“Nous laisser guider par les appels des lépreux d’aujourd’hui”

Rencontre à Rome sur les nouvelles formes de vie et l’évangélisation en Europe.
Le cœur de notre charisme et donc de nos projets, de nos choix provinciaux et communautaires, c’est le frère pauvre.

Du 6 au 9 novembre 2023, s’est déroulée à la Curie générale de l’Ordre, une rencontre sur les nouvelles formes de vie et l’évangélisation en Europe. Fr. Jacques Jouët y participait à la demande du Provincial. Nous avons pu l’interviewer, tout comme Fr. Francisco Gomez Vargas, Secrétaire général pour les missions et l’évangélisation.

Frère Francisco Gomez Vargas, après avoir été provincial en Colombie (la province Saint-Paul de notre Fr. Alejandro, actuellement en fraternité à Paris), a été appelé à Rome en 2021. Il le confie sans gêne, cela ne l’enchantait guère de venir à Rome, lui qui chérit tant sa petite province colombienne enracinée au milieu des pauvres. Et pourtant, l’homme est tout à sa place et certainement “taillé” pour le rôle qui lui a été confié : “Encourager les efforts missionnaires entrepris un peu partout par ses frères auprès des plus pauvres, les mettre en relation les uns les autres.”
Et il ne s’imagine pas le faire depuis son bureau romain. Il aime se rendre sur le terrain et se mettre à l’écoute (et glisse qu’il aimerait venir en France !). Depuis sa prise de fonction, il multiplie rencontres, formations et congrès sur tous les continents. Et, particularité de la mission qui lui a été confiée, il travaille étroitement avec les autres branches masculines : nos frères capucins, conventuels et du tiers-ordre régulier.

PARTIR DU CONTEXTE DE LA MISSION

“Depuis environ 20 ans, un cours de formation missionnaire se répétait à Bruxelles. Le gouvernement précédent a demandé que cela évolue. Il a été décidé de réaliser ce cours sur le terrain même de la mission pour être en phase avec les différents contextes culturels et religieux. Se former à la mission, c’est déjà vivre la mission”, explique Fr. Francisco, convaincu de la pertinence de ce choix.
Ainsi, en juin 2022, de concert avec les autres branches tant dans l’organisation que la prise en charge financière, il a mis sur pied une première session “nouvelle formule” en Ouganda. Elle a rassemblé 18 frères de toute obédience. Un an plus tard, le cours de formation missionnaire inter-obédientielle se déroulait à Cébu, aux Philippines. Conférenciers et experts se passaient le micro pour évoquer, tour à tour, ressemblances et différences entre Mélanésie (îles de l’océan Pacifique), Timor oriental ou encore Myanmar. L’an prochain, le cours aura lieu au cœur de l’Amazonie, à la triple frontière de la Colombie, de l’Équateur et du Brésil.
“Fait intéressant, en Ouganda, la plupart des participants étaient originaires de l’Afrique, il en va de même pour les Philippines avec une forte représentation de frères asiatiques”, remarque Fr. Francisco, conscient de nouvelles dynamiques missionnaires dans l’Ordre.

FAVORISER UN RENOUVELLEMENT MISSIONNAIRE

Soucieux de n’oublier aucun continent, et toujours à la demande des Ministres généraux des trois Ordres franciscains, Fr. Francisco s’est investi dans un cours en ligne à destination des frères européens (7-9 novembre 2023) intitulé : “Une nouvelle évangélisation en Europe ? La contribution franciscaine”. Plus de 160 frères ont répondu présents et tout avait été prévu, notamment de nombreuses traductions, au-delà des langues officielles de l’Ordre (français, croate, allemand), pour permettre un maximum de partages et d’écoute de cas concrets de missions novatrices et inspirantes.
L’enjeu ? “Laisser émerger de nouvelles formes de présences et d’évangélisation nous invitant à une révision, une adaptation, une reformulation de notre forme de vie afin d’être toujours plus configurée à la personne de Jésus-Christ.”
Ces mots trouvent écho chez Fr. Jacques Jouët : “Je retiens qu’il ne faut pas avoir peur d’alléger les structures et sortir du “On a toujours fait comme ça”. Les structures sont bonnes en soi si elles sont au service du charisme franciscain, pour le faire croître. Le risque, pour nous, c’est de tomber dans la gestion d’institutions et ne plus laisser de place à de l’intuition.” Une invitation à l’audace !
De son côté, Fr. Francisco met en garde contre deux écueils : “En Europe, j’ai l’impression qu’il y a d’un côté, ceux qui pleurent la sécularisation et une certaine grandeur révolue de l’Église puis de l’autre, ceux qui voudraient tout jeter d’une Église qu’ils jugent trop institutionnelle et obsolète. Je crois que notre place se trouve justement dans l’entre-deux, auprès de celles et ceux – et ils sont nombreux – qui cherchent du sens mais aussi une foi plus adulte, plus mature, plus critique et en lien avec les préoccupations actuelles.”

LE LÉPREUX, COEUR DE NOTRE MISSION

Et quand on lui demande comment les franciscains peuvent apporter leur pierre à l’édifice, il répond : “Nous avons un saint patron qui est parti du sensible, de l’être, des rencontres ; saint François n’a pas fait de grands projets et calculs rationnels. À notre tour, il nous faut partir de ce que vivent nos contemporains, des sentiments et des questionnements qui les traversent. C’est ce que j’appelle lire les signes des temps. L’histoire que nous vivons présentement est un mystère où Dieu cherche à nous parler. Nous professons une religion de l’incarnation, eh bien, cela va jusque-là. Nous n’avons pas été appelés pour nous-mêmes, mais pour servir le Christ dans les plus petits.”
Et Fr. Francisco évoque le danger de l’autoréférentialité : “Parfois, on se soucie de nous, de notre avenir, de notre liturgie, pas du lépreux !” lance-t-il en référence à François embrassant le lépreux. “Le cœur de notre charisme et donc de nos projets, de nos choix provinciaux et communautaires, c’est le frère pauvre.”
En d’autres mots, se laisser guider par les appels des lépreux d’aujourd’hui : les migrants, les victimes d’abus de toutes sortes, les étudiants en précarité, les victimes de guerre, du réchauffement climatique… “Si on reste à l’écoute de ce monde, si on s’exerce ensemble à lire les signes des temps, alors, nous, franciscains, saurons où nous devons être.” Fr. Francisco termine notre échange en introduisant la notion de présence, pas une présence idéologique.
“Je crois que notre mission, c’est de nous rendre présents et de témoigner de l’amour de Dieu. Le Seigneur fait le reste. Notre secrétariat se dénomme aujourd’hui “Missions et évangélisation” selon les constitutions générales de l’Ordre. Cela me questionne car notre évangélisation est une présence missionnaire, c’est la même et unique dynamique.”

À n’en point douter, Fr. Francisco saura être force de proposition au prochain Chapitre général de l’Ordre pour que les “lignes” bougent, pour “garder l’union entre le renouvellement intérieur, la conversion quotidienne, la vie fraternelle et la mission évangélisatrice “incarnée”, “insérée” dans l’aujourd’hui de l’histoire” (Ite nontiat p. 23).

Émilie REY

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