Projet de La Cordelle : se laisser renouveler ensemble par l’Esprit

“La force du lieu se trouve dans la simplicité de son architecture et de ses pierres.

“Va, François, et répare mon Église, qui, tu le vois, tombe en ruines !”. Fin mai, une nouvelle croix de Saint-Damien était accrochée au mur de la chapelle de La Cordelle, au pied de la colline éternelle de Vézelay. Première “pierre spirituelle” d’un chantier dont nous n’avons pas fini de vous parler !

Il y a du monde à La Cordelle en ce dernier week-end du mois de mai. De nombreux amis, voisins ou simples curieux – ayant vu l’un des tracts distribués çà et là – ont fait le déplacement pour la présentation du projet souhaitant donner une nouvelle vie à l’ermitage. Des bancs installés sous le préau et un rétroprojecteur orienté vers un drap, tendu entre deux fourches, font office d’un “décor” plus qu’authentique. Historique du projet, intentions, raison d’être des travaux, présentation de l’équipe… Les frères jonglent avec agilité avec les demandes de l’auditoire. C’est que la réflexion sur l’avenir de la Cordelle, plus vieille implantation franciscaine en France, arrive à maturité. Les frères avaient déjà pris leur bâton de pèlerins, allant à la rencontre de leurs frères, mais c’est maintenant à domicile qu’ils reçoivent !

UN LIEU FONDATEUR

En coulisses, une première équipe s’est constituée. Pour la plupart bénévoles, à l’exception des architectes, ils se sont tous rencontrés pour la première fois en janvier dernier. Ensemble et chacun avec leur histoire, ils reflètent cette diversité d’hommes et de femmes qui ont vécu un moment fondateur à La Cordelle. C’est le cas de Sébastien, quadra parisien, passant ses journées dans le tourbillon du monde de la finance. “La famille de mon épouse a une maison à 12 km de La Cordelle. Il y a une vingtaine d’années, après notre mariage, elle m’a emmené prier dans cette petite chapelle, au pied de la Croix de Saint-Bernard. À chaque fois que nous avons formé le projet d’accueillir la vie dans notre foyer, nous sommes allés prier à La Cordelle. Et le Seigneur nous a exaucés, nos quatre filles sont nées.” Depuis, une fois par an, Sébastien vient vivre une semaine de désert en ce haut lieu de tradition franciscaine. Un temps de ressourcement qui lui est essentiel. Et c’est justement la finalité de ces travaux : “Façonner une oasis de paix et de fraternité”, un “lieu d’accueil inconditionnel”, “un lieu de retraite” pour venir “rencontrer Dieu dans le silence”, “rebondir dans la foi”, “se réconcilier”, “repartir léger” et “expérimenter l’harmonie avec la nature”, pour reprendre quelques paroles exprimées par les bénévoles.

UN PROJET QUI DONNE SENS

Mais des paroles aux actes, il y a plus qu’un pas ! Il a fallu s’organiser et structurer les bonnes volontés en commission : écologie intégrale, finance, juridique, levée de fonds, communication, évènementiel, chantiers bénévoles, etc. Si un comité de pilotage plus restreint coordonne l’ensemble, chacun apporte ses compétences dans un organigramme volontairement laissé souple. Amaury est responsable commercial France chez un fournisseur d’énergie. Quand on lui demande pourquoi il est là et ce qu’il espère apporter au projet, il confie : “Une réponse directe pourrait sembler prétentieuse… Cela fait six mois que je me trouve impliqué dans ce projet et j’ai le sentiment de plus recevoir que de donner. Échanges en vérité mais aussi interpellations de l’extérieur m’amènent à me centrer sur l’essentiel et à donner priorité à ce qui a un “vrai sens”. Plus concrètement, un projet d’une telle envergure demande du pragmatisme, une grande rigueur du type “gestion de projets” tel que nous pouvons les mener en entreprise et nos commissions pourraient en bénéficier. Et surtout, je m’aperçois qu’en parlant de ce projet à mon entourage, nombreux sont ceux qui me demandent d’en savoir davantage et se proposent d’y apporter une plus ou moins grosse participation financière.”

