Profession : sage-femme pour religieux !

Je compare mon rôle à celui d’une sage-femme ou d’un ostéopathe.

Depuis une quinzaine d’années, Matthieu Daum épaule des congrégations religieuses à la recherche d’un nouveau souffle. Il les accompagne dans une démarche de discernement collectif sur des enjeux d’organisation et de transformation. Les frères de France-Belgique ont fait appel à lui et se sont engagés dans un cheminement qu’ils ont baptisé “Résurgence”. En frères est allé à sa rencontre.

Propos recueillis par Émilie REY et Henri DE MAUDUIT

Bonjour Matthieu, pouvez-vous brièvement revenir sur votre parcours ?

J’ai fait des études de philosophie et j’ai suivi une formation d’infirmier en psychiatrie. Je suis ensuite retourné à l’Université et j’ai effectué un master en dynamique de groupe. À l’origine, c’était pour m’aider à développer mon travail de psychothérapeute. J’étais convaincu que ce master portait sur les dynamiques de groupe dans la thérapie, or il portait sur les dynamiques de groupe au sein des organisations. J’ai découvert un nouveau monde et j’ai réalisé que cela m’intéressait encore plus que le travail que je faisais. J’ai donc suivi cet appel et suis progressivement passé de la psychiatrie à l’accompagnement. En 2005, j’ai créé ma société – Nexus – avec mon associée, Silvia, qui est également mon épouse. Elle vient du monde de l’économie. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine chez Nexus et avons tous des profils assez différents.

Comment avez-vous accueilli la demande des frères ?

C’est une demande qui est semblable à celles que je reçois d’autres congrégations donc, en soi, elle ne m’a pas surpris ; mais ce sont plutôt les frères que j’ai accueillis. Dans une demande, c’est aussi le groupe qui m’interpelle qui influe sur mon choix ; ici je me suis dit : “Tiens est-ce qu’on pourrait travailler ensemble ?” Or nous avons eu un très bon contact dès notre première rencontre. Il y avait de la joie, de l’humour, de la camaraderie, de la fraternité, de la simplicité… Je reviens d’Irlande où j’ai animé le chapitre des franciscains et j’ai perçu la même chose. Je me suis tout de suite senti très bien. J’ai aussi senti qu’il y avait une vraie demande, c’est-à- dire que le groupe semblait prêt à s’investir de la manière adéquate, pas dans une attitude : “On vous laisse faire, débrouillez-vous !” Non, c’était vraiment : “On a conscience qu’on a besoin d’être accompagnés et on est prêts à s’engager là-dedans.” C’était de bon augure.

Quelle est votre approche ?

J’ai développé une approche qui permet de développer une conscience collective pour discerner ensemble. La plupart du temps, chaque personne a accès à une partie de la réalité mais pas à l’ensemble. L’enjeu d’un discernement collectif c’est de pouvoir discerner à partir d’une compréhension et d’une perception globale de la réalité. Pour cela, il faut passer du débat au dialogue, changer la manière dont on entre en conversation et en relation les uns avec les autres, voire peut-être avec soi-même. Cela veut dire accueillir les choses qu’on ne veut pas voir et les entendre sans chercher à les résoudre. Le processus que j’accompagne s’appuie sur ce que j’appelle “l’écoute générative”, c’est-à-dire une écoute profonde, sans jugement qui essaye de comprendre l’autre, sans répondre ou contrer ses arguments, simplement comprendre d’où viennent les choses que l’autre me partage.

Comment définiriez-vous votre métier ou votre rôle ?

Parfois, je compare mon rôle à celui d’une sage-femme ou d’un ostéopathe. Dans les groupes humains, il y a des choses qui bloquent la circulation de la vie. Ce que j’aime fondamentalement dans mon travail, c’est d’arriver à débloquer cela pour que la vie rejaillisse, voire à faire “accoucher un groupe” de quelque chose qui est déjà présent en lui. Je me définis comme “un tiers” et suis toujours très attentif et vigilant à ce rôle dans toutes les interventions que je fais. Une partie importante de mon travail est de m’assurer que je prends bien le rôle qui est le mien et pas un autre. Je dois être à la fois humain, empathique, proche, connecté, et en même temps conscient du fait que je ne fais pas partie de ce groupe. Dans le cadre d’un chapitre qui dure plusieurs jours ou semaines, on vit comme une communauté et la frontière peut être très fine.

Vous êtes actuellement présent au chapitre des nattes, quel est l’enjeu de ce temps fort dans l’ensemble de la démarche “Résurgence” entreprise par les frères ?

Pour les frères, l’enjeu est de se reconnaître d’un même corps, c’est-à-dire d’une même Province, au service d’une même mission franciscaine dans cette réalité de France et de Belgique. Pour cela, il leur faut arriver à transcender les histoires et les ego personnels pour toucher à ce sentiment d’appartenance, à cette conscience de corps. Il leur faut passer du “je” au “nous”. C’est une chose qui se fait déjà en fraternité mais il s’agit de passer à l’échelon provincial. Autrement dit, on n’est pas dans un processus où on va essayer de débattre et d’argumenter sur ce qui devrait s’arrêter ou continuer. La déviance d’une telle démarche serait qu’on ait chaque fraternité qui essaye de plaider pourquoi elle devrait rester ouverte plus qu’une autre.

En quoi accompagner des congrégations religieuses diffère des autres organisations ?

J’avais ce stéréotype que des religieux et des religieuses devaient forcément être des experts de l’écoute et de l’ouverture à l’autre. Je ne pouvais pas imaginer qu’il y avait des difficultés, des conflits, etc. Je me suis rendu compte que tout ce monde était en fait aussi humain que moi quelque part, que nous tous. Les religieux et religieuses que je rencontre sont souvent extrêmement investis dans leur apostolat, au détriment parfois de la vie en communauté. On met peut-être moins d’énergie à vraiment prendre du temps ensemble, du temps “gratuit”, quand on sent qu’il y a tous ces appels dans le monde. Mais si on veut toucher la réalité et se poser des questions plus profondes, il faut se donner les conditions de l’écoute. On m’a souvent dit à l’époque, et encore aujourd’hui : “Avec vous, c’est la première fois qu’on fait appel à un laïc !” Les religieux reconnaissent que le moment est venu de faire appel à des expertises spécifiques qui n’existent pas en interne.


POUR ALLER PLUS LOIN

Un consultant chez les religieuses, Éditions Salvator, septembre 2020, 228 p., 18,80 €

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