Une Règle ou des Règles ? En cette année 2023, notre famille franciscaine célèbre les 800 ans de l’approbation de la Règle de saint François d’Assise appelée aussi “seconde Règle”. Retour sur l’histoire d’une “composition” et ce qu’elle nous dit de l’intuition de notre fondateur.
Au cours de l’année 1208, plus d’une dizaine d’hommes d’Assise décident d’adopter le “genre de vie” de François. Événement imprévisible qui interpelle ce dernier. “Dorénavant, nous voulons vivre avec toi et conformer notre vie à la tienne… Il leur répondit gentiment : Allons ensemble, et demandons conseil au Seigneur” (A.P 10a). François n’avait pas de projet bien défini. Il n’avait sans doute pas songé à fonder une “fraternité”, encore moins un Ordre. Il veut suivre le Christ, vivre la radicalité de l’Évangile. Avec ses frères, ils prièrent : “Seigneur Dieu, nous te supplions, daigne nous montrer ce que nous devons faire.” Ils demandent au curé de leur ouvrir le seul évangéliaire de la paroisse “car ils ne savaient pas encore bien s’y retrouver.” Et ils trouvèrent aussitôt le lieu où il est écrit : “Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel” (Mt19,21). Le feuilletant encore, ils s’arrêtèrent sur ce texte : “N’emportez rien en chemin” (Lc.9,3). Transportés de joie ils s’exclamèrent : “Voilà bien ce que nous cherchions.” François ajouta : “Ce sera notre Règle” (A.P.10b-11a).
“LA VIE DES FRÈRES”
Au printemps 1209, la fraternité naissante se rendit à Rome afin de rencontrer le pape Innocent III pour lui demander d’approuver leur désir de vivre selon l’Évangile. François partagera plus tard dans son Testament : “Après que le Seigneur m’eut donné des frères, personne ne me montrait ce que je devais faire, mais le Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre selon la forme du saint évangile. Et moi, je le fis écrire en peu de mots et simplement, et le Seigneur pape me confirma” (Test. 14-15). Toutes les biographies attestent l’authenticité de cette rencontre avec le pape mais dans des versions différentes. Elle fut cordiale selon la médiation de l’évêque d’Assise et du cardinal Jean de saint Paul (1 C.33). “Le pape embrassa François et approuva la règle qu’il avait écrite. Il lui accorda aussi, ainsi qu’à ses frères, l’autorisation de prêcher partout la pénitence” (3 S 49-51 ; cf.1C33). Selon d’autres sources, la rencontre ne fut pas si idyllique (A.P 34b). Saint Bonaventure écrit même que le pape “fit chasser sans aucun égard le serviteur du Christ, qui lui était inconnu” (LM. 3, 8).
DE 12 À 5 000 FRÈRES !
On peut penser que cette “forme de vie” présentée au pape Innocent III devait être appelée “la Vie des frères” comme le début de la Règle de 1221 semble encore en garder une trace : “Ceci est la vie que frère François demanda au Seigneur pape de lui concéder et confirmer.” Entre 1209 et 1217, on passe de 12 à 5 000 frères ! Jusque-là, la personne de François était l’exemple, la référence vivante qui suffisait à assurer la cohésion du groupe des frères. Il devint évident que cela ne pouvait plus durer. Des différents états successifs, nous ne possédons plus que le texte du chapitre de la Pentecôte de 1221 appelé, par commodité, “première Règle” ou encore “Regula non bullata”.
ENTRE INSPIRATION ET ADAPTATION
Cette Règle est précieuse car composée ligne par ligne, pendant douze ans, par la première génération franciscaine, de chapitre annuel en chapitre. Il ne s’agit donc pas d’un cadre juridique mais bien d’une “vie”, d’une inspiration, d’un “projet de vie” toujours en développement. Cette Règle nous permet de saisir l’évolution dynamique de ce nouveau groupe évangélique confronté aux réalités concrètes de la vie quotidienne. Elle est le fruit de l’expérience. On trouve fréquemment : “On fera telle chose”, et on ajoute “à moins que (caveo)”. C’est toujours le même projet de vie qui s’adapte, progresse, se précise. Les frères ne semblent pas avoir demandé au pape l’approbation de cette “première Règle”, car les frères ministres n’étaient pas satisfaits de cette Règle qui était devenue un millefeuille trop long et touffu. Il faut y ajouter les nombreux versets d’évangile introduits par Césaire de Spire à la demande de François lui-même. Il fallait alors élaborer un texte plus concis, ce sera la “deuxième Règle” de 1223 qui, elle, aura droit à une bulle papale de confirmation.
UNE ŒUVRE COLLECTIVE
Selon les écrits de frère Léon (CA17 ou L. P. 113), très discutés, ce serait François lui-même qui l’aurait rédigée à Fonte Colombo. En réalité, cette Règle de 1223, confirmée et certifiée par Honorius II sur laquelle les frères s’engagent aujourd’hui, est une œuvre collective. Y participèrent probablement le cardinal-protecteur de toute la Fraternité, Hugolin – qui deviendra le pape Grégoire IX -, plusieurs frères-ministres provinciaux et François lui-même. Il y fit passer l’essentiel de ses intuitions évangéliques et son souffle prophétique. Dans cette règle, on trouve même huit passages où il ajoute, à la première personne : “J’avertis, j’enjoins, je leur conseille, je leur défends, je leur recommande.” Une formulation inhabituelle dans un texte juridique et si le terme “d’ordre” devient officiel, le mot fraternitas résiste (2Reg.12,3). François en revendique d’ailleurs clairement la paternité dans son Testament : “De même que le Seigneur m’a donné de dire et d’écrire purement et simplement la Règle et ces paroles, ainsi comprenez-les simplement et purement, et sans glose, et observez-les et mettez-les en œuvre saintement jusqu’à la fin” (Test. 39). La Règle de 1223 (Regula et Vita Minorum Fratrum) est “d’observer le saint Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ.” (2Reg1,1) Nous suivons une “Règle de vie” et non une lettre morte. Il faut sans cesse éclairer le texte par la vie intérieure de François et de ses premiers frères.
Fr. Michel HUBAUT, OFM