Bienheureuse Marie de la Passion : l’Eucharistie pour moteur missionnaire

La pauvreté s’empara de mon cœur, je devins fille de saint François.

Sr. Fanny Le Balle a prononcé ses vœux perpétuels chez nos sœurs franciscaines missionnaires de Marie, en 2024. Engagée dans la pastorale des jeunes et des vocations de sa congrégation, elle nous aide à percevoir les points de contact et le déploiement de la spiritualité franciscaine au cœur de la vie de leur “fondatrice”, Marie de la Passion.

Découvrir la vie d’Hélène de Chappotin, en religion Marie de la Passion, c’est plonger dans un XIXe siècle bouillonnant. “Quand tu regardes sa vie, elle est ponctuée de décès, de maladies, d’incompréhensions, d’expulsions, d’échecs, d’accusations et de procès jusqu’à Rome et elle n’a de cesse de questionner : mais Dieu où me conduisez-vous ?”
Car celle qui va devenir l’inspirante figure des franciscaines missionnaires de Marie était loin d’imaginer de telles tribulations. “Un peu comme saint François qui n’a jamais voulu créer un ordre, il y a chez Marie de la Passion quelque chose d’une obéissance qu’elle subit et en même temps d’un appel qui est tellement fort qu’elle doit le vivre”, partage Sr. Fanny.

PREMIERS ÉLANS MISSIONNAIRES

À 17 ans, devant le Saint-Sacrement, Hélène est bouleversée par l’amour de Dieu : “Je suis Celui qui t’aimera toujours plus que tu ne L’aimeras, Celui dont la Beauté est sans tache…(1)” La vie religieuse s’impose à elle comme seule réponse à cet amour. Lorsqu’elle rentre chez les clarisses, depuis peu établies à Nantes, elle s’exclame : “La pauvreté s’empara de mon cœur, je devins fille de saint François(2). Elle en sortira quelques mois plus tard pour maladie, “mais elle va garder ce cœur franciscain”, souligne Sr. Fanny.
Le 15 août 1864, on la retrouve chez les sœurs de Marie réparatrice où elle reçoit pour nom : Marie de la Passion. “Le jour où il me fut imposé, je fus pénétrée de cette unique parole : “Ecce”, “Me Voici”(3). Elle résume l’offrande de Marie et l’agonie de Jésus. Me voici pour être Marie de la Passion. Je veux être du petit nombre de ceux qui aiment vraiment Jésus crucifié(4).”
1865-1876 : une décennie missionnaire s’ouvre dans le sud de l’Inde, à Maduré, dans l’État du Tamil Nadu. Marie de la Passion est sur tous les fronts et fonde même une maison à Ootacamund. “Elle est tellement appréciée qu’elle est élue provinciale et supérieure des trois maisons d’Inde alors qu’elle n’a pas encore 28 ans”, relate Sr. Fanny. Cependant l’inexpérience de ces jeunes missionnaires, pratiquement laissées à l’abandon au milieu de querelles de rites et de juridictions, et les tensions avec le clergé fragmentent leur unité. Marie de la Passion est pointée du doigt et voici “qu’une vingtaine de sœurs quittent les Réparatrices pour ne pas aller dans le sens des accusations portées contre elle. Marie de la Passion se retrouve “obligée” de prendre soin de ce petit troupeau”, poursuit la jeune française.

