Fr. Jean-Paul : « Qu’ils se fassent connaître l’un à l’autre leurs besoins »

Nous ne sommes pas pauvres au sens matériel du terme.

Fr. Jean-Paul Arragon est économe provincial. Une mission qu’il exerce depuis près de 40 ans après avoir enseigné l’économie. Il maîtrise les comptes et la vie économique de la Province comme personne. Alors nous sommes allés à sa rencontre pour comprendre comment les franciscains vivent leur vie économique.

Dans l’Ordre international franciscain, chaque Province est autonome, cela signifie que l’Ordre n’est pas centralisé au niveau économique. Pour autant, cela ne veut pas dire que les différentes entités géographiques de l’Ordre – appelées Provinces ou Custodies – ne contribuent pas à son fonctionnement. “La centaine de Provinces participe via une quote-part calculée sur un barème prenant en compte les revenus par habitant de chaque pays” présente Fr. Jean-Paul.

Il poursuit : “pour ce qui est de notre Province [de France-Belgique], le fonctionnement est simple : chaque communauté doit vivre et subvenir à ses besoins par le travail, le service ou les retraites perçues, qui sont aussi le fruit du travail. Chaque communauté reverse ensuite 10 % de ses revenus “primaires” à la Province”. Cette dernière redistribue ensuite des aides aux communautés qui en ont besoin. “François, dans ses écrits, utilise le mot “nécessité”. Et la nécessité évolue, elle est fonction de notre projet de vie actuelle, de l’âge des frères dans les fraternités etc. Ce qui est important c’est que chaque communauté puisse vivre et que s’exerce la solidarité provinciale”.

DES BIENS CONFORMES À NOTRE MODE DE VIE

Fr. Jean-Paul revient à présent sur l’histoire récente et les unions successives des Provinces de France et de Belgique, en 1996 et 2013. “Dans les années 96, nous nous sommes fait aider par la Fondation des monastères et un avocat international pour mettre en place les choses”. Mais aussi sur la fermeture et la vente de plusieurs couvents. Il le reconnaît, sa mission d’économe s’est complexifiée avec le temps. “Il fallait unifier les comptabilités des fraternités mais aussi l’esprit dans lequel nous voulions vivre notre vie économique et discerner le niveau de biens conformes à notre forme de vie. On a longuement travaillé en amont, pendant et après les unions, avec les gardiens et les économes pour se donner des points de repère”.

Parmi ceux-ci, un point essentiel : “Nous avons insisté pour que, dans chaque fraternité, les comptes et les postes de dépenses soient lisibles et compréhensibles par tous les frères”. Fr. Jean-Paul rappelle à la même occasion que, théoriquement, les frères sont tenus de signer les comptes mensuels de leur communauté, une habitude qui se perd, regrette-t-il un brin nostalgique. “Une seule fraternité m’envoie désormais les comptes signés de tous”. Et si chaque communauté lui rend ses comptes, Fr. Jean-Paul n’a qu’un droit de regard sur les choix et les dépenses de ces dernières. “Dans l’ensemble, il n’y a pas d’excès, les frères sont constants” commente-il en “bon père de famille”.

VIVRE SOUS LE REGARD DES AUTRES

La clé de voûte selon lui ? L’échange et le partage en transparence que ce soit entre l’économat provincial et les économes des communautés mais aussi au sein des communautés. “Dans la Règle, François nous dit nous sommes de la même famille et nous invite à le vivre concrètement : “Et qu’avec assurance l’un manifeste à l’autre sa nécessité, car si une mère nourrit et chérit son fils charnel, avec combien plus d’affection chacun ne doit-il pas chérir et nourrir son frère spirituel !” (2 Reg 6,8)”

“La pauvreté, c’est donc accepter de ne pas être maître soi-même de la totalité de ce que l’on voudrait avoir. Et être capable de vivre sous le regard des autres au niveau de la décision, que ce soit un accord ou un refus, et de la manière dont on va rendre des comptes”. Saint François exhorte ceux qui veulent “accepter cette vie” : “d’aller et de vendre tous leurs biens et de s’appliquer à les distribuer aux pauvres. Que s’ils ne peuvent le faire, la bonne volonté leur suffit” (Chapitre 2, Seconde Règle).

Cette “bonne volonté” poursuit Fr. JeanPaul, “c’est la capacité à entrer dans une autre logique que celle de mes biens personnels, une logique de dépendance ou plutôt d’interdépendance. Et elle est le symbole de ce que l’on peut vivre au niveau spirituel et fraternel”.

SANS RIEN EN PROPRE

Il ajoute : “Dans notre Ordre, on ne fait pas profession de pauvreté, on fait profession de vivre sans propre, “sine prorio”, c’est-à-dire sans s’approprier”. D’ailleurs, il le dit en toute transparence : “Nous ne sommes pas pauvres au sens matériel du terme, la pauvreté est d’ailleurs un fléau à combattre. Le phénomène auquel on assiste c’est que les générations de frères se succèdent et que les biens restent. On est, en ce sens, différent des autres familles. On n’a pas à se partager le patrimoine et à payer des droits de succession, alors, paradoxalement, on s’enrichit”.

Si la sécurité matérielle des frères semble bien réelle, la sécurité relationnelle le semble tout autant, la Province prenant soin de ses aînés jusqu’au bout notamment dans des communautés qui leur sont adaptées. “Mon rôle est de permettre et de garantir cette sécurité, d’être vigilant à ce qu’elle ne soit pas scandaleuse comme le demande le droit canon”. Ainsi, le signe immobilier ne doit pas être un contre-témoignage, être “démesuré” par rapport à la vie des frères.

Fr. Jean-Paul rebondit à ce sujet sur les couvents. “Nous sommes héritiers d’une histoire et de l’évolution urbaine. Par exemple, le Chant d’Oiseau [à Bruxelles], à sa construction, était dans un champ de betteraves alors qu’aujourd’hui il se trouve dans un quartier très aisé !” Mais Fr. Jean-Paul invite à poser la bonne question : “A quoi sert d’avoir des biens et des couvents ? Est-ce pour faire vivre dix “bons hommes” ou avoir une présence, accueillir des frères étudiants du monde entier, avoir une chapelle ouverte sur son quartier… c’est très différent”. Il fait écho au projet de vie de chaque communauté, sans cesse à retoucher et qui est le socle de l’approfondissement d’une vie à la suite du Poverello d’Assise.

Émilie Rey

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