“Apprivoiser sa propre fragilité pour répondre à celle de l’autre”

On ne peut répondre à la fragilité que par notre présence et notre écoute.

Jeudi 28 septembre 2023, Fr. Max de Wasseige, en fraternité à la Chapelle-des-Buis, était invité par la pastorale de la santé du diocèse de Besançon pour intervenir sur le thème de la fragilité à l’occasion d’une journée de rentrée. Récit.

Ils sont 174 participants à s’être déplacés aujourd’hui, au foyer Sainte-Anne à Montferrand-le-Château, près de Besançon. Bénévoles pour la grande majorité d’entre eux, ils sont engagés dans différentes branches de la pastorale de la santé du diocèse bisontin : les aumôneries hospitalières, le Service évangélique des malades (SEM), auprès des personnes porteuses de handicap ou encore à l’Observatoire de bioéthique. Mais la santé n’est pas le seul trait qui relie ces participants. Qu’ils soient visiteurs à domicile ou en Ehpad, porteurs de la communion dans les hôpitaux ou aumôniers en établissements hospitaliers, toutes ces personnes ont un point commun : elles sont au contact quotidien avec la fragilité. Ainsi, quand il a été sollicité pour intervenir, Fr. Max a proposé de consacrer cette journée à une réflexion sur le thème : “Comment apprivoiser sa propre fragilité pour répondre à celle de l’autre ?”

UNE FRAGILITÉ QUI OUVRE UN CHEMIN

“Nous sommes tous concernés à un degré ou à un autre par la fragilité, car nous sommes des êtres humains en devenir, toujours en développement, passant par des phases de croissance et de régression. Tous, à un moment de notre vie, nous avons vécu des étapes de fragilité.” Au micro, Fr. Max démarre son intervention en posant d’emblée le cadre de cette journée : il ne s’agira pas tant d’être formé pour devenir “expert” en fragilité et apporter des réponses toutes faites à ceux qui souffrent, mais bien plutôt d’apprendre à regarder sa propre fragilité. Car “nous ne pouvons accueillir les fragilités des autres que si nous avons accueilli nos propres fragilités”, poursuit-il.
Rappelant la difficulté à accueillir cela dans une société de performances, il invite chacun à avoir simplement de la compassion pour ses propres fragilités et non à se juger. “Est-ce que je peux avoir une vraie compassion pour les autres si je n’ai pas de compassion pour moi-même ?”, interroge-t-il. Prêchant par l’exemple, lui-même confie les difficultés scolaires qu’il a rencontrées autrefois. Et la fécondité qui peut en naître. L’occasion de définir la fragilité non pas comme une faiblesse mais “dans le sens de fragilisation, [c’est-à-dire] qui met en route vers un devenir possible.” Cela afin de ne pas catégoriser les personnes fragiles comme s’il s’agissait d’un “diagnostic définitif”.
Dans une intervention qui se veut interactive, il propose alors un petit exercice aux participants. Chacun pose son crayon et s’interroge intérieurement : comment une fragilité, une blessure, a pu ouvrir une source de vie, un chemin dans ma vie ? Car si l’épreuve de la fragilité peut être “la plus douloureuse”, elle peut aussi être “la plus féconde des expériences humaines.” Ainsi, “par ce consentement à notre propre fragilité, nous devenons davantage capables de rejoindre l’autre dans sa fragilité.”