FONDATRICES

Mais quel avenir pour ces femmes qui ne veulent pas quitter la vie religieuse ? Fidèles à la Mère Église, Marie de la Passion et quelques sœurs partent pour Rome, en novembre 1876. “Marie de la Passion ne se dit pas fondatrice. Elle dit qu’elle est “mère” et parle de “ses filles”, parce qu’elle a été nommée ainsi et que c’est comme cela qu’elle l’a vécu. On a bien un livre intitulé Les Fondatrices, mais notez que c’est au pluriel car Marie de la Passion n’a pas fondé seule et c’est très clair pour elle.”
Ensemble, les sœurs obtiennent l’autorisation du pape Pie IX de demeurer en Inde comme Institut des missionnaires de Marie. Nous sommes le 6 janvier 1877, fête de l’Épiphanie et de l’Église dans son universalité à laquelle nos missionnaires veulent porter la Bonne Nouvelle du Christ surtout à ceux qui ne le connaissent pas.
Et, détail qui n’en est pas un : nos sœurs sont la première congrégation féminine à avoir reçu le nom de “missionnaires” jusque-là réservé aux hommes. “Lorsque l’Église commence à envoyer des femmes en mission, c’est généralement à l’appel de Congrégations masculines qui ont bien conscience que les sœurs sont nécessaires pour approcher les foyers dont les femmes sont le centre. Mais cela va ouvrir aux femmes le champ de la mission et de l’apostolat, alors qu’elles étaient majoritairement cloîtrées”, constate Sr. Fanny 150 ans plus tard. À la demande de la Propaganda Fide(5), Marie de la Passion écrit rapidement un plan de l’Institut des missionnaires de Marie : leur vie sera tout entière orientée vers la mission universelle, centrée sur l’eucharistie, l’offrande de soi sans réserve, à l’imitation de la Vierge Marie. La jeune congrégation s’implante à Saint-Brieuc et, très vite, des vocations se présentent.

De l’adoration eucharistique à l’atelier (ici à l’imprimerie de Vanves), ces femmes ont su tracer un sillon missionnaire nouveau pour des religieuses.

FRANCISCAINES FÉMINISTES

Mais alors comment ces sœurs missionnaires de Marie se sont-elles retrouvées dans la Famille franciscaine avec pour Règle de vie celle du Tiers-Ordre régulier(6) ? Il faudrait de longues pages pour raconter comment Marie de la Passion rencontre, providentiellement au couvent de l’Aracœli à Rome, un responsable de l’Ordre des frères mineurs, le père Raphaël Delabre (1843- 1924). Ce dernier la comprend et va devenir son conseiller spirituel. Il sera l’un de ses plus grands appuis institutionnels, avec le Ministre général de l’époque, le père Bernardin de Portogruaro. “Dans ses écrits, on sent que dès leurs premiers entretiens, il se passe quelque chose. C’est comme si Marie de la Passion était de retour à la maison. Elle avait cette fibre franciscaine dans les tripes. Elle avait désiré une vie contemplative chez les clarisses, mais l’expérience vécue en Inde a fait naître une missionnaire”, perçoit Sr. Fanny. Marie de la Passion demandera d’abord personnellement son admission au Tiers-Ordre franciscain, en 1882. Trois ans plus tard, toutes ses sœurs la rejoindront.
De sa première rencontre avec Fr. Bernardino da Portogruaro, Général des frères mineurs, elle écrira : “Je lui dis : “Révérendissime père, en moi recevez pour vos enfants toutes les Missionnaires de Marie présentes et à venir, bénissez-les, adoptez-les, je vous en prie”. Et lui, écartant son manteau comme s’il eût voulu faire comprendre qu’un grand nombre viendrait s’y abriter, me dit avec une flamme dans le regard : “Oui, ma fille, je vous adopte, vous et toutes vos enfants présentes et à venir. Au nom de saint François, je vous reçois pour ses filles. Soyez bénies”.” L’année suivante, il ira même jusqu’à offrir son propre manteau à la congrégation naissante et il écrira : “Quand je vous ai vu désirer d’appartenir à saint François, j’ai senti que c’était pour notre Ordre un bonheur et une grâce.”
L’institut s’appellera désormais les franciscaines missionnaires de Marie. “À partir du moment où elle va retrouver la Famille franciscaine, elle va s’y donner corps et âme.” Et Sr. Fanny l’illustre : en 1902, alors que les franciscains sont expulsés de France et que l’État tente de mettre la main sur leurs couvents, Marie de la Passion crée une société suisse avec des laïcs pour racheter ces derniers. Elle y implante des ateliers de formation et héberge même des frères en Suisse et en Italie(7) ! La congrégation s’étend ; ses œuvres sont toujours plus tournées vers le bien et l’épanouissement des femmes, ce que l’on appellerait aujourd’hui de l’empowerment(8). “C’est une époque missionnaire de folie ! Il faut trouver des fonds pour les œuvres, former les sœurs et les défis organisationnels sont immenses pour assurer l’avenir. Marie de la Passion est une femme forte, qui a des racines solides, qui sait qui elle est, qui sait ce qui la fait tenir”, expose Sr. Fanny. Assurément une femme d’une inspiration et d’une audace rare, ancrée dans son époque, offerte tout entière et en liberté, qui a “osé sa vie” pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage de Marcel Launay(9). À sa mort, en 1904, quatre-vingt-six fondations s’égrènent sur tous les continents, Europe, Asie, Afrique, Amériques, avec quelque 3 000 religieuses.

