Fr. Jean-Baptiste Auberger, historien et archiviste de la Province, replace l’essor des ermitages franciscains dans une perspective historique et nous aide à comprendre ce qu’ils cristallisent dans l’Ordre franciscain naissant.
François eut probablement connaissance de la recrudescence de la vie érémitique aux siècles qui l’ont précédé, notamment ces ermites prêchant la pénitence sur les routes et attirant à eux femmes et hommes épris d’absolu. On sait aussi que la colline dominant Spoleto était habitée par de nombreux ermites orientaux. La présence de grottes dans les massifs montagneux était favorable à leur installation. Avant sa conversion (vers 1205-1207), François d’Assise se retirait dans une des grottes aux Carceri, à 4 km d’Assise, sur le mont Subiaso, pour y discerner sa vocation et en 1211, il y fit même un grand carême. Au-dessus de celle-ci fut établie une chapelle dédiée à Notre-Dame, puis au cours des siècles un petit ermitage. Très tôt, plusieurs des premiers compagnons vinrent en ce lieu.
Nous savons par exemple que Fr. Sylvestre y fut sollicité, en 1213, par François pour être éclairé sur sa mission : fallait-il qu’il se consacrât au retrait et à la vie de prière ou à la prédication pour le salut des âmes ? Si la réponse donnée par Fr. Sylvestre, et corroborée par Claire, fut qu’il privilégie la mission, celle-ci doit cependant s’enraciner dans la prière. L’habitude fut ainsi vite prise de voir les frères se retirer, si bien que François, lui-même consacrant environ 200 jours par an à ce retrait, rédigea un petit texte intitulé « Pour ceux qui veulent demeurer religieusement in eremis». Fut-ce à l’origine un chapitre de la règle non bullée détaché pour former un règlement de vie à part entière ? Nous ne le savons pas.
L’ALVERNE
En se rendant en mission vers le nord dès 1211, François s’arrêta avec Fr. Sylvestre sur la route entre Pérouse et Arezzo à Cortone. Là, grâce à un chevalier très courtois, il établit une petite structure conventuelle aux Celledont le nom indique la présence antérieure d’ermites. Guido fut ensuite reçu dans l’Ordre et devint bienheureux. Lui-même aimait se retirer le long du ruisseau qui coule en contrebas dans une grotte naturelle de la roche.
Plus tard, en mai 1213, François se rendant avec Fr. Léon du Val de Spolète en Romagne, tandis qu’ils passaient au pied du château de Montefeltro où un chevalier devait être adoubé en présence de nombreux gentilshommes, reçut de la générosité du comte Orlando de Chiusi le Mont Alverne. Il y envoya des frères tester le lieu avant que lui-même ne vienne y séjourner en septembre de la même année pour le carême de la Saint-Michel. À l’Alverne, nombre de frères de la communauté comme lui ou Bonaventure séjournèrent. D’autres, issus du mouvement des Spirituels comme Jean de l’Alverne et Hubertin de Casale, y séjournèrent aussi.
LA VALLÉE SAINTE DE RIETI
La vallée de Rieti par laquelle François se rend à Rome, voit fleurir plusieurs ermitages. Un jour durant l’hiver de 1208/1209, François, implorant la miséricorde de Dieu, se retira au-dessus de Poggio Bustone. Il reçut là la certitude que Dieu lui pardonnait tout ce que fut sa vie passée. Ce pardon rayonnait en paix et joie sur tous ceux qu’il rencontrait au cours de sa mission avec Fr. Egide, ainsi que sur ses premiers compagnons, les confortant malgré leur petit nombre (1 Cel 26-27). Revenu là vers 1217, il obtint des bénédictins la possibilité de construire une chapelle et un petit ermitage plus bas, agrandis au XIVe siècle.
Dans ses différentes pérégrinations, François découvre de nouveaux lieux qu’il cherche à habiter. Très souvent, ceux-ci sont proches d’une grotte qui lui servait de premier abri. Cette vallée appelée Conque Réatine, vit fleurir d’autres ermitages comme celui de Greccio où François célébra la première crèche vivante en 1223, grâce au chevalier Jean Velita. Auparavant, plus près de Rieti, à Fonte Colombo, il rédigea la règle définitive de l’ordre, aidé du Fr. Bonizzio de Bologne. Non loin de là, tandis qu’il devait se faire opérer des yeux, il découvre une chapelle dans la vallée dédiée à saint Fabien : c’est l’ermitage connu de nos jours sous le nom de La Foresta. En ce lieu, il y eut le miracle de la vigne du desservant qui fut dévastée par les visiteurs du saint, et que par ses mérites et sa foi, il promit qu’elle produirait plus de vin que les autres années. Il y aurait aussi composé quelques strophes du Cantique des créatures. Sur la route de Rome, on trouve un autre ermitage célèbre, celui de San Urbano de Narni où il transforma l’eau en vin.
LES CARCERI EN ÉTENDARD
Durant les premières décennies qui ont suivi la mort de François, les frères se déchirèrent. Les premiers compagnons du saint – que l’on appellera les « Spirituels » – se retirèrent dans les ermitages tandis que la « Communauté » s’installa proche de la sépulture du saint. Le chapitre général de 1260 demande aux Provinces d’avoir chacune un ermitage sur leur territoire. C’est ainsi que les Carceri sont rattachées au Sacro Convento, lieu hautement méprisé par les Spirituels et dont la construction a été inaugurée au lendemain de la canonisation de François d’Assise (17 juillet 1228).
La question des privilèges obtenus du Saint-Siège perturbe l’Ordre. Fr. Ange Clareno et certains frères vont faire sécession. En 1319, avec la complicité de l’évêque et du podestat d’Assise, les Fraticelles, autre nom donné aux Spirituels, spolient la Communauté en s’emparant des Carceri avant d’être expulsés en 1341. Sur l’intervention du Ministre général, il redevient un ermitage dépendant du Sacro Convento.
Initié par Fr. Jean de la Vallée et Fr. Gentil de Spolète, un mouvement de réforme se fait jour dans l’ermitage établi à Brogliano (à la limite de l’Ombrie et des Marches d’Ancône) dans le but d’observer le Testament de saint François et la règle « purement et simplement, sans glose » (c’est-à-dire sans les déclarations successives des papes). Ce lieu va devenir la tête d’un mouvement nouveau (la première Observance) qui obtint, en 1350, plusieurs ermitages du pape Clément VI : les Carceri, Monteluco près de Spolète, l’Eremita du Portaria et Monte Giove di Giano, avec le privilège de recevoir jusqu’à douze frères. Cependant, en 1354, le Chapitre général condamne le mouvement parce qu’il a accueilli des Fraticelles condamnés par le pape.
Les Carceri vont, dès l’année suivante, revenir juridiquement sous la dépendance du Sacro Convento, sans que les frères ne changent quoi que ce soit à leur vie. À partir du moment où leur est concédée la possibilité d’accueillir des novices et d’y faire un noviciat, ce ne sont plus des ermitages, mais des « ritiri ».
C’est de cette histoire mouvementée faite de réformes successives que sortiront, au début du XVIe siècle, les Récollets et les Pauvres ermites de saint François (les Capucins) dans une volonté de retrouver l’idéal du retrait érémitique des premiers frères.
Fr. Jean-Baptiste AUBERGER, OFM