Le numérique dans l’expérience du noviciat, un enjeu de liberté

“Chercher l’ajustement entre notre foi et nos pratiques.

Quand il a fait part à ses frères qu’il allait être interviewé sur la question du numérique, cela a fait sourire. Et pour preuve, il me montre son téléphone… un Nokia 3310 ! Amusé par la réaction, Fr. Batitte Mercatbide, Maître des novices, a cependant accepté de répondre à nos questions. Ce choix d’une sobriété digitale pleinement assumée ne l’empêche pas, au contraire, d’avoir une parole sur le sujet, qui dépasse les enjeux purement matériels.

En accompagnant une année durant les jeunes frères novices, Fr. Batitte, en communauté à Marseille, aborde de nombreux sujets dont celui du lien avec leurs familles et leurs amis, mais aussi de la relation au numérique et de la présence sur les réseaux sociaux. S’il existe des références objectives quant à ce qu’est l’expérience du noviciat au regard de l’Église et de l’Ordre des frères mineurs, “et qu’il m’appartient de le leur faire savoir, il m’appartient aussi de les aider à nommer ce dont ils sont porteurs”, souligne notre frère.

INVITATION À UNE PRISE DE CONSCIENCE

“Il y a pour moi une conviction de foi qui qualifie l’esprit dans lequel l’expérience du noviciat est proposée”, confie-t-il. “C’est ce que met en avant le psalmiste : “Puisqu’il s’attache à moi, je le délivre” (Ps 90). En d’autres termes, il s’agit pour nos frères novices, par rapport à la question du numérique mais aussi à ce qui constitue les tenants et les aboutissants d’une telle vie appelée à se déployer, de pouvoir aider chacun à mesurer ce qu’il a à travailler. De quoi estimes-tu avoir besoin de te libérer et d’être libéré pour mieux t’attacher à la personne du Christ ? Voilà la question que je pose aux novices.”
L’enjeu, au-delà du numérique, concerne donc la liberté individuelle d’un point de vue à la fois humain et spirituel. “Les frères que nous accueillons viennent à nous librement. À charge pour eux de préciser ce qu’ils cherchent, ce dont ils pensent avoir besoin pour avancer. Et à nous, à notre mesure, de favoriser des prises de conscience qui aillent en ce sens. Je crois que ce travail est comme accompagné mystérieusement et réellement par la grâce de Dieu”, ajoute Fr. Batitte.

UNE PÉDAGOGIE DE LA CHASTETÉ

Tous les deux mois, nos frères novices participent à des rencontres qui rassemblent leurs pairs de différents mouvements et communautés : c’est l’internoviciat. Avec pédagogie, les frères et sœurs novices sont invités à poser un regard en vérité sur eux-mêmes. “Les propos des intervenants sont très aidants ; ils invitent à la clairvoyance quant à l’appel entendu certes mais aussi quant aux rapports aux personnes et aux objets. La thématique de la chasteté pose par exemple la question suivante : comment vivre chastement avec, notamment, son portable ?”
Parmi la quarantaine de novices présents à ces sessions, les usages sont toutefois très hétérogènes, d’autant plus dans un groupe largement international. Présent en tant que Maître des novices, il observe “différents positionnements, toute une palette de pratiques qui vont de l’usage raisonné à des mesures plutôt contraignantes en passant par une utilisation presque continue.”

UNE CONFIANCE FRATERNELLE

“Personnellement, je suis dans une attitude qui est de l’ordre de la confiance a priori. Mais je tâche d’être suffisamment attentif pour ne pas être dans une trop grande naïveté non plus”, explique avec lucidité Fr. Batitte. Car dans un contexte urbain comme celui dans lequel vit la fraternité de Marseille, notre Maître des novices reconnaît qu’il existe un risque particulier de sollicitations en continu des jeunes novices.
Comment rester attentif pour continuer à être au service de l’avancée de ces derniers ? C’est dans la Lettre de François à frère Léon que notre frère trouve une réponse : “De quelque manière qu’il te semble meilleur de plaire au Seigneur Dieu et de suivre ses traces et sa pauvreté, faites-le avec la bénédiction du Seigneur Dieu et mon obéissance. Et s’il t’est nécessaire que ton âme revienne à moi pour une autre consolation et si tu veux, viens.”
“Pour moi, tout ou presque se dit là, à savoir : tu es grand, tu te connais suffisamment certainement pour poser des gestes responsables et cohérents. Pour autant, et si tu avais quelque cas de conscience quant à ce qu’il convient de vivre en Dieu, viens, nous prendrons le temps d’en parler et d’en reparler” explique Fr. Batitte. “Je pense qu’on en est tous là peu ou prou, à chercher l’ajustement entre notre foi et nos pratiques. Mais l’expérience du noviciat fait que ce questionnement est comme exacerbé car l’enjeu est de taille : il en va d’une promesse de vie à édifier en vérité.”

DES OUTILS AU SERVICE DE L’HUMAIN

S’il peut sembler en décalage avec notre époque d’hyper connexion digitale, Fr. Batitte ne rejette pas pour autant ces outils. “J’ai fait le choix d’une sobriété réfléchie, voilà tout. Je sais qu’un certain usage du numérique favorise aussi la relation, le contact et l’accueil. Je respecte profondément surtout ce que cela permet. Je pense à ces mouvements de solidarité en ces jours d’actualité si cruelle où grâce aux réseaux sociaux, l’on est par exemple capable de se mobiliser pour l’Ukraine avec tant de générosité.”

Henri DE MAUDUIT

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