DE LA CRÈCHE AU TABERNACLE

“Dans nos formations, on commence souvent par approfondir l’itinéraire spirituel de François d’Assise et ensuite, on lit celui de Marie de la Passion. Puis on les met côte à côte. C’est vraiment magnifique ! ”, se réjouit Sr. Fanny. Pour François d’Assise, l’eucharistie est le prolongement de l’Incarnation (“Voyez : chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre.”(10) ) Marie de la Passion écrivait quant à elle : “L’eucharistie soutient le monde(11), ou encore, “le grand missionnaire de l’Institut, c’est Jésus-eucharistie.(12) Pour nous, il n’y a pas de distinction entre eucharistie et mission. De la célébration et de l’adoration eucharistique jaillissent le dynamisme contemplatif et missionnaire de toute notre vie.(13)” Sr. Fanny traduit avec ses propres mots ce mouvement eucharistique : “Parfois, dans ma prière, je viens m’offrir au Seigneur et, en m’offrant, je lui amène le monde entier et tous ceux qui habitent mes pensées. Parfois, il y a un autre mouvement qui se fait de luimême : je suis présente avec le monde et c’est cette source qui vient à moi pour rejoindre les autres. L’eucharistie ce n’est pas une simple présence immobile qui dirait : “je suis avec toi”. C’est une présence qui veut se donner constamment. »
Nos sœurs sont plus de 5 000 dans le monde entier . Puissent-elles encore longtemps porter Jésus-eucharistie, unique lumière, aux hommes et aux femmes de notre temps.

Émilie REY

(1) Petite vie de Marie de la Passion, Marie-Thérèse de Maleissye, Desclée de Brouwer, 1996, p. 20 Ibid p. 30
(2) “Ecce homo” : “voici l’homme”, expression de Ponce Pilate dans l’Évangile selon saint Jean (19,5)
(3) “Me Voici” : réponse de Marie à l’Ange Gabriel. “Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole” dans l’Évangile selon saint Luc (1,38)
(4) Ibid p. 42
(5) Congrégation chargée des œuvres missionnaires de l’Église
(6) François met en place trois Ordres : le Tiers-Ordre comprend des séculiers (fraternités franciscaines séculières composées de laïcs, familles, prêtres diocésains…) et réguliers (congrégations religieuses ayant pour racine la spiritualité franciscaine comme les franciscaines missionnaires de Marie)
(7) Ibid p. 288
(8) De l’anglais “autonomisation”, capacité des individus et des collectifs à s’impliquer
(9) Hélène de Chappotin et les franciscaines missionnaires de Marie. “Oser sa vie”, Marcel Launay, Le Cerf, avril 2001, 262 p., 30 €
(10) Admonition de saint François 1, 16-18.
(11) Prier 15 jours avec Marie de la Passion, Marie-Thérèse de Maleissye, Montrouge, Nouvelle Cité, 1999, p. 70.
(12) Petite vie de Marie de la Passion, Marie-Thérèse de Maleissye, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p. 103.
(13) Citation des Constitutions (article 3)

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