Maurice Zundel – La vie de Dieu remise entre nos mains

Nous avons besoin d’être guéris « de la toute-puissance de Dieu ».

Maurice Zundel (1897-1975), théologien et prêtre suisse, nous invite à un renversement. De sa naissance à sa mort, le Christ, en nous révélant la fragilité de Dieu, la remet entre nos mains. C’est comme s’il nous confiait le destin de Dieu que nous avons à laisser vivre en nous.

Il y a quelques jours, je préparais un baptême. Les parents sont venus avec un bébé, à peine un mois, il y a longtemps que je n’en avais pas vu de si petit. Après l’échange pour mieux comprendre le mystère de ce sacrement et organiser la célébration, le papa à la carrure imposante a pris le bébé dans le landau et l’a déposé avec délicatesse sur sa poitrine. Alors le bébé, minuscule, se déplie de tous ses membres et se presse contre son papa…
Une image, comme une révélation s’impose à moi : le papa et son bébé ne sont-ils pas l’image de Dieu ? Le père, solide, est sécurité et vie pour son enfant et en même temps, cet enfant extrêmement fragile a un besoin évident d’être aimé, d’être protégé, d’être nourri, pour survivre et grandir dans l’existence. L’instant d’après, le bébé est blotti contre le sein de sa maman… Dieu n’est-il pas autant père que mère ? Mystère de la force et de la fragilité de Dieu.

DIEU A BESOIN DE NOUS

Dieu se confie entre nos mains, il se fait petit enfant, il partage notre fragile humanité. Il a besoin de Joseph et de Marie pour prendre pied dans l’existence et pour y grandir. Ses parents vont se réfugier dans une étable pour le mettre au monde. L’âne et le bœuf vont lui apporter le souffle chaud de la création et les bergers, l’accueil de l’humble humanité.
Maurice Zundel écrit en ce sens : “Il y a en Dieu une enfance, comme il y a en lui une jeunesse éternelle, il y a une fragilité infinie. Cette fragilité qui animait François devant l’enfant de Bethléem, c’est la manifestation, à travers l’humanité de Jésus, de l’éternelle fragilité de Dieu… Dieu est fragile et c’est pourquoi, finalement, ce n’est pas nous qu’il faut sauver, c’est Dieu qu’il faut sauver de nous…” (HP 148)

TOUTE IMPUISSANCE ET TOUTE PAUVRETÉ

N’y aura-t-il pas, juste après Noël, la violence de la fuite en Égypte pour sauver l’enfant de la violence des hommes et déjà le massacre des innocents qui se perpétue à travers notre histoire ? Dieu en Jésus, comme une mère, communie aux limites, aux souffrances aux erreurs de l’humanité. C’est Lui qui en souffre le plus. Et Il ne peut agir de l’extérieur, s’imposer à la liberté de l’homme.
“Que veux-tu que je fasse pour toi ?”, dit-il à l’aveugle. “Va, ta foi t’a sauvé.” Dieu n’a que la puissance de son amour pour répondre au désir de l’amour. Il a trop de respect pour l’intimité de l’homme pour s’imposer comme une loi, comme une puissance extérieure. “Il a voulu s’offrir et se proposer et non s’imposer. Et par un renversement ineffable, c’est lui qui est devenu, à force d’amour, la toute impuissance et la toute pauvreté.” (HP 143)
Il ira jusqu’au bout de son amour, “Il les aima jusqu’à l’extrême” (Jn 13). Il portera sur lui l’égoïsme de l’homme, sa violence, son orgueil ; Il souffrira dans sa propre chair ce refus de l’homme, tous ces crimes contre l’humanité.

SAUVER DIEU DE NOUS

“Dieu est la première victime du mal”, car tout le mal qui touche l’homme, Dieu le porte comme une mère porte le mal de son enfant. Dieu est atteint dans son amour, il est blessé dans son amour. “Est-ce que Dieu aurait moins d’amour qu’une mère ? C’est impossible. C’est pourquoi Dieu se livre sur la Croix… C’est pourquoi Dieu meurt pour ceux-là mêmes qui le crucifient, meurt pour ceux qui refusent obstinément de l’aimer […] C’est pourquoi il faut sauver Dieu de nous, sauver Dieu de nos limites, sauver Dieu de notre opacité” (HP148- 149).
Son amour répondra au mal par un amour plus profond encore. Il se donne tout entier en son Fils Jésus : “Le vrai Dieu est ce Dieu-là, qui préfère mourir que d’imposer quoi que ce soit, parce qu’il est Vie, Esprit et Vérité qui ne peut être adoré qu’en esprit et vérité” (HP149).
Nous avons besoin d’être guéris “de la toute-puissance de Dieu”, puissance magique ou idolâtrique, puissance économique, militaire ou idéologique qui nous inviterait à nous démettre de nos responsabilités (cela peut nous paraître si confortable) pour accueillir “la Pauvreté de Dieu” comme l’a si bien fait saint François.
“Le Dieu de l’éternelle pauvreté, le Dieu de l’éternel dépouillement, le Dieu de l’éternelle charité, le Dieu qui n’a rien et qui ne peut qu’aimer, le Dieu qui crée le monde par un rayon de sa tendresse, comme nous-mêmes d’ailleurs nous créons le monde qui nous entoure par un rayon de la nôtre… C’est ça la création, une histoire à deux : Dieu ne peut pas la faire tout seul” (JPC p. 120).
La vie du Christ se communique à travers notre humanité à condition que nous l’accueillions. “Pour moi, vivre c’est Jésus-Christ.” Toute la perfection chrétienne c’est cela : Jésus-Christ vivant en nous, dans notre esprit, dans notre cœur, dans notre sensibilité, dans notre chaire, dans nos actions.

Fr. José KOHLER, OFM


POUR ALLER PLUS LOIN

Mystique d’origine suisse, Maurice Zundel (1897- 1975) fut un prêtre et un théologien atypique. Influencé par la pensée de François d’Assise, la pauvreté prend une place essentielle dans sa vie : il n’aura de cesse de vivre et d’appeler à la désappropriation de soi, seule voie pour répondre à l’amour divin, seule façon d’être vraiment libre. Il nous invite au dépouillement de nous mêmes afin de nous rendre transparents à la lumière divine intérieure. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et homélies. Pour aller à la découverte de sa pensée, visitez le site https://mauricezundel.com/ ainsi que la page Facebook rattachée “Maurice Zundel” (publications quotidiennes de très belles phrases du théologien).

Dans cet article, les citations de Maurice Zundel sont tirées de L’humble Présence, de Maurice Zundel et Marc Donzé, Sarment Éditions du Jubilé, novembre 2008, 467 p.. Nous recommandons aussi le chapitre “Le problème du mal. Dieu, première victime du mal” dans l’ouvrage Je parlerai à ton cœur, retraite de Maurice Zundel aux religieuses franciscaines de l’Immaculée conception au Liban. Anne Sigier, 1990, 327 p.

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