“Toute vie chrétienne est rythmée par un mouvement de joie”

Frère François Bustillo et frère Eric Bidot à Lyon en 2017, un moment de joie lors de la mission Fraternels dans la ville.
Nos concitoyens ont plus que besoin de ressentir cet amour, de voir cette joie.

“Chez les franciscains c’est joyeux !” Combien de fois ai-je entendu cette phrase en tendant le micro à l’une ou l’autre personne au sortir d’un évènement… Nous avons demandé au jeune cardinal franciscain conventuel, Fr. François Bustillo, comment et pourquoi la joie est l’un des moteurs de l’évangélisation franciscaine mais plus encore chrétienne.

Parler de “vraie joie” dans notre société où ont été érigés l’éphémère, la surconsommation et une recherche permanente d’intensité, a de quoi interpeller. Cela semble encore plus audacieux quand on survole l’état de notre monde, de notre planète, de notre Église même ! Existe-t-il une joie chrétienne à laquelle les chrétiens sont appelés ?
“La joie est liée au bien-être ; être dans la joie c’est aller bien”, cela peut sembler évident mais ce sont pourtant avec ces mots que Fr. François Bustillo, cardinal et évêque d’Ajaccio, débute notre échange. Oui, la joie est un peu le “Graal” de nos émotions et ce, pour une bonne raison : elle est associée au bonheur avec un grand “B”, à l’essence même de notre vie. “C’est bien plus qu’un état émotionnel, c’est un état d’esprit, c’est ce vers quoi on tend”, poursuit Fr. François avant d’ajouter : “Comme le disait Spinoza, la joie, c’est exister plus.”

UNE JOIE À ACCUEILLIR

Nous parcourons ensemble la Bible… “Quand on reprend l’histoire chrétienne, nous avons la joie de Marie, la joie de la naissance de Jésus, la joie des mages, la joie de Marie-Madeleine, celle des apôtres après la Résurrection… La vie chrétienne est rythmée par ce mouvement de joie.” Et il questionne : “Que se passe-t-il quand Jésus passe dans la vie des gens ?” Et l’évêque de Corse cite, tour à tour, Bartimée l’aveugle, le paralytique, Zachée, la Samaritaine, et leurs nombreuses expressions de joie : joie de la délivrance, de la guérison, d’un relèvement, d’exister, de se sentir aimé tout simplement.
“Jésus partage, chez Jean au chapitre 15 : “Je vous ai dit cela afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit profonde” ; Jésus nous veut donc dans la joie”. Il poursuit : “Dans l’Évangile de Matthieu, pour sa première prise de parole publique, Jésus proclame les Béatitudes, et à neuf reprises : “Heureux”. Jésus ne dit pas “Attention les amis, danger, interdit !” Non, Il ne nous propose pas un projet disciplinaire mais vient avec une promesse de bonheur et de liberté.”
Alors si la joie est une aspiration naturelle du cœur de l’homme – “L’homme est né pour la joie” scandait Pascal -, notre frère conventuel vient nous redire qu’elle est avant tout voulue par notre Créateur pour chacun d’entre nous et donc, qu’elle est à recevoir.

JÉSUS, TU ES TOUTE MA JOIE

Quant à François d’Assise, que l’on présente parfois comme le saint de la joie, ivre de louange, courant pieds nus dans les bois à la manière d’un troubadour, notre frère cardinal souligne : “Il faut remettre cela dans le contexte du Moyen Âge. François vient, à sa manière, proposer au monde la joie qui habite son cœur et il invite ses premiers frères à la manifester également. Mais attention, ce n’est pas une joie “peace and love” ! En effet, la joie de François, c’est quelqu’un, c’est Jésus, ce médiateur entre lui et ce Père Créateur qui est le “Bien, tout le Bien, le Bien suprême”. Jésus, véritable porte vers le ciel.
“François est comme habité par un impératif évangélique. Il y va de sa cohérence de vie.” Jésus n’a-t-il pas dit : “C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’ils reconnaîtront que vous êtes mes disciples” (Jean 13 -35). Alors amour manifesté, joie librement et pleinement exprimée, François d’Assise sera le premier saint à graver dans ses écrits – et c’est une petite révolution pour l’austérité monastique de l’époque – que joie et mission vont de pair.

Frère franciscain Boris Barun et frère Iulian Ghiuzan, conventuel en mission d'itinérance, la joie sur les visages.
Fr. Boris Barun et Fr. Iulian Ghiuzan, conventuel en mission d’itinérance.

UNE JOIE À MANIFESTER

Mais comment résonne aujourd’hui cette intuition du petit pauvre d’Assise ? “Ce qui m’interpelle, c’est que François d’Assise ne s’arrête pas à la lecture de la Bible, au concept, à l’intellect. Il ne se limite pas au discours sur la joie et l’amour de Dieu, il entre dans le pratique, avec tout son corps et se laisse déplacer dans son affect.”
Fr. François Bustillo fait le parallèle avec un concept chrétien d’importance : la théophanie qui ne signifie rien d’autre que “montrer Dieu”, “manifester Dieu” aux hommes. “Dans une société crispée, blessée, parfois sombre et intransigeante comme la nôtre, nos concitoyens ont plus que besoin de ressentir cet amour, de voir cette joie, pour découvrir qu’ils ne sont pas seuls et qu’une espérance est possible”. Et pour cela, le mode d’emploi franciscain est on ne peut plus clair : vivre en frères ou, autrement reformulé par notre conventuel, “en soignant notre qualité relationnelle.”

JOIE ET FRATERNITÉ

Car voilà les deux faces d’une même pièce évangélisatrice : joie et fraternité. “François a fait l’expérience d’une joie qui n’est pas épidermique car il a vécu en être pacifié.” François d’Assise est, pour beaucoup, ce chaleureux promoteur de la fraternité universelle et de la réconciliation avec tout le vivant. “Je crois que c’est pour cela qu’il a pu s’enraciner dans une joie profonde, la joie parfaite !” Respect, accueil de tous, gratuité de la relation, “bienveillance”, Fr. François Bustillo insiste à plusieurs reprises sur ce mot. “Veiller le Bien, le bien et le bon qui est en l’autre, vouloir réveiller la joie de l’autre.” Et comment ne pas penser à cette sublime citation tirée de Sagesse d’un pauvre, de notre Fr. Eloi Leclerc (1921-2016). Il prête ce propos à saint François : “Évangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et pas seulement le lui dire, mais le penser réellement. Et pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi une nouvelle conscience de soi. C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié. Une amitié réelle, désintéressée, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profondes.”
Et si nous prenions, cette année, comme résolution de carême, de cultiver notre joie et celle des autres ?

Propos recueillis par Émilie REY

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