“Ma vie n’est pas dans l’Économat, elle est à la suite du Christ”

Ce que j’abandonne est redonné autrement et en abondance.

Fr. Jean-Paul Arragon a rendu son tablier d’économe après de nombreuses années de service, dans plusieurs maisons et à l’Économat provincial. Nous avons pris le temps de nous asseoir avec lui afin qu’il nous partage comment il vit intérieurement cette période de transition et de passation de responsabilités.

“Ce n’est pas la première fois que j’abandonne quelque chose”, attaque d’emblée Fr. Jean-Paul, la voie sereine. “Le premier grand abandon, cela fut mon départ en coopération vers l’Afrique, à la fin de mes études.” Il poursuit : “Puis, j’ai fait le choix de rentrer chez les frères et j’ai abandonné l’idée d’une profession et d’une famille. Mais l’Évangile nous dit : “celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle” (Matthieu 19,29). Et dans ma vie, je peux dire que j’ai vu à quel point combien cette Parole s’accomplit : ce que j’abandonne est redonné autrement et en abondance.”

À LA SUITE DU CHRIST

Laisser : un geste premier. Une introduction nécessaire nous invitant à replacer nos choix et tout ce que nous traversons dans un parcours de vie toujours plus large et plus grand que ce que l’on perçoit au premier abord. Fr. Jean-Paul reprend : “Je n’ai jamais été à temps plein à l’Économat, sauf ces six dernières années. Cela n’a jamais été l’unique objet de mes soucis. Ma vie n’est pas dans l’Économat, elle est à la suite du Christ. Pour moi, le fait de laisser quelque chose est un geste premier car on ne laisse pas “pour laisser”, on laisse “pour suivre le Christ”.” Il revient sur les différents engagements dans lesquels il s’est investi en parallèle des chiffres et des budgets : curé, accompagnateur de clarisses, formateur, engagé dans la pastorale catéchétique, etc. “L’Économat est un beau service que l’on m’a confié et que j’ai essayé d’accomplir du mieux possible. Il y a bien sûr les aspects techniques que l’on apprend à maîtriser – et il le faut car nos comptes sont expertisés – mais derrière chaque saisie comptable, il y a des frères, les communautés et la Province en général. Ce qui m’a intéressé, ce ne sont pas tant les chiffres que la vie qu’ils laissent transparaître.”

DE LA TENTATION DE SE SENTIR DÉSAVOUÉ

Nous lui demandons un exemple : “Chaque mois, la Province verse des allocations. Notre principe, dans la Province, c’est que chaque fraternité est autonome mais si ce n’est pas possible, la Province est là pour aider. Envoyer une allocation à une fraternité, c’est aider nos frères à vivre”. Fr. Jean-Paul lit dans la charge qu’il a exercée, une occasion concrète d’expression de solidarité mais aussi un gage de la confiance de ses frères, “la chose la plus précieuse que l’on puisse recevoir” partage-t-il avec un brin d’émotion. Remercié chaleureusement lors du dernier Chapitre, c’est à ses frères qu’il a justement remis sa charge d’économe. Et celui qui a longtemps accompagné des sœurs clarisses lors d’élections d’abbesses se souvient : “Je disais souvent : “Il n’y a pas de droit à être réélu(e)”. On abandonne nos charges et, si nos frères ou nos sœurs confient cette charge à quelqu’un d’autre, ce n’est en rien un désaveu. C’est que d’autres personnes sont estimées aptes à l’exercer à ce moment précis et c’est très bien.”

TOUT N’EST QUE TEMPORAIRE

En écho à cette phrase, il se remémore son élection à la charge de Provincial en 1990 dans la Province de Lyon. Son prédécesseur, Fr. Jean-Christophe Cominardi, lui a remis une petite icône qui se transmettait alors de Provincial en Provincial, une icône du lavement des pieds. Le Visiteur, quant à lui, lui remit le sceau de la Province. “J’ai toujours été sensible à ces deux aspects : l’institutionnel, ce qu’il y a à faire et à réaliser dans le cadre de notre responsabilité, mais en même temps la manière de le vivre”. Et il poursuit : “À cette même époque, je me souviens d’une rencontre dans une paroisse des quartiers nord de Marseille. Nous avions le projet de créer une nouvelle fraternité. À cette réunion, il y avait un frère âgé qui avait été Provincial de Metz et Custode en Corse, le frère Gilles Meyer. Et voilà que nous faisions un tour de table pour nous présenter. Naïvement, j’ai pris la parole : “Fr. Jean-Paul, franciscain et Provincial”. Et Fr. Gilles de préciser : “actuellement Provincial”. Nous avons tous rigolé ! Mais j’ai trouvé cela très juste et je l’ai longuement remercié. Je me suis aperçu que c’était vrai, dans la vie nous sommes dans une charge mais c’est toujours pour un moment donné”.

LIBERTÉ INTÉRIEURE ET ÉNERGIE

“C’est l’avenir qui dira si je me suis identifié à ma charge !”, lance-t-il. “Il faudra voir dans un an comment je me situerai quand le Provincial ou le Fr. Yannick Le Maou (nouvel économe) prendront des décisions avec lesquelles je ne serai pas forcément d’accord ! J’aurai un travail de deuil à faire et cela se fera progressivement”. Fr. Jean-Paul espère qu’il aura suffisamment de liberté intérieure pour pouvoir vivre la transition. Animé par ce même souci de liberté, il a demandé à ne pas être en communauté à Paris ni même dans le Conseil économique de la Province car “ce n’est pas bon de croiser tous les jours ceux avec qui on a travaillé ou qui nous succèdent. Il faut laisser de l’espace. C’est le plus grand service que je puisse leur rendre.” Et quand on lui demande s’il va regretter quelque chose, il répond : “Peut-être le mouvement et le rythme que cette charge a entraîné dans ma propre vie”. Il repense à une grande affiche qu’il a vue, les jours derniers, en allant célébrer des funérailles. Il était écrit : “Toujours agité ? On a besoin de ton énergie ! Scouts et guides de France”. “Dans la vie, il peut y avoir de l’agitation mais elle traduit une énergie. Il faut alors trouver le lieu où elle peut s’exercer. Je ne sais pas si j’ai encore beaucoup d’énergie mais l’énergie vitale qui est en moi, je suis prêt à la mettre dans la vie d’une communauté”.

UNE ANNÉE SABBATIQUE

C’est pour continuer à se donner au Christ et à ses frères que Fr. Jean-Paul a demandé une année sabbatique. Pour la première fois, et ce depuis sa profession solennelle en 1979, il n’aura pas de charge ! “Au départ, je voulais me mettre au service d’une paroisse, dans un diocèse pauvre. Mais avec mes soucis de santé et mon besoin de repos, le Provincial m’a demandé de ne pas porter de projets pastoraux”. Alors, durant cette année sabbatique, Fr. Jean-Paul compte se rendre sur la terre natale d’une partie de sa famille, en Lozère puis dans les gorges du Tarn, avec le souhait de redécouvrir ses aïeux et de fouler du pied ses racines rurales. Il mesure déjà toute la générosité du Seigneur à travers les gens qui l’invitent et les portes qui s’ouvrent de manière inattendue. “Si le Seigneur me donne déjà le fruit de l’abandon sous cette forme-là, alors il n’y a pas de raison qu’il m’abandonne en quittant une charge. Le Seigneur à travers les frères, les amis, la Providence, ne nous abandonne pas.”

Propos recueillis par Émilie REY

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