Marion : “Au Maroc, j’ai appris quelque chose de l’ordre de la gratuité”

Marion dans une rue avec ses élèves du cours d’alphabétisation du Centre Saint-Antoine.
Marion et Fr. Andrea dans une rue du Maroc.
“Prier ensemble permet de se reconnaître mutuellement comme frère et sœur en Christ.

Marion de Tonquédec est partie en volontariat avec la Délégation catholique pour la coopération tout d’abord en Palestine puis, de façon imprévue, chez nos frères au Maroc. Pour En frères, elle accepte de reparcourir cette traversée missionnaire décapante !

Poursuivre la mission “coûte que coûte”, c’est ce qui habite le cœur de Marion, professeur parisienne, alors qu’elle vient d’être rapatriée de Palestine en décembre 2023. “Quitter ce pays fut un véritable arrachement, une partie de mon cœur est restée là-bas. Je ne me voyais pas rester en France alors que j’avais fait le choix de partir en mission avec la DCC.” Sans trop comprendre ce qui se passe, Marion accepte d’être réaffectée sur une mission d’enseignement du français au Maroc. Même si elle a déjà côtoyé l’islam, appris l’arabe à Ramallah et enseigné à des enfants palestiniens, Marion va vivre un véritable choc sociétal.

PAUVRETÉ RELATIONNELLE

“En Palestine, j’étais au contact de jeunes de classe moyenne, anglophones, dotés d’une grande culture générale ; il y avait quelque chose de confortable. Au Maroc, je plonge dans un univers très populaire. Les franciscains vivent dans un quartier défavorisé de la Médina et je fais connaissance avec des personnes qui ont été peu scolarisées et que le débat d’idées n’intéresse guère.”
Marion raffole de politique, de philosophie, elle aime parler religions et droits de l’Homme. À Meknès, pas de bars ou de soirées pour faire des rencontres et la vie culturelle est quasi inexistante. Même avec toute sa bonne volonté, elle se retrouve face à “un gouffre”.
Autre surprise : alors qu’en Palestine, les chrétiens sont reconnus pour leurs engagements éducatifs, sociaux et associatifs, Marion se découvre véritablement “étrangère”. Elle explique : “J’avais expérimenté ce que voulait dire “vivre la minorité chrétienne”, mais là, pour l’immense majorité des Marocains, le christianisme est quelque chose qui n’existe même pas !” Dernier écueil, la relation homme-femme : “Tout est très genré au Maroc, l’espace public est masculin. Donc pour une femme, c’est dur. Elle marche soit accompagnée d’un homme, soit en groupe avec d’autres femmes telles un banc de poissons ! Et je vous laisse imaginer pour une Occidentale…” Marion est fière d’avoir tenu bon dans sa liberté de mouvement, mais à quel prix ? Elle ne veut pas le taire : les débuts au Maroc ont été déroutants et elle y a fait l’expérience d’une certaine pauvreté relationnelle.

ENRACINEMENT ET FIDÉLITÉ

“J’ai finalement décidé de laisser tomber les hommes et je me suis rapprochée des femmes. Et cela a été très intéressant car les Marocaines peuvent sembler effacées dans la vie publique mais dans la sphère privée, ce sont des queens* !” Marion entraperçoit une solidarité féminine forte et, de hammams en cours de broderie, tisse des amitiés qui l’éclairent sur sa propre féminité. “J’ai découvert une force chez la femme que je ne soupçonnais pas. Dans certains espaces, ces femmes musulmanes retrouvent leur liberté, leur puissance, leur force et cela m’a beaucoup impressionnée. Je suis devenue très féministe au Maroc.” Au bout de cinq mois, Marion commence à identifier ses “piliers” : Il y a Widad la brodeuse mais aussi Marie-Hélène et Natacha, deux jeunes subsahariennes.
Toujours animée par ce désir de creuser des relations, Marion prend un engagement fort avec la paroisse de Meknès. “C’est une très belle paroisse avec des étudiants de toute l’Afrique subsaharienne. J’ai beaucoup aimé vivre ma foi avec eux, c’est-à-dire dans la joie, les chants, le bruit ! J’ai participé à toutes les fêtes, on a cuisiné ensemble et j’ai pu de nouveau goûter à une fraternité homme-femme respectueuse.”
Marion fait petit à petit son trou. “J’étais l’une des seules blanches de la communauté à participer à toutes les messes ; j’ai bien senti qu’il y avait des préjugés sur l’Europe mais la communauté a été très accueillante. Je crois que le fait d’avoir été fidèle à mon engagement dominical (en sacrifiant quelques escapades touristiques) a été la preuve que l’on pouvait compter sur moi.” Elle poursuit : “Prier ensemble permet de se reconnaître mutuellement comme frère et sœur en Christ. Aujourd’hui, ils me manquent… mais je suis heureuse d’avoir retrouvé cette fraternité universelle dans ma paroisse du XXe arrondissement.”

PILIER FRANCISCAIN

Parmi ses autres piliers, il y a les trois frères de Meknès : Milito, Franco et Andrea. “Je connaissais les franciscains de mes livres d’histoire médiévale. Je les avais étudiés comme objet historique !” C’est la première fois que Marion fréquente d’aussi près une communauté religieuse masculine. Les frères l’accueillent avec son “deuil” d’une Palestine qu’elle ne retrouvera pas de sitôt.
“Ce que je retiens, c’est avant tout leur grande écoute, leurs attentions bienveillantes, et beaucoup de rires et d’humour. Et puis, chez eux, il n’y avait pas ce statut du prêtre qui peut être parfois écrasant. C’était simple et fraternel. Je me suis sentie comme en famille. Librement, j’ai pu poser toutes mes questions sur l’Église, aborder par exemple la place des femmes dans l’institution. C’était un espace de vérité, ils me confiaient aussi les difficultés dans leur mission et en communauté.”
Et quand on la questionne sur le sens de leur présence, Marion s’arrête un instant : “La société marocaine fonctionne sans eux. Les frères ne sont pas du tout indispensables. Mais devons-nous être utiles ? Leur vocation me dépasse mais, après avoir vécu à leurs côtés, je crois que j’ai appris quelque chose de l’ordre de la gratuité. J’entends par là aimer sincèrement et avec détachement. Les frères font témoignage de charité, ils aiment profondément ce peuple et je crois que j’ai aussi réussi à l’aimer malgré toutes nos différences.”

Émilie REY

*des reines

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