ÉCOUTER POUR REJOINDRE L’AUTRE…

Anne Jeannin est déléguée diocésaine bénévole pour la pastorale de la santé du diocèse. Avec son équipe, elle est chargée de l’organisation de cette rencontre. “Dans nos formations, nous insistons beaucoup sur l’écoute. Quand on entre dans une chambre, on y va tous avec notre vécu et nos fragilités. Cette journée permet de nous fortifier en se disant que même si nous avons des fragilités, celles-ci peuvent nous servir pour aller écouter la souffrance.” Nadine Lasserre, responsable avec Anne du Service évangélique des malades pour le diocèse, complète : “Nous avons besoin d’être outillés et équipés, de nous former sans cesse pour apprendre comment bien écouter, bien recevoir, bien entendre, bien sentir, avec les yeux du cœur et tous nos sens.”1
Face à la fragilité, l’enjeu est donc de parvenir à créer cette bonne condition d’écoute. C’est pourquoi Fr. Max n’est pas venu seul aujourd’hui : à côté de lui, Josette Jacques, avec qui il travaille régulièrement. Spécialiste de la méthode Feldenkrais2 , elle propose tout au long de la matinée de petites animations corporelles sous forme d’exercices respiratoires. Quel rapport avec la fragilité direz-vous ? “La tentation, c’est de vouloir répondre trop vite. Or avant de répondre, nous avons à comprendre. Écouter pour comprendre et non pour répondre est une véritable ascèse !”, explique celui qui a été exorciste pendant 20 ans dans le diocèse, et formé à l’écoute pour cette mission.
Le rôle de Josette est donc de sensibiliser à l’écoute, d’apprendre à créer en soi une bonne disposition d’écoute. “En prenant conscience de cette vie, de ce souffle qui nous traverse, nous pouvons alors juste être là, être une présence”, explique-t-elle.

…ET LIBÉRER LA PAROLE

“Laissez-moi vous raconter une belle histoire…” En bon passionné des Fioretti, notre frère franciscain illustre la suite de ses propos avec l’histoire du “lépreux insupportable” (Fior 25). “Les frères ne s’en sortaient pas avec un lépreux “puant, impatient et arrogant”. Ils voulaient l’abandonner. Quand François lui souhaite la paix, la réponse du lépreux est surprenante : “Quelle sorte de paix y a-t-il pour moi ? Je suis complètement pourri.” Devant cette réponse, François se mit à prier et inspiré par l’Esprit, il lui dit : “Tout ce que tu désires je le ferai !””
À travers ce récit, Fr. Max souhaite porter l’attention sur l’attitude de François : “Remarquez qu’il ne lui dit pas ce qu’il faut faire, ce qui est bon pour lui. Il se fait écoute, il se met aux ordres du lépreux. […] De nouveau, la réponse du lépreux est déconcertante : “Je veux que tu me laves tout entier, car je pue tellement que je ne peux plus me supporter moi-même.” C’est un aveu terrible et pourtant libérateur, car au fond de sa misère, cet homme rêve de retrouver sa dignité. L’écoute favorise la parole qui libère.” Au cœur de la fragilité, les personnes de la santé sont parfois les seules à qui les malades peuvent se confier, dire une parole qui libère.
Mais une question persiste : malgré ce travail d’apprivoisement de sa propre fragilité et d’écoute en profondeur, pouvons-nous réellement “répondre à la fragilité de l’autre”, pour reprendre le thème de la journée ? Dans son homélie, lors de la messe de clôture de cette journée, Fr. Max revient sur la place essentielle du silence dans l’écoute. La réponse se situe peut-être ici : répondre à la fragilité de l’autre, c’est d’abord l’écouter. Autrement dit, c’est offrir avant tout un silence fait d’écoute. “On ne peut répondre à la fragilité que par notre présence et notre écoute”, conclut Anne.

Henri DE MAUDUIT

1. Témoignage à retrouver sur RCF (https:// www.rcf.fr/vie-spirituelle/itineraire-spirituel?episode=197034)

2. La méthode Feldenkrais a pour but d’amener à la prise de conscience de son corps à travers le mouvement dans l’espace, dans l’environnement et à travers les sensations kinesthésiques qui y sont reliées.

L’intervention de Fr. Max était ponctuée de petits exercices respiratoires pour apprendre à entrer dans une attitude d’écoute profonde.
Anne Jeannin (tout à droite) et l’équipe de la pastorale santé du diocèse de Besançon.

Contact