa tête, un jeune imam qui a échangé plus d’une heure avec nous, parlant de son rôle auprès des jeunes en difficulté, de sa place comme artisan de paix entre les familles et de sa manière de travailler avec les autres imams (comme le font les prêtres d’un diocèse) mais aussi de sa manière de voir les “chrétiens du monastère”.
Rencontres simples nous ouvrant à la grande proximité de ces hommes et de ces femmes de l’islam : eux aussi, cherchent à vivre naturellement et le mieux possible devant Dieu, en faisant le bien malgré les défis de la pauvreté d’un village en marge du développement des grandes villes.

Quelques participants de la première retraite interreligieuse franciscaine, à Tazert, au Maroc.

TROISIÈME FIL : ÉCOUTER LES CROYANTS

Le parti pris était de laisser parler des musulmans de leur foi, non pas en théoriciens mais en croyants, c’est-à-dire à partir de leur propre cadre de référence. D’expérience, cela a quelque chose de déroutant car l’islam est à la fois très proche de la foi chrétienne mais aussi radicalement autre. D’où l’idée d’une intervention préalable par un chrétien vivant depuis longtemps ici, afin de mettre en lumière l’étrangeté de l’autre, c’est-à-dire tout ce qui est évident pour nous chrétiens et qui est question pour un musulman et, inversement, ce qui va heurter notre propre sens de la vérité. À partir de cette mise en perspective de notre “étrangeté réciproque”, nous pouvions entrer dans la complexité de ce qu’est l’islam et écouter l’autre développer sa propre logique, celle de sa foi ou celle de la place de la femme dans la société. Nous pouvions ainsi passer du malaise premier à l’accueil du mystère de l’autre, aidés en cela par la prière et des temps de célébration.

QUATRIÈME FIL : DIALOGUER

Cette expérience partagée de rencontre avec l’autre nous a aidés à entrer dans une conscience profonde de ce qui se jouait sur ce chemin de la rencontre. Pour nous aider à approfondir ces intuitions et en faire des pistes pour l’avenir, là où nous vivons, nous nous sommes tournés vers l’Église du Maghreb, les témoins et martyrs chrétiens en terre d’islam, des théologiens et mystiques de traditions franciscaine et foucauldienne. Cela nous a permis de mettre en avant deux postures fondamentales : la Visitation qui appelle à croire que l’autre a un message pour moi et qu’il s’agit donc de me mettre à l’écoute ; l’Hospitalité divine qui m’appelle à faire de la place en moi pour l’autre. Un couple concluait un de ses partages en brodant sur l’analogie de la relation chrétiens-musulmans avec les relations dans une famille.
Dans un cas comme dans l’autre, tout est question de temps et d’acceptation et on ne saurait avancer si l’on ne partage rien. Dieu est toujours au milieu de nous (même si nous L’oublions souvent) et il nous faut apprendre à découvrir et à connaître la beauté de l’autre.

Fr. Stéphane DELAVELLE, OFM


CELA VOUS INSPIRE ?

Nous vous attendons pour la prochaine semaine interreligieuse qui aura lieu, toujours à Tazert, du 12 au 19 mai 2025 pour filer un autre chemin à partir de vos expériences et de vos interrogations.

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