LA CHAPELLE, AU CŒUR DU PROJET

Au cours du printemps, c’est tout l’aspect légal qui a été étudié avec une assemblée générale de l’association des Amis de la Cordelle. Ses statuts nouvellement modifiés précisent : “Elle a pour but de maintenir la mémoire séculaire franciscaine rattachée à l’ermitage de la Cordelle, situé à Vézelay, et de soutenir la vie et la mission des frères franciscains sur ce lieu”. Là encore, enjeu de communion et de communication : faire le lien entre des membres historiques et les nouvelles modalités nécessaires pour encadrer le projet. Nous aurions milles et une questions à poser aux frères tellement notre envie est grande de savoir à quoi ressemblera cette “Cordelle renouvelée”. Pour l’heure et dans l’attente du permis de construire, plans et transformations architecturales ne peuvent être dévoilés. Fr. Patrice réfrène notre ardeur : “Il faut comprendre que l’ensemble des travaux s’inscrit dans une perspective globale qui est celle du projet de vie à La Cordelle. Or, ce lieu repose sur deux piliers : la vie spirituelle de retrait dans un cadre qui est celui d’un ermitage franciscain et l’écologie spirituelle. Pour nous, ces piliers se greffent sur l’histoire du lieu et des bâtiments dont nous avons hérités, notamment une chapelle du XIIe siècle.” Une chapelle qui est le cœur du lieu et la raison de la présence des frères. Il développe : “Tout le projet de La Cordelle prend sens à partir de cette chapelle. Je crois que la force du lieu se trouve dans la simplicité de son architecture et de ses pierres. Heureusement, la chapelle est toujours restée sobre et elle doit le rester.”

UNE NOUVELLE CROIX DE SAINT-DAMIEN

C’est avec ce désir de sobriété et d’intériorité que les frères ont souhaité repenser les éléments qui ornent la chapelle, notamment la Croix qui s’était décolorée avec le temps. Et la Providence mit sur leur chemin Françoise Buire, iconographe à Vézelay. “Avec Éric et Florent, nous avons découvert ses œuvres lors d’une exposition. Nous avons été très touchés par ses icônes fortes en termes de sens. Elles invitent vraiment à passer des yeux au cœur”, raconte Fr. Patrice. “L’artiste a été touchée que l’on fasse appel à elle pour réaliser une icône du Christ de Saint-Damien. On a pris le temps d’en parler, elle nous a écoutés et on l’a écoutée aussi. Rapidement, elle nous a dit : “Écoutez, moi je ne fais pas de copies conformes, je ne me sens pas appelée à cela. Je m’inspire de l’essentiel : cette force du Christ en croix, les bras grands ouverts qui embrasse la terre entière.” Il n’en fallait pas plus pour convaincre nos frères que Françoise était la sœur artiste avec laquelle ils pourraient cheminer. Il y a eu d’abord la commande du bois. “Pas une mince affaire ! Il fallait un bois très sec, qui ne bouge pas, suffisamment grand et épais pour que la Croix ait de la consistance, de la présence. Nous avons trouvé un charpentier pour la réaliser, Charles-Emmanuel Guise. Le support est en bois de frêne et a 40 ans de séchage !”, raconte en souriant Fr. Patrice. Puis, début août 2021, alors que Françoise Buire commençait l’écriture de la Croix, son mari décéda brutalement. Une expérience spirituelle que l’artiste a partagée dans un témoignage poignant lors de l’installation et de la bénédiction de la Croix fin mai 2022. Le bois de la Croix lui fut livré pour la fête de la Sainte-Croix, elle partage : “Je ressentis immédiatement que la grâce de Dieu venait me visiter et que ce travail était en fait un cadeau divin, […] plus exactement une invitation à méditer comme jamais sur le mystère de la Croix. Quasiment chaque jour, je relisais les Évangiles de la Passion et ce récit venait se déposer dans le cœur de mon cœur”. Françoise poursuit : “J’avais réservé, pour la fin, la réalisation du Corps du Christ et son visage. Nous étions déjà en décembre et, chaque matin, lorsque je montais l’escalier qui mène à mon petit atelier, dans la grande maison désormais silencieuse, j’avais l’impression que le Christ m’attendait. Lorsque je commençais à peindre, j’avais l’impression qu’Il étendait ses bras volontairement sur les bras de la Croix, qu’Il ouvrait ses grandes mains dans un consentement inouï qui me bouleversait parce que je prenais (enfin !) conscience du don qu’il représentait. Résonnait en moi la phrase : “Ma Vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne”. Plus d’une fois, j’ai peint en pleurant, non pas de tristesse, non pas à cause de ma nouvelle situation de veuve… Non, j’ai pleuré en découvrant à quel point le sacrifice du Christ était un don d’amour. Amour du Père et amour des Hommes, ces deux amours induisant en quelque sorte la crucifixion. Inévitable. Inéluctable. Et acceptée… par amour.” Cette croix mérite indéniablement d’être appréciée sur place. Chaque centimètre carré reflète un message. Si François a pu recevoir son appel, à Assise, devant le Crucifix de la chapelle Saint-Damien, nul doute que La Cordelle s’inscrit dans cette continuité de renouveau de l’Église.

Henri DE MAUDUIT et Émilie REY

Dans son atelier, l’artiste Françoise Buire vient de finir la croix qui orne désormais la petite chapelle de La Cordelle.
Amis, voisins, ils étaient nombreux lors de la bénédiction de la Croix de Saint-Damien, le dimanche 29 mai 2022.

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