Fr. Patrice : « Le jardin, une école de contemplation, d’humilité et de gratuité »

Nous sommes d’abord là pour faire du bien à la Création.

Fin août, à La Cordelle, une dizaine de bénévoles s’activent pour monter des murs en pierre. À l’écart de cette agitation, plutôt rare dans ce lieu de prière, je retrouve Fr. Patrice Kervyn et Thierry Moindrot, membre de la fraternité séculière, pour échanger sur la place du jardin dans leur relation à Dieu.

Tous ceux qui, un jour, sont passés à La Cordelle le disent : ici, le beau s’impose à nous et invite naturellement à la contemplation. C’est l’un des rôles du jardin et si le cadre géographique est propice à cela, c’est aussi grâce au travail des frères et à l’identité du lieu. Assis au milieu des hautes herbes, Fr. Patrice revient sur le sens que revêt, pour le franciscain qu’il est, le mot contemplation.

DE LA CONTEMPLATION VERS LA GRATITUDE

“La contemplation, pour moi, passe par les sens, l’émerveillement et la capacité à observer, à se laisser toucher”, commence-t-il. Ce lien entre contemplation et dimension sensible, il le retrouve d’ailleurs dans le Cantique des créatures : “François, en parlant de Dieu, commence ainsi : “Nul homme n’est digne de te nommer.” De nombreux mystiques se sont arrêtés là, dans ce grand silence de Dieu. Mais lui associe ensuite toute la Création, c’est plus fort que lui ! C’est une mystique très incarnée qui concerne la Création entière.”

En prenant conscience de ce lien qui nous unit aux autres créatures, la contemplation peut aussi être un chemin vers Dieu si elle s’ouvre sur un sentiment de gratitude. Les yeux mi-clos, pensif, il complète : “Je crois que la contemplation c’est aussi la gratitude pour ce qui m’est donné, ce qui est gratuit et que je n’ai rien fait pour mériter. Cela commence par des attentions très simples : dès le matin, quand je me lève, est-ce que je prends conscience d’être vivant, de voir le soleil qui se lève ? À ce moment-là, je peux laisser monter dans mon cœur une prière, un merci… Devant la grandeur et la beauté de la création, je suis invité à remonter au Créateur. Cela reste quelque chose de discret, de simple, comme une voix qui murmure en moi.”

UNE ÉCOLE D’HUMILITÉ

La contemplation, l’étonnement face à la Création, pose naturellement la question de la place de l’homme au cœur de ce système. Entré dans la Fraternité séculière il y a 21 ans, Thierry Moindrot est un des “bénévoles piliers de La Cordelle”. Cuisinier de métier, il s’est formé par passion à l’apiculture et a récemment installé deux ruches dans le jardin des frères. En les ouvrant avec délicatesse, il me confie : “Saviez-vous que l’abeille peut porter jusqu’à trois fois son poids ? Je reste humble devant cela…” À l’ermitage, Fr. Patrice s’est aussi lancé dans l’aménagement d’un petit espace où poussent diverses plantes aromatiques. Au-delà de l’aspect pratique et de l’usage culinaire, “cela va de pair avec le fait d’être associé à une œuvre de création car finalement, ce n’est pas moi qui crée”, ajoute-t-il humblement. Citant un jeune théologien protestant entendu récemment à la radio, il complète : “Nous sommes assis sur les épaules de la Création, nous n’avons été créés que le cinquième jour !”

UN ESPACE DE SILENCE

Pour Fr. Patrice, “la contemplation, c’est aussi apprendre à laisser entrer le silence en soi.” Et dans le jardin de La Cordelle, beaucoup se sentent aussi invités au silence et viennent ici pour le trouver.

En mai dernier, les frères ont accueilli une dizaine de jeunes pour un WEFA (Week-end avec François d’Assise). Ils restent marqués par ce qu’ils ont pu vivre au cœur de ce jardin. “Le fait de prendre le temps de regarder ce qui nous entoure, cela a entraîné au fond de moi un certain calme”, confie Tchablé, l’un des participants. Pour Claire, cela a été l’occasion de “sortir du rythme effréné de nos emplois du temps surchargés et de notre monde, où tout va vite, pour retrouver la paix et le calme.” “De beaux moments de silence et de contemplation, un regard d’émerveillement sur la Création et la prise en compte qu’il y a énormément de merveilles, qu’on est là aussi pour les admirer et à travers cela, bénir le Seigneur”, témoigne aussi Vianney.

C’est pourquoi, dans le projet de réaménagement et de rénovation de La Cordelle, l’organisation des espaces tiendra compte de ce désir de silence. S’il est encore tôt pour décider avec précision ce qui sera planté, Fr. Patrice m’indique déjà quelques choix fondamentaux. Par exemple, des arbustes seront plantés afin de délimiter des espaces, marquer les seuils, en veillant à ce qu’ils soient aussi propices à la biodiversité, où les oiseaux pourront nicher. Près de la chapelle, le choix sera fait d’un espace dépouillé, sobre et minimaliste, comme “pour inviter les personnes à entrer en silence et leur montrer que l’on rentre dans un lieu qui n’est pas banal.”

AVEC FRANÇOIS, UN AUTRE RAPPORT À LA TERRE

Autour de nous, des petits chemins sont tracés à la tondeuse à travers les herbes hautes. Je le questionne sur ce choix de laisser pousser ainsi la flore : “Pour le franciscain que je suis, explique-t-il, l’utilitaire et le gratuit doivent aller de pair. François est arrivé avec cette sensibilité propre, différente de celle des moines comme les cisterciens qui travaillaient la terre, mettaient en valeur des espaces sauvages… Avec François, c’est un autre rapport à la terre qui commence à s’instaurer, avec les herbes gratuites qui sont là pour chanter la beauté du Seigneur et lui rendre grâce : “Le jardinier devait laisser en friche une bande de terrain autour du potager afin que la verdure et les fleurs vinssent y proclamer, la saison venue, combien est grande la beauté du Père de toutes choses.” (Thomas de Celano, Vita Secunda, Chapitre 124, 165.)”

Insistant sur cet équilibre entre les deux dimensions de gratuité et de production, il développe. “Pour nous franciscains, cet équilibre, c’est d’honorer le Créateur avec et par sœur notre mère la Terre en l’aidant à donner le meilleur d’elle-même : c’est-à-dire à la fois ce qui nous nourrit et ce qu’elle nous donne pour la beauté des yeux. Les fruits et les fleurs, les deux sont indissociables je crois”.

Un rapport à la nature auquel s’est pleinement associé Thierry lorsqu’il a installé des ruches dites “kényanes”. Elles sont avant tout ici “pour favoriser la pollinisation dans le jardin et non pour la fabrication de miel, bien que les frères apprécient mon miel !”, ajoute-t-il en riant. “L’homme est toujours tenté d’en faire plus, attiré par l’appât du gain. Mais je crois que nous sommes d’abord là pour faire du bien à la Création, c’est le premier but.” Ce tertiaire franciscain a alors souhaité inclure la notion de gratuité via ces ruches. Après tout, “le miel de l’abeille n’a pas été fabriqué par l’homme, il nous est donné gratuitement. Il faut simplement accueillir cela”, conclut-il.

Henri DE MAUDUIT

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