Chaque jour, Fr. Henri Namur arpente les sentiers du bois qui jouxte le sanctuaire des grottes de Saint-Antoine (Brive), où il vit en fraternité. C’est sur ce chemin qu’il m’emmène et me confie, pas à pas, son parcours vocationnel.
Propos recueillis par Henri DE MAUDUIT
Né en Champagne dans le petit village de Verzenay, Fr. Henri, aîné de deux frères, était voué à reprendre l’exploitation viticole familiale. Pourtant, dès son plus jeune âge, son regard se tourne ailleurs. “Tout petit, j’étais heureux quand j’allais à la messe parce que tous les symboles utilisés – la lumière, les ornements, les couleurs, la musique – me permettaient d’avoir une première ouverture avec le monde de Dieu, un éveil au monde d’en haut. Bien que ce désir n’ait pas duré, cela a été ma première relation personnelle avec Jésus, une expérience fondatrice.”
DU NOIR ET BLANC À LA COULEUR
Un jour, il a alors une dizaine d’années, ses parents l’envoient en pension à Reims. À la maîtrise de la cathédrale, il y découvre l’univers de la musique. “C’est un univers qui vous dit le mystère de Dieu par-delà les mots.” Puis, au début du collège, il est envoyé chez les jésuites où il restera tout son secondaire. C’est ici que naîtra sa vocation franciscaine. “Quand j’étais au collège des Jésuites, au cours d’un temps de prière, je me souviens d’une méditation qui disait : “Père, non pas ma volonté mais la tienne.” Et là, comme un coup de foudre, j’ai réalisé que, jusque-là, je faisais ma volonté : je voulais bien être prêtre mais surtout pas religieux. Je ne savais pas tellement ce qu’était un religieux mais pour moi, c’était un manque à vivre, c’était en noir et blanc, triste et gris, plein d’interdits… Et je me suis dit : “Eh bien Seigneur moi aussi, non pas ma volonté mais la tienne.”
Quelque temps plus tard, il rencontre le Poverello pour la première fois à travers la lecture du livre d’Omer Englebert, Vie de saint François d’Assise. “J’ai été scotché à tel point que j’ai franchi les interdits. Le soir avec une lampe torche, je lisais en cachette, je dévorai ce livre. Il m’a fait passer du monde de la loi et des interdits au monde du désir. Avec saint François, les couleurs revenaient… il m’a rendu les couleurs de la vie. C’était comme un beau bouquet de fleurs !” Quelques mois plus tard, en pleine action d’un match de rugby chez les jésuites, il a cette certitude et se dit : “Je serai franciscain !”
Comme si le paysage voulait compléter le récit de Fr. Henri, nous traversons alors une clairière illuminée par les premiers rayons du soleil.
DES IDÉES DIFFÉRENTES
En 1965, Fr. Henri monte à Paris où il rencontre les franciscains avant d’entrer au noviciat à Mâcon. Il a 20 ans et ses camarades de village, engagés dans le communisme ou le radical-socialisme, lui disent : “De toute façon, même en soutane, tu pourras toujours revenir chez nous !” Petit, ses copains de classe étaient le fils du maire radical socialiste et le fils du responsable de la cellule communiste du village. Et ses parents étaient considérés de droite. Par cette camaraderie, il fréquentait alors les bistrots où les siens n’étaient pas. “Je me suis alors rendu compte que ce que les uns pouvaient dire sur les autres n’étaient pas toujours juste et je découvrais beaucoup d’amitié et de bonté chez ceux qui n’étaient pas “de mon bord” et réciproquement. Ça m’a beaucoup éveillé au désir de rencontrer l’autre différent.”
UN NOVICIAT DE LA RENCONTRE
S’ensuit alors une année au scolasticat d’Orsay. Là, il éprouve une forme d’angoisse. “Mais une angoisse accompagnée, habitée. J’avais cependant une certitude : qu’il fallait que je quitte le scolasticat d’Orsay.” Il décide de résilier le sursit de son service militaire et sur le conseil d’un frère, demande comme arme les Chasseurs alpins. “En attendant la réponse, j’ai rejoint pendant quelques mois les compagnons d’Emmaüs à Bougival, qui étaient alors confiés à l’un de nos frères franciscains. Je quittais l’univers d’Orsay pour me retrouver d’un seul coup dans une chambrée avec quatre ou cinq personnes plus avancées en âge : la radio tournait toute la nuit, ça fumait et il y avait même des posters de femmes nues sur les murs ! J’avais besoin de ce noviciat de la vie et j’y ai vécu des rencontres humaines extraordinaires.”
RENCONTRES ET CONVERSION
En saint François, Fr. Henri a vu ce petit frère universel épris de rencontre et sans a priori. “Son bonheur était de rencontrer Jésus en rencontrant des gens. C’est ce que j’ai retrouvé à Emmaüs. Et je l’ai aussi retrouvé dans l’armée, au cours des 16 mois passés chez les Chasseurs alpins. J’ai vite été repéré comme “apprenti curé”. Les gars étaient formidables : par nos rencontres et discussions, leur manière d’être et l’amitié qu’ils m’ont témoignée, ce sont eux qui m’ont remis sur les rails de ma propre vocation.” À la fin, il écrit au provincial et revient chez les franciscains. “C’était clair, enraciné. J’avais trouvé ce qu’il me manquait et depuis, j’ai toujours gardé ce souci du contact. Mon parcours s’est dessiné ainsi, d’ouverture en ouverture.” Aujourd’hui, quand il foule ce sentier, Fr. Henri aime prendre le temps de relire sa vie. Faisant siens les mots de saint Augustin, il conclut : “Seigneur, je ne le savais pas mais tu étais là.”