Poètes sociaux : « L’énergie collective transforme le monde »

Il faut accepter que cela prenne du temps.

Comment inventer, à partir des plus démunis, de nouvelles manières de vivre et d’agir ? Dominique Serra-Coatanéa, théologienne et enseignante à Paris aux Facultés Loyola, nous dresse un portrait-robot des « poètes sociaux » chers au pape François.

Le pape François avait une grande sensibilité pour la poésie et la littérature. Pour lui, elles permettent de sortir notre imaginaire de l’espace clos dans lequel il est, de se laisser imprégner, modeler par d’autres imaginaires pour découvrir d’autres représentations du monde. Le propre de l’art poétique c’est, avec une économie de mots, de suggérer un univers qui va pouvoir parler de manière universelle.

PARTIR DES DERNIERS

Dans son encyclique Fratelli tutti, le pape François utilise l’expression « poètes sociaux » (FT 169) pour désigner le compagnonnage des associations d’action catholique avec les plus pauvres. Pour lui, la présence auprès des plus pauvres est absolument nécessaire pour inventer des chemins pour sortir de la pauvreté. Mais à condition que « ces expériences de solidarité grandissent du bas, du sous-sol de la planète » (FT 169). Car l’enjeu est d’inclure les plus pauvres dans la lutte à partir de leurs propres idées. C’est comme ça, dit François, que les chemins de la transformation sociale sont les plus sûrs : parce que si l’on part des derniers, on est certain de n’oublier personne.

Ainsi, les plus démunis inventent sans cesse, se débrouillent avec des bouts de ficelle pour retaper leur maison, pour mettre des fleurs là où il y a des fissures, pour repeindre de manière colorée… Le pape François nous dit, qu’au fond, ces petits gestes composent de façon très créative un monde qui offre de la beauté là où nous, nous ne voyons que de la misère. C’est ça la poésie : cette créativité avec tout ce qui va permettre un sourire là où l’on a envie de pleurer. Cela implique d’accueillir la parole de ces personnes, d’être en dialogue et de vivre avec elles pour pouvoir traduire leurs énergies en plaidoyer politique, économique et social. C’est ce que ce que propose, entre autres, le Secours catholique-Caritas France ou le mouvement ATD Quart-Monde qui travaillent en croisement des savoirs, c’est-à-dire par l’écoute des personnes en grande précarité pour tenir compte de leurs conditions d’existence.

DES ÉNERGIES COLLABORATIVES…

Mais les résistances sont tellement puissantes dans le système consumériste et dans le paradigme technoscientifique que seul, on risque de sombrer dans le désespoir. C’est pourquoi, pour le pape François, la « poésie sociale » ne peut exister que dans le commun, le collaboratif.

Et cela passe par des « mouvements populaires » (FT 169), des réseaux communautaires qui permettent de résister ensemble. Je pense par exemple à des collectifs tels que les cafés associatifs : Le Dorothy à Paris, ou Le Simone à Lyon. Par l’intelligence et l’énergie collective, ils cherchent à créer de nouveaux chemins pour inventer une socialisation non pas de l’individualisme, mais du relationnel. Cette dynamique des mouvements populaires implique d’embarquer du monde : il faut donc accepter que cela prenne du temps car c’est un processus d’apprivoisement et de confiance mutuelle. Mais, cela donne une solidité qui permet de travailler sur du long terme. Si moi je flanche, celui d’à côté continue. Le pape François appelait ça le « torrent d’énergie morale qui naît de la participation des exclus à la construction d’un avenir commun. » (FT 169)

AU SERVICE DE L’ÉPANOUISSEMENT DE NOTRE ÊTRE

Il faut prendre la mesure du fait que nous sommes tous habités par un désir de vivre bien et d’être heureux. C’est cela qui génère les « torrents d’énergie morale » et c’est donc de ce désir-là qu’il faut partir ! Cette dynamique de communion est une dynamique chrétienne qui, loin d’effacer l’individu, permet à chacun de prendre conscience que son déploiement personnel passe par la richesse des liens, que je peux aussi m’épanouir dans le collectif. Cela passe par la prise de conscience que c’est parce que je suis enraciné dans un lieu ou un mouvement, avec des liens forts, que cela fait de moi quelqu’un d’épanoui et de riche relationnellement. Je crois que dans la construction patiente de relations de voisinage, par exemple, il se passe quelque chose qui peut nourrir ma personnalité et me permettre de grandir et de m’humaniser.

La « poésie sociale », c’est donc avant tout déployer plus de liens, plus de relations et donc plus de vie. Toute cette solidarité-là permet de ne pas désespérer et de croire, dans le sillage du pape François, que c’est cette énergie collective qui transforme le monde.

Propos recueillis par Henri DE MAUDUIT

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