SOMMES-NOUS LES MIEUX PLACÉS POUR LOUER DIEU ?
En voilà une question ! En lisant La Création retrouvée du Fr. Éric Bidot, je suis resté sur cette réflexion à laquelle je n’avais jamais songé. Mais au-delà de la question de la place, c’est celle de notre rapport à la création qui se pose surtout dans cet ouvrage, à la lumière de la vie de saint François. Au fil de la lecture, j’ai découvert et retenu un quelques points qui m’ont aidé à creuser ma réflexion sur mon rapport à la création : connaître pour valoriser, apprendre à démaîtriser pour habiter, tisser un lien fraternel et servir. Tous interrogent notre rapport au créé et, si on le veut bien, l’affinent.
Le premier mot qui a retenu mon attention est celui de la connaissance. Sans pour autant se comporter en propriétaire car « tout est don », Dieu nous invite à une place particulière au cœur de la création. « La personne est la seule à pouvoir “opérer” ce retour à Dieu de tout ce qui est ». Cette place doit donc nous pousser à « faire œuvre de louange en cherchant à comprendre autant [que possible] la sagesse inscrite dans le créé ». J’y vois la nécessité d’un effort de compréhension de ce qui nous entoure, de « connaître, reconnaître […] tout ce qui existe ».
La connaissance s’oppose à l’ignorance. Nous ne pouvons donc ignorer ce qui nous entoure. En faisant une distinction précieuse entre « nature » et « création », l’auteur précise que François ne parle jamais de nature, terme qui renvoie plutôt à « une réalité indépendante et autosuffisante qui lui est étrangère », mais plutôt de création, « projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une signification ». Il convient donc de prendre la mesure de cette valeur et de cette signification, en entrant en relation notamment par la connaissance.
Au-delà de la connaissance, je découvre que François ne s’est pas simplement contenté de nommer des éléments de la création « frères » et « sœurs », ni d’observer naïvement la nature. Mais il a surtout « fait l’expérience de renoncer à maîtriser le monde pour enfin s’efforcer de l’habiter », selon les propos d’Emmanuel Falque*. Habiter pour renouer avec la création : « Il n’y a pas de retrouvailles avec la création sans ce consentement à la démaîtrise » affirme Fr. Éric Bidot. La maîtrise, l’appropriation, sont d’ailleurs au cœur de la faute pour François. Il invite dès lors ses frères à être « comme des pèlerins et étrangers en ce siècle » (2 Rg) pour remédier à la tentation de l’appropriation.
Habiter, c’est aussi renoncer à la passivité face à un spectacle extérieur et adopter une attitude d’engagement actif de tout notre être. Nos sens doivent « se laisser convertir et perfectionner » pour laisser entrer en nous les « couleurs, substances, formes et saveurs » du monde. Saint Bonaventure parle ainsi de nos cinq sens comme des « portes par lesquelles entre en son âme la connaissance de toutes les réalités qui sont dans le monde sensible » (It II, 3).
Enfin, la question de la fraternité et du service est venue également éclairer ma réflexion sur mon rapport à la création. Nous qui sommes tombés dans le péché, sommes-nous les mieux placés pour louer Dieu ? « Toutes les créatures qui sont sous le ciel […] le connaisse et lui obéisse mieux que toi » (Adm 5). Elles, mieux que nous, louent le Créateur. Il faut donc nous « inscrire dans une relation de fraternité avec elles » car c’est le « mouvement de louange voulu par le créateur. » Ce regard posé sur la création invite alors, au-delà de la relation fraternelle, à un acte nécessaire d’humilité pour l’homme.
Le rapport fraternel à la création se manifeste aussi à travers la notion de service. « C’est par le service que l’on s’insère dans le monde des créatures ». Car, comme le précise François dans ses Admonitions, « toutes les créatures qui sont sous le ciel, chacune à sa façon, servent leur Créateur » (Adm 5, 1-2). À l’image des créatures, à nous aussi alors de servir pour entrer dans une attitude active. « L’écologie de François n’est pas seulement gentillesse avec la création ; elle est service de la seigneurie de Dieu ».
C’est donc une lecture enrichissante que je ne peux que recommander. Ces « retrouvailles » avec la création ne consistent pas en un survol détaché du monde mais en une exigence qui pousse à se questionner sur son propre rapport à la création. À travers le témoignage de François, l’ouvrage du Fr. Éric Bidot invite en somme à lire Dieu dans la Création : elle est « une parole divine, exprimée de multiples façons dont l’ensemble constitue un livre que Dieu créateur a confié à l’homme pour qu’il puisse le lire », selon les mots du Fr. Luc Mathieu. Tourner la dernière page de ce livre et le refermer, c’est déjà en ouvrir un autre, celui de la Création. Et par-dessus tout, réapprendre à le lire.
Henri DE MAUDUIT
*Emmanuelle Falque, « Saint François et saint Dominique : deux manières d’être chrétien au monde », in Communio, XIX, 3, mai-juin 1994, p. 68.