Alors que le statut des femmes dans l’Église catholique interroge plus que jamais l’institution, la théologienne Sylvaine Landrivon, nous invite à relire la Bible pour repenser l’Église(1). Rencontre avec une chrétienne libre.
“J’enseignais les sciences humaines jusqu’à ce que je m’énerve en écoutant une homélie sur Cain et Abel. Je me suis dit : mais ce n’est pas possible, on ne peut pas faire dire cela à la Bible ! Caïn n’a sans doute rien pu dire à son frère, sinon il ne l’aurait pas tué. Et je suis partie à la fac de théologie de Lyon en demandant à faire de l’hébreu biblique pour déchiffrer les textes par moi-même.” En parallèle de son activité professionnelle, Sylvaine Landrivon décroche un baccalauréat canonique, un master puis un doctorat où elle explore les fondements bibliques d’une différence et d’une complémentarité entre masculin et féminin.
TOUS ENFANTS D’UN MÊME PÈRE
« Mes collègues m’ont alors invitée à travailler avec elles et eux.” Elle rejoint une amie religieuse pour lancer Théo en ligne(2), et en assure la responsabilité pédagogique pendant plusieurs années. L’heure de la retraite sonnant, elle se consacre à l’écriture d’ouvrages dont plusieurs sur Marie-Madeleine. C’est aussi le temps d’un militantisme catholique féministe assumé. Elle co-fonde, en 2020, Toutes Apôtres !(3) et prend, en 2023, la coprésidence du Comité de la jupe qui promeut la place des femmes dans l’Église catholique.
Mais en quoi lire la Bible avec un regard féminin est-il important ? “Parce que c’est un moyen de s’opposer aux discriminations de toutes sortes et de suggérer une nouvelle manière de faire Église, plus fidèle à l’Évangile. Mon combat, c’est l’horizontalité et qu’on arrête de chercher des hiérarchies et du pouvoir quand l’Évangile nous enseigne exactement l’inverse. Je pense que cela peut vraiment nous apporter un nouveau souffle car le premier et le seul enseignement de l’Évangile [le célèbre “aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés”] nous parle de relation. Il nous invite à être ensemble en adelphité.”
Je découvre qu’“adelphe”, du grec ancien ἀδελφός, désigne indifféremment (homme ou femme) une personne issue d’une même parenté. Pour le dire autrement, l’adelphité c’est “la sororité(4) et la fraternité en un seul mot, comme pour dire qu’il n’y a qu’une seule humanité en lien avec le Christ. Et j’aimerais qu’en Église, on revienne à cette vraie reconnaissance que nous sommes tous enfants d’un seul Père, il n’y a pas de meilleurs dans le lot ! »
LA CONFISCATION DE L’AUTORITÉ
« Pierre et Marie-Madeleine ont reçu de Jésus la même totalité d’amour.” Sylvaine prend le temps de me le répéter à plusieurs reprises afin que je l’intériorise bien. Pour les chrétiens, c’est donc le baptême qui institue homme et femme à égalité ; “Tous prêtre, prophète et roi », clame Sylvaine. Égaux oui, mais complémentaires ? Elle m’invite à la plus grande vigilance. « La complémentarité n’a de sens que dans l’ouverture à l’autre. Il nous faut faire très attention à ne pas cantonner ce qui serait de l’ordre du biologiquement féminin à une posture de soin, de maternité ou d’écoute. Chacun est porteur, par son baptême, de charismes et en développe d’autres au long de sa vie. La complémentarité ce serait donc : un jour, je vais fleurir l’Église ; l’autre, je vais prêcher. Car ce n’est pas vrai que les hommes peuvent prêcher tout le temps ! C’est une distorsion patriarcale qui est insupportable !” Sylvaine réfute vivement la vision pétrinienne(5) , largement répandue à travers les siècles, qui conférerait aux hommes seuls l’exercice de l’autorité.
Pour étayer ses propos, elle m’invite à retourner à la Bible et au moment fondateur de la naissance de l’Église. Jésus est en croix : “Voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : “Femme, voici ton fils”. Puis, il dit au disciple : “Voici ta mère”” (Jean 19, 26-27).
Sylvaine m’explique que l’Église naît dans ce mouvement : “le Christ la confie à Marie [sa mère et femme juive] et il l’universalise avec le bien aimé [qui est chacun et chacune d’entre nous] ». Elle poursuit : “Saint Paul a très bien compris le message, il accueille des femmes et des hommes de tous horizons pour créer des communautés. Dans ses lettres, on comprend que ces communautés tâtonnent ensemble. Il n’y a donc jamais eu de hiérarchie donnée à un instant T ! D’ailleurs, Jésus a passé son temps à dénoncer toute hiérarchie, souvenez-vous les pharisiens et les grands prêtres… »
Je poursuis mes interpellations : mais alors qu’est-ce qu’un prêtre ? “Simplement un frère avec une charge à remplir car il n’y a qu’un seul Bon pasteur” (Jn 10,1-21). Une magnifique vocation de service qui a été ternie par des siècles d’abus cléricaux dont nous avons tristement découvert les ravages…
REFUSER DE DOMINER
Je questionne maintenant Sylvaine sur sa perception de saint François. “Saint François, c’est surtout son refus de toute domination sur toute créature. Il a compris que la royauté du Christ n’est pas celle des puissants. Il a justement été dans cette horizontalité de relations qui fait que nous sommes capables d’aimer. Si on abandonne la peur de l’autre, que ce soit la peur du loup ou la peur de l’étranger, alors on peut regarder l’autre et l’aimer quel qu’il soit.” Elle le reconnaît : “Ce ne sont pas des Poutine et des Trump, ni ce que les médias véhiculent, qui vont nous aider puisque tout est fait pour entretenir cette peur qui est aussi un mode de pouvoir. » « Je pense que la relation entre hommes et femmes est faussée par une certaine peur du féminin chez de nombreux clercs. Or, nous sommes des êtres multiples, on a tous du masculin et du féminin en nous.” Et elle prend volontiers pour exemple le bienheureux Charles de Foucauld qui a perçu, dans la Visitation de Marie à Élisabeth, un modèle pour sa vocation contemplative en pays étranger. “Porter Jésus en silence chez ceux qui l’ignorent et les sanctifier par cette divine présence, comme Marie porta Jésus en silence dans la maison de saint Jean en la Visitation, c’est mon idéal depuis dix ans », écrivait-il à l’abbé Huvelin en 1903. Comme Charles de Foucauld, le “frère universel », l’institution ecclésiale saura-t-elle redécouvrir la puissance des apports féminins au témoignage du message évangélique ? Saura-telle entendre le Christ qui parle dans la voix de tant de femmes ?
Émilie REY
(1) La Part des femmes. Relire la Bible pour repenser l’Église, Sylviane Landrivon, janvier 2024, Éditions de l’Atelier, 224 p., 20 €
(2) Porté par la faculté de théologie de l’UCLy, Théo en ligne permet d’accéder à des études universitaires en théologie chrétienne à distance.
(3) “ Toutes Apôtres !” demande à la Conférence des évêques de France l’ouverture d’une commission sur la situation des femmes.
(4) Solidarité entre femmes.
(5) “Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église.” (Matthieu 16, 18-20).