“Voici que moi, je vous envoie…” (Mt 10, 16). Cet Évangile de l’envoi en mission a touché saint François au plus profond, le poussant à partir sur les routes avec ses frères, suivant le même mouvement que les premiers disciples du Christ. Fr. Claude Coulot, en fraternité à Strasbourg, revient pour En frères sur l’origine et le développement de la mission dans les communautés chrétiennes primitives.
Que signifie être missionnaire pour les premiers chrétiens ?
La mission de disciple est avant tout d’aller annoncer la Bonne Nouvelle : “Allez donc de toutes les nations, faites des disciples” (Mt 28,16). Pour les premiers chrétiens, il s’agit principalement d’annoncer la mort et la Résurrection du Christ.
Mais pour saint Jean l’Évangéliste, être missionnaire, c’est aussi être témoin. C’est ce qu’il nous suggère à travers le récit de la rencontre entre Philippe et Nathanaël : l’acte missionnaire de Philippe passe par son témoignage auprès de Nathanaël, de sa rencontre personnelle avec Jésus (Jn 1, 35-51). Et c’est à la suite de ce témoignage que Nathanaël va devenir à son tour disciple. De même pour André qui va amener son frère Pierre vers le Christ à travers son témoignage personnel.
Comment s’organisait la vie de ces premiers missionnaires ?
De la même manière qu’il y avait des communautés juives dans les villes, les premiers chrétiens se sont aussi organisés petit à petit en communautés de manière spontanée. Je pense par exemple aux toutes premières communautés comme Antioche de Syrie, Philippe, Thessalonique, Corinthe… Avec le temps, les communautés chrétiennes vont aussi devenir, pour les missionnaires, de véritables lieux d’entre-aide.
Quels étaient les enjeux de cette vie communautaire pour les missionnaires ?
Outre la nécessité du soutien financier et matériel, le premier enjeu des communautés est d’apprendre à y vivre en chrétien. Elles étaient composées de membres très divers et il fallait alors maintenir “l’unité du corps” comme le dira Paul. Par là, il invite à vivre les relations dans la communauté autour de l’amour fraternel (agapè, philadelphie). Par ailleurs Paul prenait soin d’une manière très familiale, de telle ou telle communauté qu’il avait fondées, “comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons”. Il dira aussi qu’il s’est conduit envers les convertis “comme un père avec ses enfants” (2 Th, 2, 7).
Y avait-il des conditions pour la mission ?
La mission était vraiment ancrée dans un attachement communautaire ; une des premières conditions était donc la fidélité envers cette communauté. Car un missionnaire ne part pas sur une décision individuelle ni ne s’envoie lui-même en mission. Il est au contraire envoyé par sa communauté. On le voit dans le récit de Paul, lorsqu’il est envoyé par la communauté d’Antioche (en Syrie) avec Barnabé et Marc après sa conversion. Ce qui est intéressant aussi, c’est de remarquer qu’ils y reviennent ensuite pour rendre compte. Le simple fait de rendre compte a permis de soulever des sujets importants. Par exemple, dire que des païens se sont convertis a permis de poser la question des pratiques juives (circoncision, alimentation, etc.) et de la nécessité ou non de les adopter pour devenir chrétien. Ce fut l’objet de l’Assemblée de Jérusalem (Ac 15, 4-21).
Les premiers chrétiens avaient-ils une “méthode d’évangélisation” ?
La manière d’évangéliser était adaptée selon les destinataires. On en distingue trois groupes : les juifs qui pratiquent à la manière juive, les hellénistes (juifs de culture grecque, de la diaspora) et les païens. On ne leur présentait pas la foi de la même manière. Les juifs et hellénistes croient déjà au Dieu unique, il était donc inutile d’aborder ce sujet. L’approche était plutôt de leur prouver que Jésus est le Messie, en ayant recours aux Écritures et aux miracles de Jésus. En revanche, pour s’adresser aux païens, il fallait plutôt leur parler du Dieu unique pour qu’ils se détournent des idoles et croient en la mort et la Résurrection du Christ (1 Th, 1, 9-10). Ainsi les chrétiens ont forgé des formules de foi comme : “Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures. Il est apparu à Céphas, puis aux Douze” (1 Co 15, 3-5). De telles formules sont à l’origine des credos priés aujourd’hui.
Quel héritage ces missionnaires nous ont laissés ?
Il faut d’abord savoir que nous avons le récit du premier développement des communautés chrétiennes dans les Actes des Apôtres qui relatent comment l’Évangile a été annoncé jusqu’à Rome, et que Paul nous a laissé dans ses épîtres des informations sur sa pratique missionnaire.
Un document de référence nous apporte aussi des informations pleines d’intérêt sur le christianisme primitif. Il s’agit de la Didachè, l’un des plus anciens témoignages écrit du christianisme primitif. Il rassemble de nombreux sujets – vivre en chrétien, questions liturgiques, disciplinaires, d’enseignements – soulevés par les premières communautés chrétiennes. C’est le premier manuel synthétique de vie chrétienne. Et à partir de ce qui était vécu, des fruits de l’expérience missionnaire et en s’appuyant sur les questions pratiques auxquelles les chrétiens étaient confrontés, l’Église primitive est arrivée à constituer un catéchisme. Le catéchisme de l’Église catholique reprend d’ailleurs ce même procédé en s’appuyant sur la pratique de la foi tout au long de l’histoire de l’Église.
Propos recueillis par Henri DE MAUDUIT