Qu’est-ce que l’ermitage franciscain ?

L’alternance des rôles évite de créer deux types de frères : ceux qui prient et ceux qui servent.

« L’ermitage est le bastion de l’esprit franciscain », écrivait en 1966, Thomas Merton, moine cistercien-trappiste américain, dans un article intitulé « L’érémitisme franciscain : un silence ouvert sur le monde ». Saint François a ainsi composé une Règle spécifique de son vivant pour ses frères désireux de vivre en ermitages. Fr. Jean-Paul Arragon habite La Cordelle, à Vézelay, depuis une année. Bien que « novice », il nous aide à entrer dans l’esprit de ce texte.


Il s’agit plus d’un « règlement » que d’une Règle au sens canonique du terme. Elle n’a pas d’approbation canonique mais elle fait partie du corpus franciscain et surtout de notre tradition avec des évocations dans les sources et dans les lieux que nous connaissons bien (les Carceri, l’Alverne, Greccio, les Celle de Cortone, etc…).

UNE RELATION MÈRE/ FILS

L’ermitage se vit à plusieurs. Ce n’est pas spécifique à François. D’autres mouvements religieux allaient dans ce sens : les Chartreux, l’Ordre de Grandmont, les Camaldules. Il s’agissait d’allier la solitude et la vie commune tant dans la prière que dans les services mutuels. Cependant dans ces mouvements, tous les membres, avec des statuts divers, avaient ce même objectif. Dans le mouvement franciscain, la vie en ermitage est une option possible (« ceux qui veulent ») en complémentarité avec d’autres lieux ou d’autres formes de présence (couvents, paroisses, sanctuaires…). Le petit nombre, 3 ou 4 frères au plus, permet une souplesse et des moyens modestes. Enfin, elle permet aux frères envoyés en mission dans le monde de se retirer, pour un temps, dans le silence et la prière, favorisant ainsi le repos et la conversation avec Dieu.


« Que deux d’entre eux soient les mères et aient deux fils ou au moins un. Que les deux qui sont les mères mènent la vie de Marthe et que les deux fils mènent la vie de Marie. »

Extrait de la « Règle pour les ermitages »

La mention de Marthe et de Marie, en référence à l’évangile (Lc 10, 38-42) se retrouve dans d’autres traditions. La nouveauté de François (et de ses frères) est double : il associe une relation mère/fils et une alternance des rôles. Cette relation mère/fils se retrouve dans la Règle et en d’autres écrits de François : elle marque une manière de vivre la gouvernance (billet à frère Léon), une manière de « chérir et nourrir » son frère et aussi une dépendance pour quêter et recevoir ce qui est nécessaire. Si l’alternance des rôles permet à chacun de pouvoir entrer en silence et en prière plus intensément pour un temps et de servir les autres à son tour, l’alternance évite de créer deux types de frères : ceux qui prient et ceux qui servent. Chacun est appelé à être Marthe (mère) pour un temps et Marie (fils) pour un autre temps.

PRIÈRE, REPOS ET SILENCE

La vie est rythmée par les temps de prière, en temps voulu. Ce rythme doit permettre de « chercher le Royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6,33) avec ce qu’il convient de prière, de repos, de parole (demander l’aumône) et de silence avec cette belle formulation « qu’ils s’appliquent à garder (ou à retenir) le silence » de complies à tierce. Nous retrouvons cette même formulation dans la 1e Règle au chapitre 11 consacré à l’amour fraternel.
La vie est aussi organisée selon l’espace. Il y a un « enclos » où chacun a sa cellule pour y demeurer, prier et dormir. Dans cet enclos, on ne mange pas et on reste à l’écart de toute personne. En dehors de l’enclos, mais toujours à l’écart, la rencontre entre le fils et la mère est possible. Dans un lieu non nommé, la mère peut être en lien avec l’extérieur. L’oratoire ou la chapelle ne sont pas mentionnés.
Ces différents aspects sont à mettre en cohérence les uns avec les autres, on dirait aujourd’hui en « systémie ». Le texte de la règle invite les frères à s’appliquer à les observer avec sollicitude et application. L’aspect formel est au service de cette recherche du Royaume. Il ne s’agit pas de s’agiter pour peu (ou beaucoup) de choses mais de se tenir aux pieds de Jésus et de l’écouter pour reprendre la référence à Marthe et Marie.

DES PREMIERS FRÈRES À AUJOURD’HUI

Cette règle est le fruit de l’expérience de François et des premiers frères qui aimaient se retirer dans la solitude. Les grottes visibles aux Carceri disent un espace pour chacun et une proximité fraternelle. La faille dans le rocher évoque le lieu de la rencontre de Dieu, ou du moins le désir de cette rencontre. Ce sont les rochers de l’Alverne qui deviennent le lieu de la stigmatisation de François. Mais à qui s’adressait cette règle ?
Jacques de Vitry, dans une lettre de 1216, évoque les frères qui « la nuit, regagnent leur ermitage ou se retirent dans la solitude pour mener la vie contemplative ». Ce règlement s’adressait-il à eux comme norme habituelle de vie ou s’adressait-il de façon plus spécifique à des lieux établis comme tels, comme l’Alverne par exemple ?
Huit cents ans plus tard, à La Cordelle, cette même Règle fait sens pour nous et nous invite, selon les souhaits de la Province, à spécifier notre vie en complémentarité avec d’autres missions. Nous interrogeons la Règle et, elle-même, nous interroge sur nos choix, nos rythmes et l’aménagement de notre espace. Règle à vivre aujourd’hui au milieu des personnes qui nous sont données. En retrait et en communion.

Fr. Jean-Paul ARRAGON, OFM


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